Le Diable soit loué : tu as survécu au premier volet du Hellfest, celui des « Vrais », l’affiche prévue pour 2020 et deux fois décalée à quelques détails près (enfin, détails… exit Body Count, Faith no More et System of a Down, hello Ghost et Gojira). La canicule n’aura pas eu raison de toi et de tes camarades entre deux âges. Le temps de grincer à peine moins, trois jours de pause dans ton gîte vendéen, et l’affaire redémarre aussi sec. Il faudra cette fois survivre à la pluie annoncée et à l’ascenseur émotionnel des hommages à la figure tutélaire de Lemmy Kilmister jusqu’au point d’orgue de cette quinzième édition, une apparition inédite des mega stars de Metallica.
Hors de question de passer sur le pic artistique de ton entre-deux-Hellfests, une visite à la fête de la musique de Montaigu (85). Si la ville de Clisson pense et respire (voire subit) métal tout le temps de l’assourdissant sabbat musical dans les vignes alentour, il en va tout autrement de la paisible bourgade immortalisée par sa digue du cul. Ce 21 juin au soir, alors que tu mastiques ton américain-merguez acheté sur le stand de l’Orchestre d’Harmonie du Pays de Montaigu en scrutant les présents, peu d’indices inclinent à penser que se déroule tout près d’ici le plus fameux festival européen de musiques extrêmes. Tout juste observes-tu trois festivaliers parés des couleurs du Hellfest 2022 et une gamine de 16 ans dont le Tshirt Master of Puppets faillit lui valoir un sentencieux « Cite-m’en trois chansons ! » de la part d’un vieux monsieur acrimonieux jailli de nulle part – toi, en l’espèce. Tu dois bien reconnaître, néanmoins, que les Montacutains se sont endimanchés et que la manifestation recueille un succès certain. Parmi les highlights de la soirée, l’association d’intérêts pas complètement cohérente entre un rappeur local et le quatuor de bal l’accompagnant, le mal plus ou moins nécessaire d’une authentique banda au pouvoir de nuisance renforcé d’une sono, un batteur solitaire accompagnant une tortionnaire enthousiaste du répertoire d’Edith Piaf, un duo guitare-banjo cacochyme mais pas manchot arborant un amusant panonceau « paddle faster, I hear banjos » en référence à Délivrance et une guitar héroïne blonde consacrant la moitié de son set à effectuer sa balance, force commentaires au micro à l’appui. Le clou du spectacle, le vrai, aura été l’imperturbable gamin sphérique en maillot de l’équipe de France de foot fendant la foule en faisant hurler à son téléphone les obscénités d’un groupe de rap français qu’on n’imaginerait guère invité chez Stéphane Bern. Respect.
Rupture de stock bienvenue en taille L
L’intérêt de la manifestation culturelle n’est pas que sociologique : il dope instamment ton envie de te replonger dans un vrai bon gros son qui tache. Ton vœu est exaucé le jeudi après-midi pour la réouverture du grand bazar, l’occasion pour toi d’étrenner le bracelet magique que te vaut cette fois-ci ton accréditation média en accédant à l’espace VIP, raccourci commode entre l’entrée de Hell City et les scènes des concerts. On y trouve entre autres la tente des conférences de presse et un bar stylé doté de flippers à l’ancienne. Toi, tel le touriste, tu prends vite fait un selfie devant l’emblématique fontaine de sang (NB : c’est pas du vrai, un peu comme le propos des Tshirts Kill the Kardashians) avant de filer te poncer les oreilles avec le commun. Une fois n’est pas coutume, un unique concert accueille les premiers arrivants, celui de Phil Campbell and the Bastard Sons en Mainstage 1. À défaut de combler la moindre aspiration artistique des fans du métal progressif le plus pointu, le vieux compère de Lemmy et sa progéniture proposent un son fédérateur au possible : neuf titres choisis avec soin dans l’abondante discographie rock n’roll de Motörhead, dont le stupidissime et réjouissant Killed by death que la petite famille a le bon goût d’envoyer dès que tu le suggères à tes voisins. Idéal pour te remettre dans l’ambiance du festoche. En fin de set, tu croises une momie entièrement vêtue de bande Velpeau. Tyler Bryant & The Shakedown démarre en Mainstage 2, dans un style old school et référencé voisin de celui du Laura Cox Band découvert 6 jours plus tôt (mazette). Tout en les écoutant d’une oreille, tu passes une tête au Merch des artistes – autrement plus accessible que celui du festival – installé au pied du Mainstage 1. Il est heureux que les Tshirts Rotting Christ à ta taille soient en rupture de stock, faute de quoi tu aurais commis l’irréparable. Tu optes pour un Gojira assez sobre en devisant avec un aimable Rochelais, encore émerveillé par la prestation de Deep Purple de samedi soir dernier. Ah.

