Plus de mille jours que tu attendais ça. Un Hellfest au format exceptionnel auquel tu te pointes fort d’une mise à niveau intensive, des centaines d’heures à t’envoyer au casque tout et n’importe quoi pourvu que ça pèse, du hard rock à l’ancienne au black metal de catacombes scandinaves. Plus rien à voir avec le lapin pris dans la lumière des flammes de l’enfer de 2018, voire le footix à la confiance prématurée de 2019. Tu es maintenant de ces snobs qui ne sacrifieraient pas Mercyful Fate pour Metallica. On annonce une canicule ? Tu as coupé les manches de ta veste à patches. On annonce de la pluie ? Tu pourras ainsi la passer sur un hoodie. Autant dire que tu es fin prêt pour le festival du siècle.
Vendredi 17 juin, onze heures. Les tronçons de nationale le long desquels on posait rituellement sa bagnole en épi, voire on dépliait sa table de camping pour l’apéro, sont désormais stationo non grata. Deux parkings immenses ont été dédiés aux festivaliers, l’un à 15 minutes de marche, l’autre à 45 – les usagers de ce dernier sont invités à emprunter les navettes à disposition plutôt qu’arpenter les bandes d’arrêt d’urgence autour de Clisson. Le hic, comme tu l’as constaté en tentant de te pointer à la traditionnelle veillée d’armes du jeudi, c’est que le temps d’attente aux navettes rappelle celui que tu as passé à espérer ton festival. Rien que des très normal à l’heure d’essuyer les plâtres. Le Hellfest s’adaptera, c’est sa spécialité : un nouveau parking apparaîtra dès le second volet. Toi, après trente minutes de marche depuis la place de stationnement improvisé et une heure d’attente sous un soleil de désert libyen, tu braises dans ton Tshit Kill the Kardashians déjà bien moite. Deux ans que tu attends de le sortir devant un public averti, ceux qui savent qu’il fut porté par un guitariste de Slayer en rétorsion d’une provocation inqualifiable – une sœur K. reléguant le logo du groupe le plus méchant du monde à l’accessoire d’influençeuse – et ne constitue pas un authentique appel au Thanksgiving anticipé. Sur ta page Facebook, on s’en est ému. Les gens sont si désespérément littéraux.

Bracelet marron (doré ?) noué au poignet gauche, tu retrouves Hell City et ses marchands du temple – mention aux valeureux prenant déjà d’assaut le stand d’un producteur de whisky tourbé par 35 degrés à l’ombre – puis la file d’attente pour le parc d’attractions proprement dit. Autour de la Cathédrale que tu retrouves avec un sourire d’aimable neuneu, une nouveauté de bon goût : des vitraux à l’effigie des grands disparus du métal hurlant, Ronnie James Dio, Jeff Hanneman ou Vinnie Paul Abbott. Et puis, trois ans après, le vacarme tant attendu. Tu commences tranquillement avec une première pinte de Kro et le blues rock appliqué et ultra référencé du Laura Cox Band en Mainstage 2. On a longtemps dit qu’Airbourne, programmé deux fois cette année, avait écouté ACDC dans sa jeunesse ; nul doute que ces jeunes-là ont écouté Airbourne. Surprise : la foule est déjà dense, pas question pour les hardos de perdre une minute de festoche. Autour de toi, on s’est fait tout beau en Denim and Leather et les purs déguisements paraissent plus rares que les fois précédentes. Tu ne croiseras ta première licorne qu’à midi passé. À peine as-tu un réjouissant Tshirt « Vive la saucisse de Morteau ! » ou les tenues assorties de « Ducon T et Ducon D » à te mettre sous la dent. Peut-être l’effet de la chaleur ambiante, mais ceux qui déplorent l’avènement d’un « Coachella du beauf » apprécieront.
