Le contrat, Donald Westlake

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Avec plus d’une centaine de romans publiés, Donald Westlake connaissait les beautés et les vilénies ordinaires du monde de l’écriture. Prolifique au point d’être soupçonné d’avoir recours à des prête-plume, il dut adopter quantité de pseudonymes, selon les héros et registres exploités. S’il est fameux pour avoir crée l’impitoyable Parker et le désopilant Dortmunder, personnages récurrents de ses séries de polars les plus profuses, Westlake s’est aussi frotté au roman d’aventures – lisez Kahawa -, à la chronique de moeurs mélancolique – jetez-vous sur Ordo, Adios Schéhérazade et Mémoire morte – et à la satire sociale à la sulfateuse, dont le plus formidable représentant est Le couperet, adapté au cinéma par Costa Gavras. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient Le contrat, roman pervers se déroulant dans le milieu de l’édition new-yorkaise du début des années 2000.

Bryce Proctorr est un auteur à succès, millionnaire et reconnu jusque dans la rue. Il traverse cependant une terrible panne d’écriture, tout entier accaparé par sa procédure de divorce, au point de risquer manquer sa prochaine échéance contractuelle. Wayne Prentice, qu’il a connu dans sa jeunesse, écrit toujours, mais la disgrâce que lui valurent un ou deux semi-échecs commerciaux l’empêche désormais d’être publié. Alors qu’il croise Wayne au hasard d’une visite à la bibliothèque, un plan germe instantanément dans son cerveau de romancier : il proposera le dernier manuscrit de Wayne comme étant le sien, et lui cèdera la moitié des revenus… si l’autre supprime sa future ex-femme Lucie.

Wayne accepte facilement le marché. Son épouse Susan, dont il vit aux crochets, aussi. Le récit de Westlake y perd en vraisemblance ce qu’il gagne en intérêt, puisque son sujet n’est pas le sens moral des protagonistes, mais l’étrange duo d’écrivains-assassins que forment Bryce et Wayne. La star et son prête-plume envisagent autrui comme un nième personnage de fiction, dont ils disposent comme ils l’entendent. Le sort de Lucie est d’ailleurs réglé avant la page 100, à l’issue d’une scène surprenante de brutalité. S’ouvre alors une relecture tordue de la dialectique du maître et de l’esclave : alors que Bryce, toujours incapable d’écrire, ressasse son inavouable frustration de n’avoir pas donné les coups fatals, le couple Prentice prend goût à l’ascension sociale que lui vaut la dépendance de Bryce à l’inspiration de Wayne.

Le mystère de la création littéraire et de l’angoisse de la page blanche, l’hypocrisie intéressée en vigueur dans les maisons d’édition, comme la superficialité de la bonne société qui passe ses semaines à Manatthan et ses week-ends dans le Connecticut sont autant de matériaux que Westlake maîtrise parfaitement, versant cette fois plus volontiers dans l’ironie que dans le burlesque.

« L’essentiel de la préparation de ses romans se déroulait à la bibliothèque ou au téléphone, en compagnie de spécialistes. Il avait compris très tôt qu’il pouvait téléphoner à pratiquement n’importe qui, dans le monde entier, de la délégation israélienne auprès des Nations-Unies jusqu’au siège social de Budget Auto Rental, dire  » Je suis écrivain, je travaille sur un roman, et je me demande si vous pouviez me renseigner sur…  » pour que les gens interrompent immédiatement ce qu’ils faisaient, répondent aux questions, fassent des recherches, lui consacrent autant de temps qu’il le voulait, puis lui souhaitent bonne chance à la fin de la conversation. C’était une des grandes ressources secrètes de l’auteur de fiction, ce plaisir que prend le reste du monde à participer à l’élaboration de la fiction. »

Pour autant, Le contrat n’a rien d’une fable joyeusement amorale qui verrait ses personnages se satisfaire à jamais de l’équilibre de leurs mensonges et secrets. La menace s’installe, qu’elle vienne d’un placide enquêteur new-yorkais, lui-même romancier à ses heures, de l’hostilité latente entre les complices, ou du développement de leurs névroses à vitesse V. Et la fin est glaçante. Personne mieux que Westlake ne savait combien il faut savoir se méfier des écrivains.

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