À Temple, Lili Refrain propose une expérience moins attendue que des covers de Motörhead, farcissant sa loop station à l’aide de sa guitare, son Bontempi et ses percus à la manière d’un MB14 – moment gênant où le chroniqueur du Hellfest concède avoir suivi au moins une saison de The Voice. Il résulte du travail appliqué de cette petite-fille spirituelle de Rémy Bricka une ambiance plus atmosphérique que propice aux mosh-pits, pas inintéressante ni collant tout à fait à ton humeur du moment. Le hard rock bluesy et joyeux de Thunder au Mainstage 1 pourrait mieux te convenir. Au chant, Dany Bowes tient bien la note et n’est pas avare d’indications précieuses à quiconque maîtriserait mal leur répertoire – comme tant de groupes anglais au succès respectable, le public français ne les connaît guère. Ainsi, le didactique « This song is about masturbation » avant d’entamer The devil made me do it. On reste sur la lancée d’un classicisme rassérénant avec les jeunots de The last internationale en Mainstage 2, dont la chanteuse Delila Paz ose le slamming en combi pantalon dorée. Leur énergie en fera l’une des révélations de la journée. En Warzone, les keupons de Seattle nommés Dragged Under envoient des airs assez prenants, ils s’y entendent en breaks brusques comme il faut et le chanteur gratifie l’assistance d’un touchant « Allez tous vous faire aimer ! » Ça remue moins en Temple où les Allemands de The Ruins of Beverast proposent un set qui eût convenu au public de Valley entre 1 et 2 heures du mat’, un doom glauque à souhait fait de lentes montées en puissance nappées de synthétiseurs et d’une voix alternativement claire et gutturale. Tu les diras efficaces dans un genre bien précis. Côté Valley, justement, tu trouves des Vikings dont la nationalité les aurait plus facilement qualifiés pour Temple, les Norvégiens de Slomosa. Quand leurs voisins cèdent si souvent aux sirènes lugubres du black et du death metal, eux entrent en scène sur Cypress Hill et préfèrent un stoner lourd comme la Bible, qui manque peut-être un poil de relief pour interrompre ta frénétique tournée des groupes de l’après-midi.
Du post black metal surmonté de chapeaux, nattes et chignons
Côté Altar, le death metal occulte promis par Tribulation sonne plutôt comme un heavy metal énervé à tes oreilles, malgré un goût certain pour le maquillage et le decorum extrême, fumigènes inclus. Nul reproche là-dedans tant les titres sont variés et l’exécution propre, exception faite d’un certain penchant pour le larsen. La tente voisine de Temple est déjà pleine à craquer lorsque démarre le set des Suisses de Zeal & Ardor, improbable mélange de black metal et negro spirituals conçu dans la foulée d’un défi lancé au leader de la formation Manuel Gagneux. À en juger par l’enthousiasme de tes voisins hypnotisés par les projecteurs stroboscopiques, il y a gros à parier que le groupe connaîtra bientôt les honneurs d’un Mainstage. Ils semblent avoir encore gagné en densité depuis que tu les as applaudis à la Cigale voici 4 ans. Eux, tu les avais déjà vus. Steve Vai, jamais, en dépit de sa longévité dans le grand cirque du heavy metal. Aussi décides-tu d’attraper la fin de son set, croisant un DSK en robe de chambre rose qui brandit un copieux pénis gonflable à la grande joie de ses amis festivaliers. Les faits sont têtus : Vai est toujours là, certes, mais telle la tecktonik début 2008 il semble avoir vieilli d’un coup. La section rythmique de sa formation instille à la setlist du guitar hero un groove bienvenu ; lui-même joue aussi bien qu’attendu de la six-cordes et en change en permanence. Un virtuose était attendu, il ne déçoit pas, sans que l’effet produit t’émoustille beaucoup plus qu’avec Michael Schenker la semaine passée. En Altar, le death metal mélodique des Finlandais d’Insomnium t’apporte le coup de fouet clouté dont tu avais besoin. Tantôt une voix claire étonnamment douce, tantôt un rugissement guttural accompagnent des instruments également versatiles – les solos évoquent le speed metal plutôt que le bon gros death fumant, tu crois entendre une étrange ballade en double kick et chant growlé… Le chanteur distribue les « Vive la France ! » et autres « C’est magnifique ! » entre les titres hybrides d’une formation qu’on pourrait qualifier de power metal en surpoids. Une condition qui ne menace pas les trois Islandais longilignes de Sólstafir surmontés de divers chapeaux, nattes et chignons à l’heure de remplir Temple de leur post black metal lancinant. On les imaginerait jouer du djembé au bord du Canal Saint-Martin. Chantée en idiome local, l’affaire s’avère toutefois autrement plus dépaysante. Lenteur et répétitions t’incitent à te demander comment ces longues mélopées peuvent ne pas te sembler ennuyeuses à souhait. Tout au contraire, cependant, tu es happé par la magie du moment islandais, certes aidé par l’absence de canicule ce jeudi.