En plein cagnard, un Merch funèbre
Premier concert de métal extrême à Temple, scène favorite des zélateurs de Satan, pour un set de Numen. 18 litres de Kro sur les épaules, un désoiffeur passe obligeamment à ta portée. Alors qu’il rafraîchit ta pinte et malgré la brutalité – un peu vaine – du black metal des Basques espagnols, tu engages la conversation. Petit trentenaire souriant à casquette rose, Julien est de la région. « Contrôleur assainissement » de profession, le bénévole tournera parmi les festivaliers de l’ouverture à 13h, puis de 21h à minuit. Il insiste désormais pour être désoiffeur, « le poste le plus sympa » selon lui « car on y rencontre le plus de gens ». Crevant aussi, probablement, à voir la quantité de festivaliers qui le harcèlent, la langue pendante. Après une huitaine de bières pour un unique et bref arrêt pipi, tu t’étonneras plus tard de ta complète absence d’ébriété. Les collègues de Julien n’infirmeront pas ta théorie d’un titrage alcoolique proche du Coca-Cola. Les voir souffrir ainsi, ployant sous leur citerne dans une fournaise pareille, t’émeut sincèrement. La souffrance, c’est manifestement le grand dada des Suédois en masques et toges de Mephorash. Les bougres vont jusqu’à envoyer (sagouiner ?) un extrait du Lacrimosa pioché dans le Requiem de Mozart et asperger de faux sang une innocente victime. C’est mal, mais tel était l’objectif. Autour de toi, ça sent fort la beuh. Les mid-tempos lancinants qu’on t’assène furent sans doute plus conçus en pensant à la toundra qu’à la fournaise d’aujourd’hui. Tu quittes Temple en croisant un chouette flocage Hell-ène Segara. Près de la Cathédrale, les gendarmes en gilet pare-balles te font encore plus chaud, tandis qu’un couple bob Cochonnou – Tshirt Sea Shepard ravive ta foi en un monde de tolérance et d’harmonie. Sur le Mainstage 1, les vétérans des Burning Heads ont bien du mérite à envoyer leur punk raisonnablement musical. Un nombre significatif de festivaliers boivent leur Kro diluée au pichet. On se bouscule aux douches géantes. Tu leur préfères les brumisateurs du Hellfresh, où tu croises un type guère vêtu d’un maillot de bain à la Borat. D’autres brumisateurs, géants ceux-là, sont disposés près des scènes en extérieur, Warzone et Mainstages 1 et 2. Bouteilles d’eau et gourdes sont autorisées sur le site. Bref, l’environnement reste à peu près supportable pour peu qu’on souhaite ne pas mourir. Or, immobiles en plein cagnard, des centaines de festivaliers attendent le merchandising Hellfest de l’année. De grands malades. On annoncera 800 malaises pris en charge sur les deux premiers jours, à comparer avec l’ordinaire des bobos et sauvetages de viande saoule parmi les 60.000 festivaliers présents chaque jour sur le site. Guère plus, apparemment.

Depuis le seuil de Valley, dédiée aux tempos lents et aux sons expérimentaux, posté derrière un garçon massif en tutu orange et sombrero vert, tu découvres une poignée de minutes le stoner metal psychédélique du combo américain Elder. Net, précis, puissant : une découverte qui vaut son pesant de Black Sabbath post-Dio, enchaînée sur l’apparition d’une première dame torse nu et visiblement très heureuse de l’être. Rien que de très normal en ces contrées – en espérant qu’elle ait misé sur le renfort d’un bon indice 50. Tu passes une tête en Altar où la fin du set de Cadaver t’acclimate à plus violent, en l’espèce un death metal technique norvégien qui donne le hoquet. Sur le Mainstage 2, on reste en Norvège, mais Leprous propose du prog expérimental un tantinet mou du genou qui donne pour l’essentiel à compatir avec le port des gilets et chemises noires de ses exécutants. D’aucuns clameront avoir adoré. Tant mieux pour eux. Sur l’esplanade punk de la Warzone, guère d’énervement non plus avec le flow presque sage de Rude Boy reprenant les standards des Hollandais d’Urban Dance Squad. Une fois n’est pas coutume, le Mainstage 1 remue plus franchement grâce à The Inspecteur Cluzo, deux agriculteurs landais à mi-temps qui dédient le concert à leurs animaux a priori pas moins sensible à la température que le festivalier lambda. Leur rock sincère « garanti sans ordinateurs » vibre d’un groove appréciable. Le chanteur lance « Adichatz » au porteur d’un drapeau gascon.
