Vademecum metallum / Partie 2 : les États-Unis

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Vademecum metallum Partie 1

Le principe : des chansons et des groupes qui pèsent, juste choisis par moi. Voilà.

6/ Ride the lightning, de Metallica

Pour beaucoup de hardos, à des degrés divers, il est de bon aloi de mépriser ce qu’est devenu Metallica. Non pas parce qu’ils ont tué Napster, ni même au motif d’une créativité artistique en berne depuis 30 ans. Pas plus parce que le batteur Lars Ulrich donne envie de l’étrangler à quiconque l’écoute parler plus de trente secondes. Ou en vertu d’un supposé traitement de faveur de la part des médias spécialisés, alors que Megadeth jouerait tellement plus technique et Slayer tellement plus vite. Non, ce qu’on reproche à Metallica est surtout leur offense ontologique faite au thrash, une famille du métal définie par son absence totale de compromis, dans la musique comme dans l’attitude. Alors qu’ils étaient les rois d’une sous-culture de skaters tatoués et de musicos autistes, les bougres ont décidé qu’ils voulaient remplir des stades.

Sorti en 1991, Metallica, couramment appelé « Black album », démocratisa assez le riff de bûcheron et la double grosse caisse pour entériner le passage du groupe du côté lumineux de la force. 30 millions d’exemplaires vendus à grand renfort de ralentissements proprets et de power ballads incongrues, l’accès au statut de rock stars planétaires, et le fond du trou 13 ans plus tard lorsqu’un fascinant documentaire révèla les dessous du poussif accouchement de St Anger, pire galette de l’histoire de ces ex-ados colériques devenus riches à crever, entre recours à un coach-thérapeute, palabres interminables sur l’amour perdu entre les fondateurs Hetfield et Ulrich, et sidérante vente aux enchères des tableaux de maîtres du second en vue de « prendre un nouveau départ ».

Pouah.

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Reste la question, d’autant plus aigüe à l’écoute du monument de rage punk et boutonneuse que fut leur premier album Kill’em all, de savoir si le cynisme seul les a rendus riches et célèbres. Et la réponse est « non ». S’ils n’étaient pas nécessairement les plus grands musiciens du lot, ils ont écrit quantité des meilleurs chansons de thrash metal. Pour pondre un Black album, il fallait déjà assez de talent pour enchaîner des LP de la trempe de Ride the lightning et Master of puppets à 21 puis 23 piges. L’équilibre entre puissance, virtuosité et musicalité de ces chefs d’oeuvre épate toujours en 2019, qu’il s’agisse des thrashers les plus véloces et brutaux (Battery, Creeping death), des hymnes imposants joués midtempo (For whom the bell tolls, The thing that should not be), des incursions dans la ballade dépressive (Welcome home (sanitarium), Fade to black) ou l’instrumental (The call of Ktulu, Orion), voire des constructions hybrides et complexes d’inspiration classique, aux transitions soignées, dont la plus emblématique est Master of Puppets.

La chanson éponyme de Ride the lightening appartient elle aussi à cette dernière catégorie. Dans la veine des thèmes sombres chéris par le thrash metal, elle évoque le prochain passage sur la chaise électrique d’un condamné à mort. Sa détresse saute à la gorge dès les premiers accords. Suit un riff élémentaire et prenant, support des paroles d’un Hetfield à son meilleur, puis une supplique sur une nouvelle phrase musicale, avant qu’une rupture de rythme annonce le solo inoubliable de Kirk Hammett qui accélère progressivement, parfaite illustration du propos. À ce moment-là, on frit. La conclusion reprend le riff principal, puis les accords déchirants de l’ouverture. Enregistrée sur la dernière tournée, la version qui suit est absolument monstrueuse, servie par quatre horsemen au top de leur art. Vraiment la classe, pour des vendus.

7/ Welcome to the jungle, de Guns n’Roses

Justice immanente ? Le succès considérable du Black Album ne fit pourtant pas de Metallica le plus grand groupe de rock du moment. La faute à la démesure du nouveau projet des autres Californiens de Guns n’Roses, sorti à peine un mois plus tard. Pas un, mais deux albums intitulés Use your Illusion I et II, vendus à quelques millions d’exemplaires de plus. Le thrash nourissait entre autres l’ambition de déboulonner les icônes à manteaux de fourrure du hard rock d’antan, incapables de causer d’autre chose que de sexe, de drogue et de rock n’roll… comme de cesser d’inspirer les gazettes en mettant leurs textes en pratique. G n’R résista à l’offensive en poussant à leur paroxysme les figures imposées des bad boys de tabloïds, de chambres d’hôtels dévastées en paroles toujours plus ordurières, en passant par les guerres d’égos sur fond de cocaïnomanie galopante et les retards de plusieurs heures sur scène – quand il prenaient la peine de s’y pointer.