Le set d’Helloween qui s’achève en Mainstage 2 est de facture plus classique. Dans la configuration actuelle des pionniers du power metal allemand, pas moins de deux chanteurs, trois guitaristes et un bassiste se meuvent autour de la citrouille géante derrière laquelle trône la batterie : on aurait presque viré Gypsy Kings germaniques. Le souffle épique attendu est bien présent sur How many tears et I want out, qui viennent clore la prestation. Du professionnalisme, tu en attends au moins autant de la part de leurs compatriotes de Scorpions, sacrés meilleur groupe live d’Outre-Rhin en 1975, qui enchainent sur le Mainstage 1. Toi qui avais décidé de cesser de voir les Rolling Stones après 2014 attends désormais ton premier rendez-vous avec un duo natif de 1948, Klaus Meine et Rudolf Schenker, comprimé dans des pantalons aussi moulants qu’il y a 40 ans. Tu cèderais désormais ta place dans le bus au premier tant sa mobilité est celle d’un vieux monsieur. Il n’attrape plus sa guitare que très tard pour honorer la tradition sur l’instrumental Coast to Coast. Tu t’interroges sur l’empreinte de la chirurgie dans son regard au mieux mi-clos. Le miracle, c’est que Meine peut se prévaloir d’avoir conservé une voix impeccable. L’essentiel, donc. Il pousse sans peine ostensible les notes de tenorino attendues sur les titres intemporels du répertoire de Scorpions. Sourire inamovible et biscotos apparents, plus jouasse d’une jeune biroute à la foire aux croupions, Schenker fait environ vingt ans de moins en exhibant sa collection abracadabrantesque de Gibson Flying V. Si les plus anciens sont bien les stars de la fête, bien mis en valeur par un jeu de lumières dantesque, Matthias Jabs assure sans ostentation à la guitare solo et la section rythmique n’est pas en reste : les deux ont droit à leur moment. Le discret Pavel Maciwoda à la basse pour montrer qu’il n’est pas là par hasard, et Mikkey Dee aux fûts, bien plus longtemps, parce qu’il est simplement l’un des tout meilleurs à son poste.
Tel Kusturica invité dans Mad Max
Les septuagénaires ont récupéré en coulisses et le final sera colossal, en commençant par un énorme Blackout, ta chanson préférée du groupe. N’avoir personne à choper à proximité procure forcément un pincement doux-amer sur Still loving you mais le Rock you like a hurricane final, alors que Phil Campbell se joint aux gratteux, aura d’indiscutables vertus euphorisantes. Une euphorie qui cèdera bien vite la place à l’émotion quand Dee et Campbell resteront seuls en Mainstage pour évoquer la mémoire de Lemmy Kilmister, dont ils furent les ultimes camarades de scène. Lemmy disait qu’il jouait du rock n’roll, et basta, mais ce sont les métalleux qui lui vouent un culte particulier, héritage d’un son brutal et d’une attitude inaltérable qu’on pourrait résumer à « Rien à foutre ». Cet attachement viscéral lui valut d’être statufié dès 2016 à Clisson, moins d’un an après qu’il eut lâché la rampe. Las, le premier ouvrage figurant Lemmy en gardien des enfers donna vite de premiers signes de faiblesse, l’occasion de le remplacer dès cette édition historique par une statue plus monumentale encore, réceptacle d’une partie de ses cendres. Phil et Mikkey la baptiseront un peu plus tard en vidant un Jack Daniels à ses pieds. Toi, plutôt que fendre la foule jusqu’au monument érigé en Warzone, tu regardes avec émotion la vidéo projetée en hommage sur les écrans géants avant de rentrer te pieuter. En chemin, un dernier stop à Valley te permettra de contempler un survivant, Jerry Cantrell, guitariste et compositeur en chef d’Alice in Chains qui tourne en solo cette année. Les deux tiers de sa setlist renvoient au vivant des regrettés Layne Staley et Mike Starr, à commencer par un tonitruant Them Bones. Cantrell assume avec grâce l’héritage d’une période maudite et sublime à la fois. Tu l’en remercies silencieusement avant de quitter les lieux.

Un bordel abracadabrantesque t’accueille depuis Temple alors que tu déjeunes en arrivant le lendemain : celui des Roumains de Dirty shirt, dont le punk hardcore plein de groove est accompagné des violons tziganes en folie du Transylvanian Folklore Orchestra. Indescriptible, le résultat est étrangement enthousiasmant, tel Kusturica invité dans Mad Max. En Mainstage 2, Danko Jones offre une prestation plus classique avec son hard rock carré comme il faut aux refrains faciles à entonner. Danko lui-même s’exprime un peu trop et trop vite pour qu’aucun esprit suspicieux n’imagine le recours à quelque stupéfiant. Dans la fosse, un groupe coiffé de cônes de signalisation parait conquis. La température monte alors que le temps se couvre lorsque tu découvres les aimables furieux d’Opium du peuple en Warzone. Leur recette est simple : reprendre des monuments de la variété française en version punk rock. Si la recette sonne très « écumeurs de MJC », la patate surnaturelle et les efforts de scénographie des déjantés albigeois justifient sans peine leur présence en enfer. « Ça fait 17 ans qu’on prépare ce moment » annonce le frontman Slobodan, presqu’émouvant sur ce coup-là, avant un final sur le Rockollection de Laurent Voulzy un chouïa revisité – il y sera question de Metallica, Motörhead, ACDC, Slayer et Pantera. Tu quittes la Warzone ravi pour eux, et puis tu ne mourras pas sans avoir entendu de double kick sur Luis Mariano. La suite sera une redescente en pression puisque c’est le post-rock très atmosphérique et vénéneux d’A.A. Williams en Valley qui envahit maintenant des conduits auditifs. Originalité : avancée et excentrée, la batterie est au même plan que les autres instruments. Une voix d’homme se mêle au chant éthéré de la chanteuse. Des crescendos de synthés recouvrent les accords d’inspiration stoner. Le moment est plaisant à défaut de t’embarquer complètement.