La gratitude du masochiste en combi intégrale et pinces à linge sur les tétons
Dans la foulée, tu avais noté Shinedown sur recommandation d’un imposant Guillaume croisé à l’entrée. On pourra pinailler sur un son plus proche du rock alternatif que du métal, mais l’énergie est bien présente – mention au chanteur, vague sosie du rouquin de Homeland – et les refrains catchy offrent largement de quoi remuer la tête. Pour la fringale de violence qui monte peu à peu du fond de ton estomac, Altar déçoit rarement. Ce ne sera certes pas le cas avec Gatecreeper, que le look et le logo rapprochent d’un black metal sépulcral mais dont les riffs et breaks furieux assurent l’appartenance à la mouvance death. Autre truc mnémotechnique (discutable, certes) : le guitariste de death hoche la tête, celui de black la tourne. Difficile de pousser beaucoup plus loin le raisonnement alors que les basses te font vibrer les gonades au sens littéral du terme. Le chanteur réclame un mosh pit sur un mid-tempo lourd comme une carcasse de char russe. Bonne baffe. Tu t’extrais d’Altar en titubant. Au loin le final de Shinedown s’avère plus intense que son commencement. Toi, tu poursuis le comparatif entre black et death à Temple devant The great old ones. Cheveux, barbes et fringues noirs, les Français sont bien dans les canons fantaisistes du genre. Ni complètement calme, ni énervé comme tout, leur style complexe paraît plus taillé pour le studio que pour la scène. Autre chanteur rouquemoute, Franck Carter, lui, semble taillé pour le live. Il chante en plein slamming, sans avoir recours aux recettes actuelles de KISS pour autant. Leader desRattlesnakes, le punk Anglais suscite la compassion lorsqu’il invite les mecs de l’assistance à ménager un espace de mosh pit 100% feminin, voire la compassion lorsqu’il balance «This song is about opening a tatoo shop in London two weeks before the fucking pandemic. » Ouch, certes. Piteux, tu passeras l’heure suivante auprès de ceux dont tu moquais encore l’inconscience il y a peu, c’est-à-dire rôtissant dans la queue du Merch à souhaiter que ton Tshirt favori ne s’épuise pas en taille L, ce qui te vaut de louper le prometteur set d’Opeth en Mainstage 2, ou plutôt de le deviner dans le lointain. Ouf. Tu peux lâcher tes 22 balles avec la gratitude du masochiste en combi intégrale et pinces à linge sur les tétons.

Tu as enfin eu ton taille L, le joli, celui avec le crâne aux ailes de papillon. Du black metal grec à Temple semble indiqué pour célébrer ton vain succès. Le paradoxe de Rotting Christ consiste à faire moins lugubre qu’attendu tout en atteignant les sommets d’impiété escomptés, ce dont témoigne l’usage immodéré du latin. Leur musique variée recèle un vrai souffle épique, porté par une basse très en avant et fort apprécié par le grand rastafarien aux dreads interminables qui s’agite devant toi. Tu tiens peut-être ici ton meilleur concert de la journée. Il y aura match avec la tempête pleine de maîtrise proposée par Mastodon en Mainstage 2. La débauche d’énergie de Brann Dailor à la batterie et au chant te laisse coi. Le caniche affiché sur sa grosse caisse également. À côté de toi, un anglophone pousse la courtoisie jusqu’à demander s’il peut se placer là où il ne bouche aucunement la vue. Mastodon clôt son set sur un Blood and thunder d’anthologie, le guitariste Brent Hinds partant en slamming sur le dos. Tu recroises un Borat passablement éméché dont le maillot détendu donne désormais à voir un bon tronçon de la teub. Aux Irlandais de Boston des Dropkick Murphy’s sur le Mainstage 1, tu préfèreras ceux du Leinster de Primordial et leur frontman charismatique évoquant le méchant de l’ultime saison de Stranger Things. Le black pagan qu’ils proposent a des accents celtiques prononcés. L’émotion est palpable au moment d’associer les victimes de la guerre d’Ukraine sur un titre évoquant celles du conflit anglo-irlandais. En quittant Temple pour Altar, tu saisis la reprise vitaminée de TNT d’ACDC par les Dropkick. Un kif de plus.