Guns n' Roses At The Troubadour

La meute de l’ombrageux frontman Axl Rose érigea la provoc’ en outil marketing, puis en système organisé, hélas voué à sa propre perte. Telle une supernova, le groupe implosa au mitan des années 90 ; il n’aura guère survécu au limogeage du batteur Steven Adler, perdu dans la poudre, et surtout au départ du complice d’Axl et second guitariste Izzy Stradlin, pour incompatibilité artistique et de caractère avec son ami de 15 ans. Dépositaire de la marque, le control freak Axl Rose poursuivit en solo jusqu’en 2006 la confection de son grand-oeuvre étrange et surproduit intitulé Chinese democracy, auquel l’Histoire rendra peut-être justice plus facilement que moi. Sans trop balancer, on peut affirmer que son style de beauté se situe aux antipodes de celui de la première galette des Guns Appetite for destruction, datée de 1987, le premier album le plus vendu de l’Histoire.

Enregistré sur cinq mois en prise unique, pour se nourir de l’énérgie dégagée par le groupe au complet, il fut un modèle d’irrévérence et de spontanéité ; de quoi faire glisser moins péniblement la fin des années Reagan pour une génération saturée de matérialisme condescendant. L’alchimie entre le charisme autocentré de Rose, le cerveau de Stradlin, la « fuck you » attitude du bassiste Duff McKagan et le toucher incomparable de « celui qui s’appelle lui-même » Slash offrit à la censure américaine une cible de choix, et au hard rock un nouveau totem. Cinquante trois minutes et vingt trois secondes d’outrances narquoises gorgées de blues traditionnel, parce que les zozos connaissaient leurs classiques, que les envolées métalliques, la section rythmique sous créatine et les couinements de scie d’Axl rendent éligibles à la grande confraternité du metal hurlant. Le son du premier titre Welcome to the jungle, qui relate les impressions hallucinées d’un Axl Rose fraîchement débarqué à LA de son Indiana natal, a la puissance d’évocation d’un enregistrement live. À sa simple audition sur album, on voit le clip ci-dessous – voire, on respire de doux effluves de soufre mêlé de transpiration. Je vous laisse imaginer ce qu’inspire l’ode finale aux corps qui exultent intitulée Rocket queen.

8/ Epic, de Faith no more

Le metal américain des années 90 ne se résume pas à une fusillade nourrie opposant thrash et hard rock : la décennie où achève de se populariser le gros son qui tâche est aussi un riche terrain d’expériementation pour quiconque refuse les étiquettes. Ainsi, l’objet sonore non identifié baptisé Faith no more. L’histoire mérite d’être narrée : il était une fois un facétieux groupe de funk porté sur l’amplification dont une parodie de We are the world constitutait le principal fait d’armes. Les jeunes gens en question se trouvèrent fort dépourvus lorsqu’ils durent virer leur chanteur, fatigués de se mettre continuellement sur la gueule. Lorsque le guitariste « Big » Jim Martin suggéra le recrutement d’un certain Mike Patton, toutes les fées disponibles applaudirent à la cantonade. Patton avait fait ses premières armes dans son groupe expérimental de lycéen, et débordait d’idées : suite à son entretien d’embauche – « dans une pizzeria » -, il pondit l’intégralité des paroles d’un nouvel album, intitulé The real thing, qui leur valut quelques mois plus tard force accusations de plagiat de la part des Red Hot Chili Peppers, en même temps qu’un joli succès populaire.

Le style de The real thing, volontiers humoristique, s’appuyait sur une grosse basse brute et bien funky, mais variait déjà allègrement du thrash de cirque (Surprise, you’re dead!) à la quasi new-wave (From out of nowhere), en passant par la reprise magistrale d’un momument du heavy metal (War pigs). Autant dire qu’on était prévenus. Bombardés têtes d’affiche par le succès de l’album, les mecs approfondirent leur théorisation du n’importe quoi sur le bien nommé Angel dust, quintessence d’inspiration droguée, sorti en 1992. Comme en témoigna son single vedette Midlife crisis, l’album s’avèrait une sorte de collage improbable dont le parolier Patton avait conçu l’essentiel des textes sans guère dormir, entre programmes télé de la nuit, messages issus des fortune cookies de restaurants asiatiques et patiente observation de la faune hantant les fast foods des bas quartiers de Los Angeles. C’en fut trop pour Big Jim Martin, qui quitta le groupe en dépit d’un nouveau record de ventes, lassé de produire ce qu’il résuma comme étant du « disco gay ». On peut dater la fin de la belle histoire à ce moment précis.