Un décor printanier à base de pendus et d’empalés
Sera-ce le cas d’Ihsahn en Temple ? L’imperturbable chanteur d’Emperor, référence norvégienne du black metal, conserve dans son projet solo un look mi-hipster mi-nerd qui sied à sa musique. Car on a beau être sur une scène de métal extrême, la proposition contemplative d’Ihsahn est empreinte d’un grand sérieux et le public la déguste sans frénésie intempestive. De la pop au bon gros stomper, les titres progressifs en voix claire ou growlée et s’enchaînent comme une démonstration de virtuosité – le batteur doit être raisonnablement compétent pour enchaîner un tel luxe de breaks et tempos. LA formation ose un certain groove, voire un black n’roll franc du collier. Ihsahn s’excuse presque avant d’envoyer de quoi dérouter les fans hardcore d’Emperor, des reprises du Wrathchild d’Iron Maiden et de… Rock n’roll is dead de Lenny Kravitz. Tu pourras débattre des mérites de sa prestation autour d’un macchiato à 7 balles et d’un porridge aux graines de chia Quai de Jemappes. Pour l’heure, il te faut urgemment un shoot de brutalité à l’accessibilité immédiate. Heureuse coïncidence : Kreator entame son set en Mainstage 2. Le décor printanier à base de pendus et d’empalés donne le ton : si Mille Petrozza a pris de l’âge, il ne s’est pas calmé du tout. Sa voix, point faible traditionnel des albums studio du groupe selon tes goûts particuliers, sonne fort bien en live. Autour de toi, le subtil nuancier de ponchos sortis sous un crachin désormais bien dense ajoute à la hideur ambiante. La fosse, elle, s’embrase très vite sous le feu nourri de riffs thrashy énervés. Si la setlist proposée est aussi traditionnelle qu’une schweinekotelett mit katoffeln servie en Rhénanie du Nord, son efficacité serait difficile à réfuter, le ciel aussi fâché que Petrozza ajoutant un tu-ne-sais-quoi à cette ambiance de fin du monde. Une gerbe de filaments rouges censés représenter un déluge de tripaille se répand poétiquement au vent mauvais. Cerise sur le gâteau empoisonné, le bassiste français Frédéric Leclercq annonce que c’est son anniversaire avant que le groupe n’envoie un inédit, puis les deux monuments de délicatesse germanique que sont Flag of Hate et Pleasure to kill. Il est bien possible que ce concert-là soit ton meilleur de la journée. Ce sera hélas le dernier, techniquement parlant, décision étant prise d’abréger ton programme alors que de l’eau s’écoule abondamment de la cime des arbres du Kingdom of Muscadet jusque dans ton dîner au doux son de la longue reprise de Supernaut par les sidérurgistes américains de Ministry. Foin d’Alice Cooper et de Nine Inch Nails, alors que la performance de ces derniers sera finalement la meilleure du festival pour beaucoup… Les bougres auront certes été plus métal que toi.

Comme de juste, ton premier arrêt du lendemain ne sera pas face à une scène de rock énervé mais au rayon « randonnée » de l’Intersport de Montaigu, où tu croiseras nombre de tes homologues métalleux en quête de coupe-vent bariolés et seyantes chaussettes isothermes pour un before somme toute assez sage. Une fois réglés ces menus détails, il est temps de venir constater les dégâts du déluge (raisonnable) de la veille. Le sol est boueux sans plus, épongé ça et là par des masses de copeaux de bois répandues dans la nuit. Tu ne vivras pas Woodstock, et c’est tant mieux. Alors que le site est loin d’avoir fait le plein en début d’après-midi, ton premier groupe de la journée est Nightmare, des vétérans français du heavy metal traditionnel dont la chanteuse Madie, dernière arrivée dans la formation, impose une présence. Jamais déplaisantes, les compositions confinent au thrash sage, voir au power metal enthousiaste. Le motif principal de leur notoriété toujours à parfaire tient peut-être aux 22 anciens membres répertoriés sur Wikipédia, pas tout à fait un gage de sérénité artistique. Devant toi, une famille bretonne en costume traditionnel renouvelle agréablement le poncif du Gwenn-ha-Du agité en festival (oui, ça signifie « drapeau breton »). Le bel effort de Nighmare est cruellement récompensé par une averse finale qui clairsème un peu plus la foule à leurs pieds. En Mainstage 1, Gary Clark Jr. prend le relais coiffé du bonnet du Commandant Cousteau avec un rock solide sur ses appuis, du heavy blues bien gras à une aimable variétoche aux frontières du cahier des charges des musiques extrêmes. Corroborant l’avis de ceux qui comparent le Hellfest à Disneyland, tu vois passer des ponchos Puy du Fou et Europa Park. Des bottes en caoutchouc, aussi, alors que tu prends place en Altar pour le concert de Sorcerer, des Suédois adeptes du doom metal épique. Certains spécialistes diront après coup que la setlist manquait de tonus, toujours est-il que les malheureux ont un mal fou à t’enthousiasmer – même si l’un des guitaristes ressemble beaucoup au barbichu Scott Ian d’Anthrax. L’affaire manque de relief et le chanteur scelle ta décision de quitter les lieux en clamant combien il est « heureux d’être ici, dans le Sud de la France ». Les Ligériens apprécieront.
