Le point de vue du lecteur : faut-il brûler la saison 8 de Game of Thrones ?

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George RR Martin l’avait promis à ses fans depuis bien longtemps : la fin de sa saga A song of Ice and Fire, entamée en 1996 puis adaptée à l’écran sous le titre de Game of Thrones, serait « douce-amère ». Le barbu de Santa Fe à l’inamovible casquette de marin n’est certes pas connu pour son goût de la félicité pure et parfaite. On sait qu’il révéla la conclusion de son magnum opus inachevé aux producteurs David Weiss et David Benioff, lesquels, dès la saison 3 de la série, interpelèrent le spectateur par la voix de l’ignoble Ramsay Bolton : « Si tu penses qu’il y a un happy end à tout ça, c’est que tu n’as pas fait attention. » En bref : on savait que ça piquerait. Voire, on avait signé pour : survenue dès le neuvième épisode, c’est bien la plus fameuse décollation de l’Histoire de la télévision, pour choquante qu’elle fût, qui fit de Game of Thrones un phénomène planétaire.

Tout amateur d’asperges en conviendra : il est des amers succulents. Encore faut-il une préparation à la hauteur. Or, depuis le début de la saison 8, de nombreux fans et critiques se plaignent, au point d’en réclamer la réécriture via une très commentée pétition en ligne. Les griefs portent-ils sur les événements eux-mêmes, la cohérence du scénario qui les enchaîne, ou la qualité d’ensemble des six épisodes ? Et surtout : faut-il vraiment brûler cette saison 8 ?

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D’aucuns commencent leur diatribe en avançant un facteur aggravant de leur déception : l’attente. Deux ans à espérer le dénouement de Game of Thrones, soit une éternité dans le monde des séries télé. Deux ans pour ça, donc. En pensant à ces malheureux, il me vient les mêmes soupirs qu’à Vieille Nan, l’antique nourrice de Winterfell, lorsque le petit Bran Stark l’interroge sur la rudesse de l’hiver qui vient. « Oh my sweet summer child… » Celles et ceux – dont je suis – qui découvrirent les livres de George RR Martin à l’entame de ce siècle n’ont pas eu de nouveau tome à dévorer depuis 2011 et la sortie de A dance with dragons, équivalent du tome 5 de l’intégrale française, qui correspond à peu près à la cinquième saison de la série. Deux ans d’attente vous ont rendus irascibles ? Mes pauvres enfants de l’été.

Alors oui, dix ans d’avance sur la version télévisée offrirent confort et prestige au lecteur que j’étais, qui jubilait intérieurement aux cris d’orfraie des béotiens à chaque rebondissement dramatique, voire à l’énoncé de chacun de leurs pronostics loin à côté de la plaque. Le succès de Game of Thrones eut aussi pour moi de franches allures de revanche : après avoir prêché des années dans un désert d’inintérêt poli – voire condescendant à l’égard de « ces histoires de chevaliers et de dragons » -, et offert un paquet de tomes 1 au format poche pour les voir tomber des mains d’autant de copains, les observer devenir d’authentiques junkies de Game of Thrones me fit ricaner plus qu’à mon tour. Tel le Nord, je n’oublie jamais. On a les triomphes qu’on peut.

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Ces joies minuscules, un rien mesquines, ne compensèrent certes pas l’angoisse qui montait à mesure que s’écoulaient les premières saisons du show, sans qu’aucune date soit annoncée pour la parution du tome 6 The winds of winter : peu importaient les milliers de pages lues et relues, en français et en anglais, j’apprendrais la fin de l’histoire en même temps que l’ordinaire des roturiers qu’étaient les simples téléspectateurs. Pouah. En dépit de ce sentiment de déclassement à peine supportable, je précise que je n’ai jamais regardé Game of Thrones dans l’attitude du snobinard concentré sur la recherche des « erreurs », soit les écarts par rapport aux bouquins. Car le simple fait de voir un jour une adaptation filmée d’A song of Ice and Fire qui tienne la route reste pour moi un authentique objet d’émerveillement.