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Faith no more a certes survécu à ce schisme, comme aux divers loopings qui ont suivi. L’album qui succéda à Angel Dust, King for a day… fool for a lifetime, contient le brutal et brillant Digging the grave, thrasher sur lequel Mike Patton est peut-être à son meilleur, alternant chant mélodique et hululements de psychopathe – notons que certains de ses projets personnels ne comportent pas de chant articulé au sens classique du terme. Le reste du disque, oscillant entre country, gospel et bossa nova, flanquera un fameux mal de crâne à ceux qui tentent de le définir. C’est là que j’ai décroché, non sans accorder tout mon respect à cette bande de défricheurs foutraques, ni sans leur savoir gré de nous avoir donné Epic, titre emblématique du funk metal enfiévré entr’aperçu sur The real thing. Le groove heurté du morceau fonctionne à merveille, et profiter du talent bien particulier de Mike Patton consiste à suivre l’image avec le son. Je n’en dirai pas plus. Ceux qui reprendraient bien un peu de fusion peuvent tenter la collaboration entre Faith no more et Boo-ya t.r.i.b.e sur Another body murdered. Et lire la suite.

9/ Body Count’s in the house, de Body Count

Les hardos afro-américains ont ceci de commun avec les rappeurs blancs de là-bas qu’on les repère d’assez loin. On évitera le pensum sociologique en laissant aux experts en serrurerie de portes ouvertes la question du « pourquoi ? » pour s’intéresser à l’oeuvre d’un pilier de la convergence entre heavy metal et hip-hop, le toujours très fâché Tracy Lauren Marrow, plus connu sous le surnom d’Ice-T. Il n’est certes pas l’inventeur de la fusion entre rock énervé et musiques dites « urbaines » : rappelons dans ce domaine l’influence des newyorkais de Living Colour, lauréats du Grammy award de la meilleure chanson de hard rock dès 1989 pour l’excellent Cult of personality, voire le duo mythique entre Run DMC et Aerosmith sur Walk this way trois ans plus tôt, ou celui qui réunira ensuite Public Enemy et Run DMC sur Bring the noise.

Ice-T, lui, pousse les curseurs de la fusion à fond les ballons : le bonhomme ira jusqu’à coopérer avec les malabars de Slayer sur la berceuse toute choupi Disorder, inspirée des punks de The exploited. Grand fan de heavy metal à l’adolescence, il monte un groupe de rock avec des copains de lycée, qu’il reviendra solliciter une fois lancée sa carrière de rappeur. Louons la carte scolaire des quartiers chauds de LA d’avoir réuni des talents de la trempe d’Ice-T et son pote Ernie-C, futur lead guitar de Body Count. Gaucher comme lui, l’autodidacte ébouriffé Ernie se montre aussi zen que son chanteur est chatouilleux sur scène ; il est aussi, à mon humble avis, un guitariste de thrash metal globalement sous-coté. Son jeu savant, rapide et lourd, allié au phrasé mi-rappé mi-crié d’Ice-T et ses textes suintant d’humour acide, va plus loin dans l’évocation d’une guerre civile que l’essentiel des sons du hip-hop.

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À propos de guerre civile, le premier album de Body Count aurait dû s’appeler Cop Killer, du nom d’un titre devenu polémique nationale au temps de George Bush Sr. Il est rituellement joué depuis à la fin des concerts du groupe, mais fut tout de même retiré de la galette rebaptisée Body Count. D’une subtilité certes discutable, Cop Killer s’attaque aux violences policières de l’époque en livrant le point de vue d’un exécuteur noir qui rend les coups à ses adversaires en uniforme. On aurait certes tort de s’arrêter à cette seule piste pour qualifier les positions politiques du groupe : dans le très heavy Momma’s gotta die tonight, le narrateur débite sa mère en menus morceaux après qu’elle lui a reproché de lui avoir présenté une petite amie blanche. Vous l’aurez compris : le racisme, c’est mal. Ouais. Au moins Body Count s’en attaque-t-il à toutes les formes, et donne de quoi en rigoler – tel le message d’amour débordant pour les femmes de nazis, skinheads et membres du Klan de KKK bitch.