Plus fiable que la main droite d’Hetfield : Airbourne en live
En Mainstage 2, le folk metal d’Eluveitie n’est pas ta came sur le papier. Des voix féminine et masculine alternent sur des harmonies à base de vielle à roue, violon, flûte et harpe. La fosse reste sage mais réagit un peu. Au fond la performance des Helvètes te rappelle celle de Trollfest en 2019, la folie furieuse en moins. Parmi la foule rassemblée devant Myles Kennedy and Company en Mainstage 1, tu cherches à estimer la part de ceux qui, comme toi, guettent surtout un éventuel cameo de Slash avant son set du soir avec Guns n’Roses. Les deux fois précédentes où tu as vu sur scène le projet solo du chanteur et guitariste d’Alter Bridge, tu avais essentiellement écouté les solos du virtuose frisé qui l’accompagnait. Te voici contraint à prêter attention au rock bien carré qu’on te propose. C’pas mal du tout, dans une veine très hard FM en 1988. Un hélico vient se poser derrière la scène, suscitant un fol espoir vite dissipé. À défaut d’avoir eu Slash, tu as écouté un parfait concert d’après-midi. En Valley, porté par le souvenir ému de Rotting Christ au Hellfest 1, tu jettes une oreille à leurs compatriotes Villagers of Ioannina City. Le stoner metal à lentes montées en puissance des Grecs fonctionne agréablement jusqu’au premier solo de clarinette, qui te déconnecte illico. Alter n’est qu’à quelques pas, et le groupe qui s’y produit propose une version plus burnée du métal symphonique que joue Epica en Mainstage 2 à l’exact même moment. Les Italiens de Fleshgod Apocalypse n’hésitent pas à mêler double kicks énervés et riffs de forgerons à des synthétiseurs et une voix parfois très opératique. Sur scène, un piano à queue paraît un tantinet décalé avec les peintures de guerre des cinq furieux à l’oeuvre ; à propos de décalage, il te semble reconnaître quelques mesures de Baby one more time… La bizarrerie des Transalpins ferait une excellente mise en jambes pour le set du déjanté Gauthier Serre alias Igorrr en Temple si ce dernier n’avait pas 20 minutes de retard. Tu préfères donc t’approcher d’un Mainstage 1 à l’accès déjà très encombré pour attraper un bout du set d’Airbourne, pur groupe de scène qui ne trahit certes pas sa réputation. Les Australiens accueillirent Lemmy en guest sur leur première vidéo, après quoi il paraît naturel qu’ils multiplient les hommages à l’idole disparue, dont la préparation de Jack Daniel’s – Coca allègrement balancés dans la foule par un Joel O’Keefe habitué à payer son coup aux premiers rangs. Guère plus évitable, le clin d’œil à ACDC consiste en une intro de Let there be rock greffée sur l’hymne final Runnin’Wild. Plus fiable que la main droite de James Hetfield, Airbourne a fait le métier : un hard rock essentiel qui fait bouger la tête et taper du pied.

Tu te glisses dans l’axe de la scène sans occulter le groupe qui prend alors place en Mainstage 2, les Finlandais de Nightwish emmenés par la walkyrie néérlandaise Floor Jansen au chant. Le métal symphonique réussi assume son kitsch jusqu’au bout. C’est bien le cas avec ce set épique porté par des synthétiseurs très présents et une intense pyrotechnie. « Hans Zimmer déglingue Kate Bush » diraient les mauvais esprits. Bien qu’éloigné de tes genres métalleux de prédilections, tu dois saluer la prestation au cordeau offerte ici, en particulier les salves de notes impeccables poussées sans effort apparent par la sculpturale chanteuse du groupe. Ce détail-là ne jouera pas forcément en faveur des successeurs de Nightwish en Mainstage 1, tes idoles de jeunesse des Guns n’Roses. Ou plutôt de l’une d’entre elles, le frontman mégalo à l’approche duquel les papas d’antan barricadaient les chambres de leurs filles chéries, l’auteur-compositeur de génie au caractère d’anus irrité, le chanteur surhumain aux cinq octaves d’amplitude vocale, William « Axl » Rose. Il t’avait inquiété à Bercy en 2006 et épaté dix ans plus tard lors de sa pige aux côtés d’ACDC à Marseille, avant de livrer une très belle copie pour la reformation de Gn’R l’année d’après. En 2022, plus grand-chose ne fonctionne, la faute au temps qui passe et au manque d’entrain du bonhomme à donner de son organe hors des tournées mondiales. « Pas le physique » te répètes-tu en le comparant au très fit Duff McKagan. Après tout même Slash, tout bodybuildé qu’il soit, a pris comme un coup de vieux.