La genèse même de la saga explique pourquoi : le scénariste George RR Martin, lassé des contraintes imposées par la production audiovisuelle, décida de s’y soustraire en écrivant une oeuvre d’une ampleur folle, donc rigoureusement inadaptable.  Une intrigue d’une infinie complexité, construite avec patience et multipliant lieux et personnages, dans un monde fantastique à l’Histoire et la géographie ultra détaillés. Des protagonistes moralement ambigus, échappant peu à peu aux étiquettes de héros et méchants, et plongés dans quantité de dilemmes moraux insurmontables : famille ou alliés, pouvoir ou intégrité, amour ou devoir, etc. Lorsqu’il publia A game of thrones au milieu des années 90, Martin n’imaginait pas que le support rêvé pour adapter sa saga était en gestation : on parle bien sûr de la série télé moderne impulsée par les chaînes câblées américaines, richement dotée, résolument « adulte » et artistiquement ambitieuse.

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Lorsque HBO annonça son projet d’adaptation, je ne pus dissimuler mon scepticisme : comment ne pas subir la transposition simpliste – voire simplette – d’une oeuvre aussi monumentale ? J’avoue avoir été bluffé par une saison 1 d’une grande fidélité au premier tome, fondée sur un univers visuel convaincant, la musique envoûtante de Raman Djawadi et un casting haut de gamme, sans guère de fausses notes. Dans le monde entier, une nouvelle génération de fans de George RR Martin eut ainsi le bonheur d’apprendre à souffrir au rythme des machiavéliques inspirations du maître, gâtés par une réalisation et une production impressionnantes – tout juste put-on déplorer un usage parfois discuté de la sexposition, ainsi que l’ellipse d’une ou deux scènes de bataille qui auraient été trop gourmandes en dollars. Si la première saison m’avait gagné à la cause, les trois suivantes furent un succès encore plus méritoire, car l’intrigue des tomes 2 et 3 sur lesquels elles se fondaient s’élargissait sans cesse, requérant cette fois de véritables coupes ou transformations sans dégrader l’ensemble pour autant.

Jusqu’au chef d’oeuvre absolu qu’est A storm of swords (saisons 3 et 4), sans doute l’un de mes dix bouquins favoris, la qualité de l’adptation alla croissant, intégrant désormais des épisodes entiers consacrés aux batailles homériques dont la version écrite valait déjà son pesant de nougat (Blackwater et The watchers on the wall). La puissance de l’ensemble compensait sans difficulté l’agacement suscité par certains parti-pris, tel l’abus de scènes de torture de l’infortuné Theon Greyjoy, ou le viol de Cersei par Jaime dans Breaker of chains – consentie, la scène du livre n’est pas moins dérangeante, puisque se tenant sur un autel qui jouxte la dépouille de leur fils… L’adaptation des tomes 4 et 5, qui se déroulent pour partie de manière simultanée, présentait un défi d’une autre nature, puisque l’action y ralentit alors que le récit gagne encore en ampleur. Pour préserver la nervosité de la narration, Weiss et Benioff décidèrent d’en extraire une unique saison. Le résultat est plus inégal qu’auparavant – voire franchement médiocre, s’agissant des passages à Dorne -, mais l’honnêteté oblige à dire que le matériau de base l’est aussi. Et la série contient un pur morceau de bravoure éludé dans les livres : l’affrontement désespéré entre Garde de Nuit et White Walkers de Hardhome.

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La production se trouva alors confrontée à un défi inédit : écrire à vue, sans livre épais pour conducteur, en s’efforçant de combler la béance entre la saison 5 et les trois pages de descriptif de la fin de la saga livrées par l’auteur. Ce que la série gagnait sans cesse en budget allait-il permettre de pallier ce handicap ? Lors de la saison 6, la réponse est « presque », grâce à deux épisodes finaux menés tambour battant : l’étouffant et spectaculaire Battle of the bastards, filmé à hauteur de dragon puis d’homme, et l’épique The winds of winter, où Cersei Lannister livre son interprétation très personnelle de la séparation entre Eglise et Etat, entre autres coups de théâtre saisissants.

On sait que George RR Martin peine depuis des années à resserrer de manière naturelle et cohérente sa pléthore d’arcs narratifs, repoussant sans cesse la sortie de l’avant dernier tome d’A song of Ice and Fire. Il lui reste deux volumes de plus de mille pages chacun pour boucler sa saga. Plus avancés dans leur récit, Weiss et Benioff choisirent de réduire le nombre d’épisodes des deux dernières saisons, sacrifiant une bonne part du développement des personnages et des manoeuvres politiques pour se concentrer sur le spectacle… Et spectaculaire, le résultat l’est indéniablement en saison 7. L’attaque de l’armée Lannister par celle de Daenerys dans The spoils of war cloue le spectateur à son siège, comme le fait l’expédition façon 12 salopards de Beyond the wall… au prix d’un scénario désormais prétexte à l’enchaînement de scènes cultes. Les voyages s’accélèrent, les décisions se prennent en dépit du bon sens, et l’on renonce parfois purement et simplement à saisir la logique de l’ensemble, les neurones concentrés sur les effets spéciaux et la mastication du pop-corn.