Two girls, one cupcake
Le son d’At the gates pâtit un chouïa de la pure voix de tête de Tomas Lindberg, désormais dépouillée de ses aspérités râpeuses. Reste que les instrumentistes déclenchent toujours la même coulée de lave sonore, un death metal mélodique dans lequel les oreilles un tant soit peu résistantes puiseront une étrange sérénité. Sans surprise, les extraits de Slaughter of the soul sont les sommets de leur prestation. Ils quittent la scène un par un, tu les salues comme des copains. La journée finira sans délicatesse aucune avec les keupons hardcore newyorkais de Cro-Mags. L’énergie que dégage le musculeux chanteur et bassiste Harley Flanagan évoque un EPR qu’on aurait réussi à démarrer. « Fuck that other bullshit » lance-t-il à propos des scènes du festival qui ne sont pas la Warzone, avant de se vider élégamment le nez et d’envoyer le dernier titre de son set. Il est minuit à l’horloge monumentale du festival, retour au gîte, Volbeat se passera de toi. La douche qui suit ta journée de Hellfest par 40 degrés tient de la résurrection. Le lendemain ne sera pas plus frais.

D’ailleurs les camionnettes de la gendarmerie que tu croises en marchant vers le site roulent fenêtres ouvertes, ce qui permet d’entendre les tubes de Ghost, tête d’affiche du soir, que certains pandores passent à fond les ballons. Pour toi les réjouissances débutent avec les belgo-celtes d’Aktarum qui mouillent le maillot (noir, nous sommes à Temple) d’entrée de jeu et suscitent déjà slamming et circle pits, voire une motherfucking queue-leuleu. Leur troll metal riffe dur sur fond de binious, on te glisse dans l’oreillette que l’influence d’Ensiferum est très palpable. Sur la scène de la damnation éternelle, toute cette joie semblerait presque déplacée. Tu as certes raté Brutal Sphincter à 11h45, mais le Bénélux recèle d’autres trésors de subtilité goregrind, tel le quatuor hollandais Rectal Smegma qui enchaîne en Altar. Tu hésites à regretter de ne pas bien saisir le détail des paroles du très guttural et musculeux chanteur Yannic, plus tatoué qu’on gang entier de bikers. Les titres qu’il annonce, tel Two girls, one cupcake, suffisent à laisser travailler son imagination. Au-delà des outrances potaches, l’ambiance est à l’artisanat joyeux : l’assistance s’avère clairsemée mais enthousiaste, le batteur répare sa cymbale en plein morceau, les musiciens remballent leur matos à l’issue du set. Les musiques extrêmes ne se résument pas à Guns n’Roses et Metallica.
Le thrash britannique, un peu comme l’humour allemand
Par le nom alléché, tu files en Warzone voir le set de Guerilla Poubelle, indifférent aux accusations dont fait l’objet le chanteur Till Lemoine – le patron du Hellfest Ben Barbaud rappellera dans son cas comme dans d’autres que son métier est moins de rendre la justice que de programmer des concerts. Leur punk-rock est sans surprise, pas mal de spectateurs connaissent les paroles des chansons et le discours de Lemoine commence bien. « Maintenant, une chanson sur les potes qu’on perd parce qu’ils décèdent ou parce qu’ils sont devenus des grosses merdes. » La suite des interventions ira toujours plus loin dans l’originalité keuponne, brocardant coup sur coup Emmanuel Macron, la maréchaussée et les climatosceptiques. Devant un public aussi conservateur que celui de la Warzone, tant de courage politique émerveille. Toi, tu attrapes la fin de la performance de Knocked Loose, un hardcore passablement brutal pour le Mainstage 1. Un voisin au slip léopard et au sac banane doré apprécie franchement. Originaire du Kentucky, le chanteur strident a des accents de Zack de La Rocha. Peu de chances que l’ombre d’Altar t’offre un quelconque apaisement : il fait bougrement chaud sous la tente et les Anglais de Xentrix ne comptent rien arranger. La B.O. de Terminator 2 envoyée en préambule dit clairement leurs intentions. Le thrash metal britannique est aussi reconnu que l’humour allemand, c’est-à-dire pas des masses, mais ces vétérans-là connaissent leurs riffs de bûcherons. D’ailleurs le pit ne désemplit pas ; un type y plonge avec un casque militaire, il faudrait pouvoir demander la VAR pour attester de la légalité de la manœuvre. Xentrix étale trop d’influences évidentes pour jouer en Champions League mais en remontre à bien des rivaux allemands et américains.