Quelques bribes d’adolescence en farfouillant dans le bordel
La silhouette d’Axl, tu t’en cognes. Mais il ne fournit plus ce qui fit sa légende – on parle de la voix, pas des boxers moulants – ni dans le tempo, ni dans l’articulation, ni dans la justesse lorsqu’il faut mettre les gaz. Si son attitude, au long du set de 2h30 (!), demeure irréprochable, son chant a tout du naufrage. Sans doute lui faudra-t-il réfléchir posément à ce que décident tôt ou tard tous les vieux chanteurs du genre : comment interpréter autrement ce qui est désormais hors de leur portée. Pour l’heure l’effet produit, presque loufoque, ne te sort même pas du concert au fil des loupés. D’une part, tu aimes les Monty Python. D’autre part, les autres s’emploient d’arrache-pied dans un décorum à l’esthétique plus Nineties qu’un épisode de Buffy contre les vampires. Les deux claviéristes pallient tant bien que mal les défaillances d’Axl au chant. Quand c’est son tour, comme sur la reprise d’I wanna be your dog, Duff vocalise carrément mieux que le titulaire. Richard Fortus, sorte de sosie de Ronnie Wood (moins les pains récurrents), profite de ses rares minutes de mise en valeur pour montrer qu’il tâte de la six-cordes, comme sur le solo de Rocket Queen. Et Slash se démène tout du long, exhibant titre après titre l’intégralité de ses Gibson signature et portant l’ensemble à la limite des fameux concerts de guitar heroes que ne n’apprécies qu’à moitié. Un drapeau ukrainien jaillit sur Civil War. Le nouveau titre Absurd te laisse aussi perplexe que sur Youtube. Sur le final de November Rain, Axl couine comme Yoko Ono. Sur celui de Coma, il avale deux mots sur trois. Bah, au moins auras-tu entendu l’antique sucrerie Reckless life, une version honorable de Back in black et le crochet gauche toujours efficace d’It’s so easy en ouverture. Le lendemain, tu croiseras des fans furieux. Toi, tu as récupéré quelques bribes d’adolescence en farfouillant dans le bordel. Ça t’aura suffi.

Pour le septième et dernier jour du Hellfest, tu te sens certes moins adolescent que quinqua en devenir. Il n’est pas seulement question de ta fatigue articulaire, car tu as décidé d’essayer le sandwich au homard. Coup de bol, le stand est à portée d’amplis du Mainstage 1, où s’activent les Espagnols d’Angelus Apatrida. Ténacité des préjugés nationaux : sur le papier, un groupe de thrashers ibériques n’aurait pas nécessairement pu compter sur ta présence. Chacun sa spécialité. Mais le gros son qu’envoie le quatuor te caresse le tympan comme il faut. C’est le genre de thrash à l’ancienne que tu affectionnes. Ceux qui n’auraient pas bien saisi les influences du groupe d’Albacete sont invités à se référer au Tshirt Exodus d’un des gratteux, voire aux braillements du frontman évoquant ceux du regretté Paul Baloff. Angelus Apatrida, révélation du festival ? En tout cas ils passent bien avec le homard. En Mainstage 2, Ill Niño a installé pas moins de trois batteries – comme King Crimson, en effet, mais pour un rendu un chouïa différent. On pourrait définir leur style comme un nu metal tirant vers le rap, enrichi d’une dose copieuse de percussions classiques. « Let’s get this fucking place jumping » annonce un Marcos Leal aux faux airs de Rob Trujillo devant une foule fourbue, largement affalée dans l’herbe brûlée par la canicule du Hellfest 1. Le set tient ses promesses malgré cette manière d’apathie générale et une probable défaillance à la table, vu qu’un solo sur lequel s’emploie Marc Rizzo s’avère rigoureusement inaudible – figure qu’on pourrait nommer la Paul Stanley inversée. Côté Mainstage 1, tu aperçois l’imposant matériel de Metallica déjà en place sur scène, les écrans imposants en arrière-plan et les passerelles du snakepit qui mordent sur la scène. Ce que les Mets veulent, Dieu le veut.
Le genre de frontman qu’on imagine croiser sur la colline du crack
Incendiary n’a pas la notoriété d’un invité en Mainstage, mais le hardcore du groupe de Long Island rappelle par sa netteté et le poids considérable de ses riffs les mid-tempos des superstars de feu Pantera. À la frontière d’une fosse de la Warzone pour le moins agitée, trois fées barbues se partagent placidement un pichet de rouge local. Le débit du frontman n’est pas sans évoquer un Zack de la Rocha, ses déclarations à fort contenu politique non plus. La toute récente révocation de Roe vs Wade lui donne l’occasion de se fâcher un grand coup. Il sera aussi question de colère, certes plus sombre et galopante, avec le supergroupe de blackened death metal Vltimas qui se produit en Altar. Guère d’originalité dans le projet porté entre autres par l’ex-chanteur et bassiste de Morbid Angel David Vincent, mais une énergie appréciable pour qui aime les « beuarrrh », agrémentée de sympathiques effets pyrotechniques indoor. De loin, tu saisis la toute fin du set des keupons rennais de Tagada Jones en Mainstage 2, un fameux bazar comme il se doit. La foule ravie fait durer les « la-la-la-la » sur l’air des lampions. Alors que tu vas te placer devant Ugly Kid Joe en Mainstage 1, tu constates que les désoiffeurs servent désormais des bières spéciales plutôt que la bonne vieille Kro d’entrée de gamme, peut-être dans un souci d’écouler les stocks ; le fait est que le pouvoir désaltérant de la Grimbergen en plein soleil n’est pas tout à fait identique. Le gratteux des affreux jojos californiens porte un réjouissant Tshirt Madonna écrit à la manière du logo « Metallica ». Au micro, Whitfield Crane te semble assez bien conservé – tout juste pourrait-il se montrer un peu moins bavard et réduire un tantinet son nombre d’appels à lever les mains bien haut. La scénographie du set ne figure pas parmi les plus créatives du festival, la faute incombant peut-être à l’encombrant matos des Mets. Y compris sur les tubes Neighbor et Cat’s in a craddle, la tonalité te paraît plus sombre qu’aux temps lointains de ta classe préparatoire. Une grosse séquence funky vient rappeler que le groupe s’y entend aussi en musique. Enfin, à l’issue de l’inévitable Everything about you, Ugly Kid Joe envoie un très digne Ace of Spades qui vient encore agrandir la pile des hommages à Lemmy. Tes attentes restaient raisonnables, aussi ce concert-là mérite-t-il le label « bonne surprise ».