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Ramassée sur 6 épisodes, durant certes jusqu’à 80 minutes, la saison 8 promettait donc une débauche de moyens et des faiblesses d’écriture comparables à celles de la précédente. De quoi susciter force ricanements chez un vieux lecteur dans mon style, mais surtout un furieux sentiment de gâchis : pas loin de 20 ans pour ça… À lire critiques et réactions diverses, ces derniers 6 épisodes sont sans conteste les plus faibles de l’Histoire de la série – exception faite de la calamiteuse expédition dornienne de Unbowed, unbent, unbroken. L’occasion est parfaite pour se laisser aller à une démolition en règle de l’ouvrage de Weiss et Benioff, largement accusés d’avoir torché l’affaire pour enchaîner au plus vite sur les prochains Star Wars, sans même risquer de se faire traiter de pisse-vinaigre. Et pourtant…  Je n’ai pas boudé mon plaisir. Étonnant, non ?

Faute d’avoir désormais à jongler avec une myriade de lieux, la saison 8 offre une construction d’une parfaite limpidité. Chaque épisode a une vocation et un propos spécifiques, et – presque – tous s’en acquittent convenablement, proposant une production mammouthéenne, une réalisation soignée et des moments forts déjà gravés dans la mémoire des fans :

  • Comme tout épisode 1 de Game of Thrones, Winterfell est consacré à l’exposition : on reprend contact avec quantité de visages familiers. Le rythme n’est jamais le point fort de ces introductions ; les rebondissements inattendus, non plus, depuis « les choses que l’on fait par amour ». Drogon et Rhaegal gagnant Winterfell avec l’armée de Daenerys, Theon qui libère sa soeur des griffes d’Euron, l’installation macabre des Autres à Âtre-les-confins et les retrouvailles entre Jaime Lannister et Bran Stark sont pourtant des tableaux éminemment satisfaisants.
  • A knight of the seven kingdoms est une veillée d’armes. Le spectateur sait qu’il verra bientôt disparaître toute une partie du casting. L’auteur Brian Cogman a choisi de rendre hommage aux protagonistes et seconds rôles qui nous accompagnent depuis 10 ans, ce qui s’entend. Les bons mots sont légion. Bouleversant, l’adoubement de Brienne par Jaime est le prolongement logique de leur authentique fraternité d’armes. Et la nuit passée par Arya dans les bras de Gendry humanise enfin la machine à tuer préférée des fans : avant la fin du monde, que diable aurait-on fait d’autre à sa place ?

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  • Avec ses 55 nuits de tournage, The long night fut annoncé comme LE sommet de la saison. Pour être savourée à sa juste valeur, cette sombre chorégraphie requiert mieux qu’un téléphone ou une tablette. La charge vaine des Dothrakis, les ruptures de rythme autour de la fuite d’Arya dans les couloirs de Winterfell, l’envol d’un Drogon affolé et couvert de goules, les sacrifices de Beric Dondarrion, Theon Greyjoy ou la famille Mormont, l’incroyable plan séquence suivant Jon Snow dans les ultimes minutes de l’affrontement, comme le rebondissement final, sont le travail d’orfèvre du réalisateur Miguel Sapochnik. Fait remarquable, ni Jon, ni Dany ne sauvent l’humanité. Et la fin des White Walkers à 3 épisodes du terme rappelle cette vérité simple d’A song of Ice and Fire : la saga parle avant tout des hommes, des familles, et du pouvoir. Pas de magie ou de méchants Mister Freeze. Comme dans l’oeuvre d’un George Romero, la manière dont les protagonistes appréhendent la menace extérieure importe plus que les zombies eux-mêmes.
  • Il fallait un plantage à la saison 8, et The last of the Starks fut un modèle du genre. L’intention était pourtant passionnante : montrer comment, une fois repoussée la menace des White Walkers, le jeu des trônes reprenait parmi les adversaires de la reine Cersei et conditionnerait toute la suite. La façon dont la révélation de l’identité de Jon devient une arme par destination et sème la discorde est intéressante. Mais, même à marche forcée, certains choix laissent songeur. Ainsi, la nuit que passe Jaime auprès de Brienne juste avant de partir sauver sa soeur manque franchement de cohérence. L’embuscade coûtant la vie à Rhaegal est d’une invraisemblance achevée. On cherche l’utilité profonde de Bronn dans le bazar. Comme on s’interroge sur le choix de Cersei, quitte à refuser de capituler, de ne pas exploiter sa chance d’occire Daenerys, Drogon ou son frère honni Tyrion lors de la négociation finale (N.B. : un scorpion tire plus loin qu’un arc…). Kit Harrington aurait qualifié l’épisode de « shakespearien ». Il est permis d’imaginer que Shakespeare aurait mieux troussé son affaire.