Après une pause dans la forêt du Muscadet, cap sur Altar où les Lillois de Loudblast défendent les chances tricolores au grand concours du set le plus bourrin de la journée. Leur death metal sans fioritures, plus solide sur ses appuis que feu le Deutsche Mark, sonne presque black velu dans la fournaise de l’après-midi par la grâce du chant sépulcral de Stéphane Buriez. Le temps que démarrent les déjantés d’Alestorm, dont l’obsession pour le houblon reflète bien ton rapport du moment à la Kro fraîche, tu écoutes la fin du set de Heaven shall burn en Mainstage 1. On dirait du Lamb of God germanique additionné d’un peu de synthé, et le chanteur qui sonne comme Randy Blythe n’y est pas étranger. Que les dingos du pit soient capables d’envoyer un wall of death t’effraie autant que l’effort t’épate. Arrive Alestorm, qui confirme l’étrange retour en grâce de la guitare clavier, et son folk metal épique en arrache beaucoup à leur torpeur caniculaire. Un drapeau rose « Pussy licker » s’agite frénétiquement. Une slammeuse navigue sur la foule juchée sur une bouée rappelant le gigantesque canard gonflable autour duquel s’agitent les Ecossais. Derrière l’indéniable côté « Patrick Sébastien métal » de leurs histoires de pirates, à son pic sur un Mexico aussi débile que réjouissant, la grosse basse de Gareth Murdock (en élégant marcel Moët et Chandon) vrombit et des riffs appuyés rappellent au besoin qu’on est bien au Hellfest. Le final enlevé sur Drink et son emblématique « We are here to drink your beer » t’envoie comme de juste à la poursuite d’un désoiffeur.
Des pépés aussi joviaux que périmés
Sur le Mainstage 2, la relève d’Alestorm dans un mood « et pouet, et pouet » est assurée par Steel Panther, le groupe le moins #MeToo du plateau. Moitié glam metal, moitié compléments capillaires, moitié standup qui tache, la formation du guitariste Satchel livre une prestation carrée au possible. Les types imitent le batteur manchot de Def Leppard Rick Allen ou le plus-si-fringant Ozzy Osbourne avec le même goût exquis dont ils font preuve pour rendre hommage au public (« You’re the best public we’ve had in 10 days, I’m saying this because I’m high on cocaine »), se chambrer entre eux (« Il a oune petite bite » clame Satchel à propos de son chanteur en lisant l’antisèche écrite dans sa main) ou complimenter les filles de l’assistance en pervers assumés, apothéose obligée de leur set. Elles sont des dizaines à monter les rejoindre, quelques-unes à exhiber leur poitrine sur écran géant. Tu y trouves plus de joie contagieuse que de scories du vilain patriarcat. Possible que d’autres désapprouvent. Le truc qui ne fait guère débat est que les zozos de Steel Panther sont avant tout des musiciens, plaquant une reprise impeccable de Crazy train et assurant jusqu’à l’imparable Glory Hole, hymne aux amours aveugles de sanisettes pas nettes. Toi, tu t’es placé face au Mainstage 1 pour suivre l’affaire de biais. Le choix a son importance, vu que tu es maintenant pile dans l’axe de la scène où Megadeth va envoyer le premier de ses deux concerts du Hellfest 2022. Leur set mollasson de 2018 à la scénographie inexistante ne n’avait pas franchement donné envie de rempiler, mais tu profites du temps imparti avant Sepultura et de la parfaite visibilité dont tu disposes. Bien t’en prends : le mur d’images a de quoi satisfaire les moins épileptiques des festivaliers et le cérémonial s’avère cette fois huilé comme il faut, faisant la part belle aux deux gratteux en chemise – tout juste peux-tu déplorer un peu trop d’extraits de Dystopia. Dave Mustaine ne chante pas mieux qu’auparavant et son coup de vieux est ostensible, toutefois son émotion sincère de rejouer ici, ses belles guitares lustrées de frais et son talent intact à les faire couiner harmonieusement emportent le morceau. C’est presque à regret que tu galopes maintenant vers Altar.