Fondé en 2005, Thou n’a pas exactement bercé ta jeunesse. Son sludge metal de Louisiane pondéreux prend une tournure franchement inquiétante dès que Bryan Funck y ajoute son timbre râpeux, que tu dirais très inspiré du black metal. Son apparence ne rassure guère, teint blafard et yeux profondément enfoncés dans leurs orbites sous la capuche du hoodie, le genre de personnage qu’on imagine croiser sur la colline du crack. Un public sain d’esprit trouvera Thou flippant au possible ; pour celui du Hellfest, ça sonne comme il faut. Tu constates en allant faire pipi qu’un héros progressiste a taggué ACAB sur l’affiche « Hellwatch », le nouveau dispositif de prévention des violences sexistes et sexuelles, placardée au-dessus de ton urinoir. En Warzone, les Californiens de Lionheart assènent un metalcore moins subtil qu’efficace à une foule ravie qui se fend d’un fort joli wall of death. Leur reprise de You’ve gotta fight for your right (to party) des Beastie Boys fait mouche. En traversant le site vers Altar, tu constates combine le public massé devant le Mainstage 1 est déjà dense. Contredite par la politique officielle du festival en matière de billetterie, la rumeur veut que la journée accueille plus de public que les autres, concert de Metallica oblige. Le fait est que l’accès au concert de Destruction requiert déjà un sacré slalom. Ici, tu es à peu près certain de ne pas croiser de footix venus écouter Nothing else matters, et basta. Autour de toi, les pompes sont cradingues et les postures un rien voûtées. Depuis 4 à 7 jours, ça a déroulé du câble. Le thrash des quatre brutes du Bade-Wurtemberg, extrait de concentré d’essence d’années 80, a de quoi raviver les enthousiasmes – en termes d’intensité pure, ils en remontrent à l’écrasante majorité des groupes vus sur la scène énervée du Hellfest (Altar, donc) cette année. Ajoutons que bassiste et guitaristes tiennent admirablement la flexion en squat à 55 ans passés. L’élément mélodique, lorsqu’il apparaît furtivement, surprend au bon sens du terme. Un couple de gamins s’étonne de te voir prendre des notes. S’ensuit un long dialogue sans paroles à l’issue duquel ils ont l’amabilité de te verser un canon de leur Grimbergen rouge. Il ne faut pas désespérer des djeuns.
Il ne faut pas désespérer des djeuns
Tu retiendras peu de choses du set d’Ignite saisi lors de ton bref passage en haut de la Warzone pour attraper un Nième « potato burger », casse-dalle riche en lipides auquel tu as développé une étrange addiction. Il eût été rigolo de mentionner la reprise hardcore de Sunday Bloody Sunday dans ton papier pour Gonzaï, vu combien les mecs abhorrent U2, mais tu choisiras de l’angler sur autre chose que la musique. Dommage. Changement complet de références et de décor avec un crochet par Valley pour voir Pentagram, pionniers américains salement culte du doom metal ou plutôt ce qu’il en reste : le frontman Bobby Liebling, sorte de croisement malingre entre Charles Manson et l’inoubliable Igor de Frankenstein Jr (NB : Marty Feldman). Et il t’épate, le bougre, épanoui sur scène au milieu du rock pachydermique servi par son dernier trio d’instrumentistes, trépignant sur ses talons hauts tel un étrange danseur de flamenco psychédélique. Assourdissant, le rendu d’ensemble t’évoque le Black Sabbath des débuts assaisonné d’une pointe de Doors. Pas déplaisant. Au même moment, Napalm Death démolit Altar. Le grindcore des Anglais, c’est ta borne supérieure, un franchissement du seuil de bruit supportable très lié à la rugosité des grognements de Barney Greenway. Péremptoire, tu as pu (injustement) comparer leur travail à celui d’une Christine Angot en petite forme ou aux peintres qui font caca sur leur toile. Mais alors que tu commences à souffrir – ou te convaincre que tel est le cas – se produit un phénomène profondément inattendu : à tes côtés, ton épouse sautille. C’est son premier Hellfest, elle est venue principalement pour Guns n’Roses et Metallica, et sur Napalm Death elle sautille. « Ben ouais, en fait c’est des guitares énervées, un peu comme Artic Monkeys, quoi. » Bientôt vingt ans de mariage, et là, tu es scié. Assez pour ouvrir tes chakras : l’une de tes premières acquisitions post-festival sera l’album The Code Is Red… Long Live The Code.

