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Quitte à reprendre du dessert, un sorbet prévient plus sûrement l’écoeurement qu’une nouvelle part de Forêt noire épaisse comme la Bible. Même l’inconditionnel que je suis des empilements dantesques de génoise, Chantilly et cerises au kirsch en conviendra. Après s’être régalé d’un massif roman choral américain, gorgé de personnages et de rebondissements sur plusieurs décennies, lire Antoine Choplin est un ravissement.
Ses romans ont de faux airs de nouvelles, avec leur grosse centaine de pages aérées, leurs chapitres éflanqués et leurs courts paragraphes distillant des phrases simples et élégantes. De quoi comprendre qu’ils suscitent l’enthousiasme de lecteurs chevronnés, jamais à l’abri d’une indigestion. Ceux-ci succombent aux charmes essentiels de l’unité de temps et d’action, quand bien même le passé oppresse toujours, et les lieux s’alternent au gré de promenades aux allures de fuites ou de pélerinages.
L’épure et la suggestion, voire un humour aimablement décalé, laissent souvent la gravité hors champ. Il ne s’agit certes pas d’un évitement, puisque le lecteur est obsédé par elle ; simplement, Choplin nous laisse le monopole de la pesanteur, à mesure que l’on cherche à comprendre l’émotion irrépressible que suscite le texte.
Neuf ans séparent Cour Nord de Partiellement nuageux, dernier titre de l’auteur. Les fondementaux en sont identiques : dire avec pudeur, à la première personne, toute la difficulté d’aimer lorsque l’on porte un deuil. Dans Cour Nord, la grève à laquelle participent Léopold et son père, ouvriers du Nord – Pas-de-Calais des années 80, fait office de prétexte pour évoquer deux hommes qui se supportent au quotidien, à la fois unis et déchirés par le souvenir de la mère et épouse décédée.
« Un soir, on a remarqué ça avec Gasp, les traits de pluie forcissant dans le halo des phares de voitures. On s’est mis à espérer le tapis blanc du petit matin, la rumeur adoucie de la ville, les lumières fortes. Et pourtant, quelques heures plus tard, quand la nuit s’est effacée, on a ouvert les volets sur cette neige toujours indécise, humide, et tenant mal au sol. La même qui continue, aujourd’hui encore, à dégringoler des nuages tout proches. »
Ernesto, narrateur de Partiellement nuageux, est un astronome chilien. Lui doit cohabiter avec son chat Le Crabe, un télescope surnommé Walter, et de rares photos de sa fiancée disparue sous Pinochet. Au musée de la Mémoire de Santiago, il rencontre une femme. À l’évidence, ils se plaisent. Mais pour cette promesse de couple, les fantômes de la dictature font un ciment bien douteux.
« On s’est promenés un peu dans le jardin botanique avant de s’asseoir sur un muret en pierre, à l’ombre d’un figuier. En face de nous, l’eau ruisselait sur toute la largeur d’un dévers moussu qui surplombait un bassin où l’on voyait glisser des carpes.
On s’est lâché le bras parce que c’est une chose de se le tenir en marchant en ville, c’est une autre chose de se le tenir assis l’un à côté de l’autre, dans un coin bien tranquille. »
Pour n’avoir lu que ces deux romans de l’auteur, je hasarderai l’hypothèse suivante : inchangée sur le fond, sa démarche a gagné en maturité. Le dépouillement et l’ellipse sont devenus poésie. J’irai ailleurs chercher plus de mâche, mais les deux autres titres d’Antoine Choplin qui attendent dans ma pile à lire ne survivront sans doute pas à ma prochaine envie de sorbet.
Vous avez un indéniable talent de conteur
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C’est bien aimable !
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