Également issue de ce premier album, ma chanson favorite de Body Count est désormais associée à un regret collant : celui de ne l’avoir pas entendue lors du Hellfest 2018, alors qu’elle ouvre classiquement les sets du groupe. Dieu sait si Body Count’s in the house fait le job avec précision, puisque la quasi intégralité de ses paroles sont incluses dans son titre. Tout juste le frontman en interrompt-il la scansion furieuse pour présenter les membres de Body Count, en finissant par se désigner d’un définitif « and I’m Ice motherfuckin’T, bitch ! ». Sauf à priser les discours introductifs prononcés en flamand, épargnez-vous la première minute 40 de la vidéo qui suit, et savourez cette intro à grosse puissance d’arrêt. Et pourquoi pas poursuivre sur le reste du gig ? Ça poutre.

10/ Would?, d’Alice in chains

Avec ses guitares saturées et ses hymnes qui tabassent – réécoutez donc Smells like teen spirit ou Alive des ennemis Nirvana et Pearl jam pour éclairer la question – je n’ai jamais vraiment douté de l’appartenance du grunge au métal. Ces gens-là prenaient le son amplifié au sérieux, à défaut de toujours susciter mon enthousiasme d’adolescent. À l’époque, si je voulais vraiment ma dose de mal-être apathique et de mépris pour l’hygiène corporelle, il me suffisait de me regarder dans la glace. Quelle échappatoire proposait vraiement une musique rappelant à ce point mon quotidien ? Bref, je préférais mon métal le torse bombé et le doigt bien haut.

Comme pour toute position de principe un rien lapidaire, il m’arriva de faire des exceptions, notamment parce que les voix d’un Eddie Vedder ou d’un Chris Cornell exprimaient plus de nuances que celles de mes hurleurs favoris. Je n’ai pas découvert Alice in Chains très longtemps avant que Layne Staley ne gobe la speedball de trop, et l’album Dirt, consacré aux addictions variées du quatuor de Seattle, est le seul que je possède de leur discographie. Au chant, les polyphonies de Staley et du guitariste Jerry Cantrell n’ont jamais cessé de me fasciner ; on peut y ajouter la basse oppressante du regretté Mike Starr.

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Dirt regorge de pépites tourmentées, que je trouve suffisamment élégantes pour leur passer l’agaçante complaisance inhérente à leur genre. La brève ouverture Them bones, au riff puissant. L’atmosphérique RoosterAngry chair, d’un glauque consommé, guère éloignée du doom metal. Mais le tube absolu de l’album reste pour moi Would?, dont les paroles énigmatiques concernent l’overdose du chanteur du groupe Mother love bone. Tantôt râpeuse, criée ou harmonieuse, la voix de Layne Staley y sonne à son meilleur. Peut-être lui accorde-je un traitement de faveur immérité par rapport à un Kurt Cobain. A priori, les deux s’en foutent. Notez bien que William DuVall, remplaçant de Staley, s’acquite fort bien de sa tâche, dans un style plus apaisé, mais avec une tessiture étonnamment proche.

Malus / Raining blood, de Slayer

Parler de Slayer comme d’un « bonus » reviendrait presque à se montrer discourtois vis-à-vis des intéressés : depuis toujours, ces gens-là s’emploient à faire mal, ce qui ravit leurs inconditionnels. Je me dois aussi de préciser qu’on quitte assez franchement, avec eux, le registre de l’audible, et ce pour une large majorité d’êtres humains. Slayer n’offre ni fleurs, ni mots doux à l’oreille avant de posséder son auditoire ; qu’il s’agisse des paroles outrancières, du chant hurlé ou de la musique conjuguant rythme dément et ruptures diaboliques, ils assènent leur art comme une putain de sanction.

On est ici à la limite de ce que je supporte moi, mais leur album Reign in blood de 1986 demeure un objet de vénération chez les métalleux, en plus d’avoir ouvert la voie aux styles plus extrêmes dont il ne sera pas fait mention dans ce tour d’horizon très personnel. De quoi susciter quelque curiosité chez les plus aventureux d’entre vous. J’ajoute que le concert d’adieu reçu en pleine gueule au dernier Hellfest ne m’a pas déplu. Et puis, comme en témoigne cette vidéo de leur standard Raining blood, les papys malfaisants sont désormais suffisamment ancrés dans la culture populaire pour passer chez Jimmy Fallon. Goûtez donc. Rien qu’une fois.

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