72 Seasons, Metallica

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L’enjeu de ces 72 saisons, le temps réputé définir la personnalité d’un individu, ce sont les 240 qu’atteindront cette année les cofondateurs de Metallica James Hetfield et Lars Ulrich. Après avoir été pionniers puis innovateurs géniaux, superstars inattendues, divas vendues et honnies, expérimentateurs arty pas franchement convaincants et habiles briscards de stades pleins, les voici qui achèvent leur ascension en abordant le glacis final. Il s’agit désormais d’avancer sur le plateau en pente douce avec suffisamment d’aplomb pour bercer les nostalgiques à fort pouvoir d’achat qui peuplent leurs concerts sans chute sur le derrière et glissade accélérée jusqu’au dernier ravin.

Loin d’être le pire du lot

L’affaire commence par rendre une copie propre en fait de nouvelle galette, déjà sept ans après la précédente. Or, un peu comme la frite molle, le thrasher sexagénaire souffre d’un problème ontologique avant même qu’on s’efforce de jauger ses qualités objectives : d’aucuns affirmeront, non sans raison, qu’il ne devrait pas exister. De fait, les rockeurs ayant quoi que ce soit de neuf à raconter passé 40 ans de carrière n’abondent pas. Beaucoup préférèrent mourir plus tôt pour s’épargner la gageure. Or il s’agit ici de thrash metal, un sous-genre ultra énervé crée pour ravir skateurs et boutonneux qui s’accommode d’autant moins bien de hanches en titane et d’examens de prostate. Que dire alors de ce qu’on appellera peut-être le Yellow Album de Metallica ? Qu’il n’ajoute rien d’autre à la discographie des Mets que le fait déjà méritoire d’exister sans être le pire opus du lot, tant s’en faut ; Reload et St Anger peuvent toujours se disputer la triste distinction.

Un artwork qui farte

Il s’inscrit résolument dans un continuum qu’on pourrait nommer le « Metallica dernière époque » et représente même une progression par rapport à Death Magnetic (2008) et Hardwired… to self destruct (2016) en stricts termes de production. Le groupe aura donc mis 15 ans à envoyer un son à la fois puissant et moderne en studio sans fatiguer l’oreille à force de compression. Ce qui tombe bien, vu qu’à 77 minutes cet album-là est encore un poil trop long – Lars affirme lire les commentaires des fans en ligne, après quoi il se confirme que le mec prend plaisir à nous troller. Un premier bon point : Metallica respecte sa propre tradition des openers majestueux et tonitruants. « C’en est » peut-on déjà affirmer à l’issue du titre éponyme. On s’aperçoit dans la foulée que les quatre singles déjà diffusés à date furent bien choisis : en plus de 72 Seasons, donc, les Screaming suicide, If Darkness had a son et Lux Aeterna sont à classer parmi les plus réussis des 11 titres proposés.

Vers une déclivité joyeuse

Ajoutons que les highlights sont intelligemment répartis sur l’album, évitant un syndrome de la face B maigrelette déploré sur Hardwired… et remontant, pour les plus ronchons, au pourtant monumental Metallica de 1991. Si 72 Seasons est plus équilibré que son prédécesseur immédiat, il se déroule principalement en mid-tempo et manque d’une vraie bombe speed à la Spit out the bone, un pur banger à l’ancienne garanti 100% créatif et rageux que ne sont pas tout à fait le très concis Lux Aeterna ou l’un poil plus convenu 72 Seasons. Ce qui n’empêche pas Metallica de finir honorablement son travail avec le duo Room of Mirrors (LA bonne surprise à la All nightmare long piochée parmi les titres de rembourrage, dynamique et tout en ruptures de rythmes) / Inamorata (dont les 11 minutes progressives emmerdent moins le monde que plus d’un titre longuet des Californiens). Au reste, pas de vrai bide à déplorer, à la possible exception d’un Crown of Barbed Wire qui fait craindre un instant que le disque soit rayé.

Toujours vivants, toujours debouuuut…

Considérés un par un, les vétérans tiennent plutôt leur rang. Le petit nouveau de 2003 Rob Trujillo, qui a cette fois participé à l’écriture de trois titres, est aussi parfait qu’à son habitude et a l’insigne honneur d’être un peu entendu, comme sur l’ouverture très évocatrice de Sleepwalk my life away. Kirk évite de peu l’overdose de wah-wah et envoie des solos dignes à une ou deux exceptions près, quand bien même les fans l’ont pas mal chahuté depuis le premier single. Les quelques harmonies à deux qu’il s’autorise avec Hetfield sonnent presque comme du Maiden. Lars est parcimonieux sur la double pédale – c’est qu’il faudra jouer en live, ma bonne dame – et assure sur les breaks répétés sans jouer au maître des blastbeats qu’il ne sera jamais. James envoie pléthore de riffs solides à défaut d’épater et chante toujours comme un quadra, évitant certes de forcer dans les aigus. On a beau être habitués aux textes bourrés de ses traumas de garçonnet, le bougre arrive encore à émouvoir un peu.

Et puis rappelons-nous pour conclure qu’on échappe ici à un chapitre IV de The Unforgiven : bref, si l’absence d’émerveillement était attendue, tout ça n’a strictement rien d’un foutage de gueule. De quoi souhaiter aux Four Horsemen une déclivité joyeuse pour la suite et la fin de leur parcours vers le Valhalla.

4 commentaires sur “72 Seasons, Metallica

  1. j’ai lâché l’affaire après Death Magnetic et ta review ne me donne pas envie de retenter l’expérience…. 77 minutes, bon Dieu… Des morceaux à rallonges qui ne mènent nulle part…
    Et j’ai vu le LP à 39€ chez Cultura cet aprem, ça c’est du foutage de gueule, même pour les vieux au fort pouvoir d’achat ! 🙂
    J’écouterai l’album au moins une fois car c’était mon groupe préféré et qu’ils m’ont fait vivre des moments inoubliables en live et dans ma piaule mais je n’y crois pas une seule seconde.
    (Chronique bien écrite, comme d’hab !!)

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  2. Bonjour,

    Bigre, voilà une chronique bien argumentée ! Et si je n’avais pas déjà écouté ce disque, naïvement emporté par tous les dithyrambes autour de lui, sans doute que votre texte m’eut donné envie d’aller faire un tour vers ce Metallica-là.

    Du coup, je dirai que je suis très loin d’être aussi positif que vous concernant cette ineffable oeuvre, mais bon, chacun sa vision personnelle de la musique

    bonne journée.

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    1. Oh, je ne prendrais pas de balles pour le défendre, même s’il m’a plu. J’ai pu constater depuis que certains titres sortent bien en live, en particulier Screaming suicide et 72 seasons. Merci, en tout cas !

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