Alors qu’on est à une heure de l’apothéose du double Hellfest 2022, le premier concert des Four Horsemen de Metallica à Clisson, et que les places sont déjà chères à 300 mètres du Mainstage 1, un impératif te retient à Temple, tout au fond du site : le premier set français des Danois de Mercyful Fate au XXIe siècle. Grand inspirateur du black metal, le groupe du strident King Diamond est irréductible à une case et une seule, suprêmement élégant par le jeu complémentaire de ses deux guitares lead, vertigineux par les montées et descentes soudaines de son frontman peinturluré, sombrement allègre par la grâce d’une section rythmique bondissante, progressif du fait de la structure imprévisible de ses chansons, jamais coupables d’un disque publié par-dessous la jambe de surcroît… Bref, tu es fan. Seuls des rapports délicats entre ses fondateurs valurent à Mercyful fate un statut « culte » plutôt qu’une reconnaissance aussi large que méritée. Ce soir, ils te gratifient d’un inédit très prog, The Jackal of Salzburg, et de titres choisis dans leurs formidables deux premiers LPs. Coiffé d’une aberrante paire de cornes, Diamond sonne aussi bien qu’autrefois. Le reste suit admirablement, y compris la complicité entre le patron Hank Sherman et le nouveau Mike Wead à la gratte. Tes amis t’ont fait une fleur à rester à Temple malgré l’imminence des Mets et Mercyful Fate a le bon goût d’être à la hauteur. Au moment où tu te convaincs que la prochaine sera la dernière, soucieux d’un renvoi d’ascenseur bien naturel à tes bienfaiteurs, le groupe envoie A dangerous meeting, ta chanson préférée de son répertoire. Ç’aura été court, mais brutalement bon. Il s’agit maintenant de tenter d’approcher du Mainstage 1… disons au moins des écrans géants.
« Maintenant qu’on a joué la meilleure, il nous reste quoi ? »
L’essentiel consiste à éviter une stéréo démente avec le concert de Carcass en Altar, attendu que les Anglais sont du genre bruyant. Mission accomplie, certes, en parvenant à hauteur du crâne (ceux qui savent, savent), soit l’emplacement précis d’où le groupe te sera caché mais les images monumentales visibles en intégralité. Il est 23 heures, la température a franchement baissé, les anciens comptent leurs courbatures en appréhendant deux dernières heures de station debout et les inévitables premières mesures de l’Ecstasy of gold signée Ennio Morricone résonnent après It’s a long way to the top d’ACDC. Devant toi, on lève son smartphone et on juche son môme sur ses épaules. Le plus grand Barnum du heavy metal va commencer. D’entrée, les Mets envoient Whiplash, titre ancien et l’un de leurs plus rapides, comme pour balayer l’idée même d’une usure. En live, Metallica ne touche plus à l’ultra technique … And justice for all (Lars et James blagueront même sur le sujet en envoyant la première mesure) mais pratique toujours l’excès de vitesse – Damage Inc. en rappel le confirmera. Jauger Metallica sur scène consiste à regarder Hetfield, maître du chant, du riff, du tempo et de l’image du groupe : revenu de sa dernière désintox et d’une crise de larmes sur les planches à Belo Horizonte, il est ce soir en mission, efflanqué comme à 25 piges. L’entendre saluer le Hellfest émeut la groupie qui frétille en toi. Tu sais qu’il en va de même pour l’essentiel de tes 50.000 homologues, quand bien même ils étaient peu autour de toi à hurler « Die ! » en levant le poing sur le pont de l’intemporel Creeping death (Ouh que tu as kiffé).

« Cet enfer-là est plus beau que celui que j’ai dans la tête » minaude-t-il, moitié flagorneur, moitié habitué à confier au public ses états d’âme inextinguibles. Autre style caractéristique : Lars, à l’issue du concert, balancera qu’il est « ravi d’avoir enfin été invité au Hellfest », manière commode d’occulter combien tout ça ne fut jamais qu’une affaire de gros sous. Ceux qui détestent le batteur danois l’auront trouvé mauvais comme un cochon, ceux qui le supportent n’auront pas grand-chose à en dire, ceux qui l’adorent seront peu nombreux. Comme d’hab’. Plus présent dans le mix que d’ordinaire, Rob aura tenu la baraque sans peine à la basse. Comme d’hab’. Kirk n’aura pas abusé de la wah-wah ni des pains sur ses solos. Comme récemment. Les deux emplacements de la setlist que Metallica consacre à des titres différents tous les soirs auront été consacrés à la bête mid-tempo Harvester of sorrow et à l’inhabituel No leaf clover, ni exaltant, ni décevant dans sa version du soir. On notera le Dirty window de St Anger en digne représentant du fond de catalogue et Moth into flame issu du dernier album en date, le reste relevant des classiques du groupe… James lançant un amusant « Maintenant qu’on a joué la meilleure, il nous reste quoi ? » après la fin d’Enter Sandman bouclé en troisième position. Des Mets solides, un show visuel au cordeau, une foule plus fervente qu’expansive… La première de Metallica au Hellfest aura tenu du rituel d’une froide beauté. Gamin que tu es, tu prends une centaine de clichés du majestueux feu d’artifice final, mais c’est bien le quadra hébété qui entame une dernière fois le pèlerinage jusqu’aux bagnoles. Qui inviter après une édition pareille ? Maiden ? Slipknot ? Faith No More ? System of a Down ? Qui aura raccroché les gants d’ici l’an prochain ? Combien de temps encore survivront des têtes d’affiche capables de drainer 60.000 fans par jour au pays du Muscadet ? Est-ce que tout ce merdier sert bien à autre chose qu’à prolonger tes années de lycée ? Pas sûr, mais c’est déjà ça.
Hell’o, c’est très cool de lire un gratte papelard fan de metOl, et un post-quadra qui ne se la joue pas Hunter S Thompson aka Lester Bängs avec le cynisme d’un libéral qui se poudre au Glazart tous les soirs. Viva Belzébuth !
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Merci 🤘
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