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  • Le chef d’oeuvre de la saison 8 s’intitule The bells, sans doute le plus « martinien » de ses épisodes. Miguel Sapochnik est de retour à la réalisation, et l’on y attend une nouvelle orgie de castagne épique, riche de rebondissements. Que nenni : il s’agit d’un massacre, visuellement sublime, à supporter jusqu’à la nausée. « Vous aimez ça, la guerre, hein ? » On entendrait presque ricaner le barbu à casquette lorsque la Reine dragon fait pire que les Lannister au soir du renversement de son père : elle ne met pas à sac Port Réal, mais la détruit. Passons outre l’improbable furoncle qu’est l’affrontement entre Jaime et Euron : chaque protagoniste livre sa vérité. Dany choisit le pouvoir absolu, Sandor et Ver gris la vengeance, Varys l’intégrité, Arya la vie, Cersei, Jaime et Tyrion la famille, tandis que Jon contemple médusé l’étendue de son échec victorieux. Rare moment de fan service dans l’épisode, le duel des frangins Clegane dans un Donjon Rouge en flammes est proprement virtuose. À l’antique lecteur que je suis, Game of Thrones a donné son Baelor ou ses Pluies de Castamere. C’est un tour de force.
  • Pour clore le golgoth culturel qu’est devenu la série, Weiss et Benioff assurent la réalisation de The Iron Throne. Cet épisode est une épure : résolution, puis conséquences. Simplicité et plans écrasants sont au menu. Les livres étaient formels : en imposant Daenerys, Jon et Tyrion comme principaux points de vue, ils désignaient ceux qui décideraient de l’issue du jeu des trônes. La série ne dit rien d’autre. L’orpheline exilée a gagné la guerre, mais brûlé ses principes. Le faux bâtard fera prévaloir les siens sur l’amour et l’ambition. Et c’est le nain méprisé qui aura décidé de tout. Tel le Roger Federer du printemps 2017, le Tyrion sauveur de Port Réal renaît de ses propres cendres une fois la ville consumée. La caméra montre le petit homme projeter une ombre immense, comme le prophétisait Varys, alors qu’il convainc le roi légitime de faire son devoir. Comme souvent dans la saison, ce qui suit la mort de Daenerys est à peu près cohérent, même si la façon de l’amener pose question – les seigneurs de Westeros sont ainsi bien prompts à accepter la sécession du Nord, comme les Dothrakis à débarasser le plancher, ou Tyrion à confier les finances du royaume à son Alexandre Benalla. Il est permis de s’en cogner : alors que des travelings parallèles accompagnent vers leur destin ce qui reste de la meute des Stark, c’est l’incroyable chemin parcouru par ces gamins brisés devenus héros que l’on se remémore en assumant sa larmichette.

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Cette saison 8 constitue l’issue imparfaite d’un succès planétaire assez inouï. Les reproches portant sur son écriture sont parfaitement légitimes, surtout en ce qui concerne la préparation bâclée de certains rebondissements, dans la droite ligne de la précédente. Le sacrifice du juste timing est d’autant plus difficile à admettre pour le lecteur habitué à l’infinie méticulosité de George RR Martin. Reste que son esprit général s’avère largement conforme à la philosophie de l’auteur, comme à la conclusion « douce-amère » annoncée. De ce point de vue, la saison 8 ne trahit ni ses aînées, ni l’oeuvre dont elle est inspirée. Il faut sans doute voir dans bon nombre des récriminations exprimées un signe des temps, la tendance généralisée au recours à change.org au premier embryon de contrariété venu.

On pense particulièrement aux zélateurs des jeunes, beaux et talentueux Jon Snow et Daenerys Targaryen, dont l’accouplement de la fin de la saison 7 a sans doute fait exploser les tirages du pendant westerosi de Closer. Aucun des deux ne finit sur le Trône de Fer, et l’imputer à une narration défaillante fait fi de l’essence même d’A song of Ice and Fire. George RR Martin a construit sa légende sur son refus de donner au public ce qu’il attendait, et moins encore ce qu’il réclamait, puis sa capacité à lui faire comprendre pourquoi. Que Weiss et Benioff y soient restés fidèles en 2019, pour la conclusion du plus grand show télévisé du monde, est un pur témoignage d’intégrité artistique. Jamais Jon Snow ne s’est senti plus Aegon Targaryen que fils illégitime de Ned Stark, et son sens politique est proche de celui du Dominique de Villepin de la dissolution de 1997. Quant à Dany, dont la transformation en Mad Queen semble concentrer pas mal de griefs… Tyrion se charge de récapituler, au début de The Iron Throne, toutes les preuves que ses supporters avaient sous les yeux depuis longtemps.

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Comme il n’est pire aveugle que celui qui refuse de voir, bien des aficionados de la Mère des dragons ont volontiers omis la lignée consanguine de psychopathes avérés dont elle était issue, ou la quantité de différends qu’elle régla en barbecues improvisés ou crucifixions pour l’exemple. Voire, son intention initiale de brûler Port Réal avant que Tyrion ne l’en dissuade en saison 7, ou l’air presque placide qu’elle arbora devant le meurtre de son frère, certes dégénéré, dès le sixième épisode de la série. Sans compter son songe prémonitoire dans la maison des Non-mourants à la fin de la saison 2. Emilia Clarke elle-même confessa avoir été choquée par l’avènement de la Mad Queen… tout en reconnaissant que Weiss et Benioff avaient demandé de subtiles modifications de son jeu au fil des saisons, pour instiller une pointe de fille d’Aerys II dans l’attitude de la Briseuse de chaînes convaincue de faire le bien. La série de contrariétés et trahisons essuyées lors des premiers épisodes de la saison 8, en plus de son immense dépit amoureux, ont fait le reste. De grâce, que l’on cesse de taxer d’impréparation le tournant le mieux amené de tout Game of Thrones. C’était nos yeux, les gars.

La vexation que beaucoup expriment à avoir loupé ce train-là ne traduit pas qu’un Nième caprice de snowflakes, et c’est heureux. Leur attachement à la représentation qu’ils se sont construite d’un dénouement parfait est viscéral. Ce qui dit autant le rayonnement culturel sans précédent de Game of Thrones que sa quantité astronomique de téléchargements illégaux. Pas mal, pour l’adaptation télévisée d’une oeuvre littéralement conçue pour être inadaptable… De quoi mesurer le succès de ses producteurs, comme celui du génie qui les inspira. Pour qualifier d’échec cette saison 8, j’attendrai une série d’une ampleur comparable, et dont le dénouement fasse consensus parmi des dizaines de millions de fans des années 2020 et au-delà. L’attente pourrait bien durer aussi longtemps que celle de The winds of winter et A dream of spring. En espérant avoir pu les lire d’ici-là.

Un commentaire sur “Le point de vue du lecteur : faut-il brûler la saison 8 de Game of Thrones ?

  1. Excellent article. Etant moi-même un admirateur des bouquins en plus de la série, je pense être plus ou moins sur la même ligne que toi. J’étais également enchanté par la qualité de la série durant ses quatre premières saisons mais dès que le matériau d’origine a commencé à manquer, l’écriture est tombée dans les escaliers. A tous les niveaux (dialogues, intrigue, cohérence, etc…).

    La première grande déception fut le triste sort réservé à Littlefinger. A ce moment j’ai eu l’impression que les scénaristes m’ont dit à peu près ça : «Bon les intrigues politiques un minimum complexe faut oublier, du coup on vire Littlefinger il sert à rien.»
    Le deuxième a été la fin des Marcheurs Blancs, dont le Roi de la Nuit se fait avoir par un simple tour de passe-passe d’Arya. Cette fois les scénaristes m’ont susurré « La magie c’est marrant 5 minutes mais on doit se recentrer sur Daenerys vs Cersei, en plus il nous reste que trois épisodes.»
    Et enfin je n’ai pas été convaincu par le revirement de Daenerys. D’accord elle a toujours été extrêmement cruelle envers ses adversaires (qui étaient pour la plupart des tyrans) mais de là à brûler vifs des innocents de manière gratuite, il y a un énorme pas à faire. Pas que la perte d’un dragon et d’une amie ne suffit pas à franchir. Une Daenerys maléfique je n’ai rien contre mais il fallait mieux préparer le terrain.

    Rajoutons à cela l’accumulation d’incohérences et de choix douteux et on se retrouve avec une série tout juste bonne.

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