Autant dire que tu passes de la salle Pleyel au creuset d’un haut fourneau. Impossible de prendre des notes une fois agrégé à l’amas bouillant et protéiforme qu’est la foule massée aux pieds des Brésiliens de Sepultura. Tu te rappelles avoir viré tes bouchons d’oreilles, incapable de discerner les riffs mythiques d’Arise, une décision plus ou moins compréhensible pour des sujets sains d’esprit. Le son n’est ni le plus net ni le plus équilibré du festival, en revanche l’intensité des tauliers du thrash et du groove metal sud-américains ne se discute pas. La setlist alterne avec bonheur entre titres anciens et nouveaux – mention au formidable Means to an end du dernier album Quadra –, sprints effrénés et stompers midtempo, accents thrashy ou tribaux, hargne viscérale et slogans politiques à dominante écolo. Aux fûts, la pieuvre Eloy Casagrande fait méthodiquement monter les pulsations sans que sa récente fracture à la jambe droite se remarque particulièrement. Tu perds l’essentiel de ta voix sur Propaganda, la foule entre en fusion sur Refuse/Resist puis Roots Bloody Roots. Le terme de cette heure démente te soulage autant qu’il te frustre, au moins te félicites-tu presque d’y avoir survécu. Au sol, le goudron tout récent étendu ici comme en Temple n’a curieusement pas fondu. C’est alors que tu remarques le môme d’une huitaine d’années qui s’extrait de la fournaise devant toi, tenant la main de son papa. Bigre. Tu te remets de l’épreuve en déambulant comme un boxeur rendu crétin jusqu’à la Warzone, attrapant un peu du punk très mélodique de Social Distortion, puis au Mainstage 2 où les pépés joviaux de Deep Purple démontrent qu’ils ont passé la date de péremption.
Tous à Coil
Tu ne suivras pas les têtes d’affiches costumées de Ghost passé les deux premières chansons – et ne verras donc pas Tobias Forge s’excuser d’être incapable de finir le set faute de voix – vu que tu étais de leur (très bon) concert de Bercy programmé ce dernier lundi de Pâques, soit déjà un fameux blasphème en soi. Non, ce qui te titille, c’est du moins attendu, les auteurs de l’une des performances les plus remarquées du Hellfest 2019, le groupe japonais Envy qui investit la Valley après les débuts du Pape et de ses goules anonymes. Leur style pourra dérouter les purs techniciens en quête de sophistication : les concerts d’Envy s’appréhendent avec les bas morceaux plutôt que du haut d’une riche expérience en solfège. Ils sont un peu à la bourre mais toi, tu es cueilli d’emblée, moins résistant à leur came qu’une fleur des champs au sécateur. Les morceaux sont autant de lentes montées en puissance, calmes de prime abord, baignées de douces lumières qui placent les musiciens à contrejour. Résonne alors l’explosion screamo attendue d’un chanteur soudain écorché vif, tandis qu’autour lui les gratteux s’engagent physiquement à en tomber par terre. L’effet produit chez le sujet consentant est une irrésistible remontée d’émotions brutes et plus ou moins enfouies. Le phénomène se fait prévisible à la troisième ou quatrième chanson, et le procédé est un poil roublard ? Possible, mais ça fonctionne, à en juger par la quantité de larmichettes qui viennent s’ajouter aux tiennes. Tu ne connais pas d’équivalents à ce travail-là, et sors de ce concert tout aussi vidé et ravi qu’après Sepultura bien qu’infiniment moins en nage.

Réconcilions musiques extrêmes et préoccupations bien dans leur époque : bol de sciure à la main, tu rigoles devant le panneau « No clean vocals in death metal » suspendu dans l’entrée des toilettes sèches de Hell City à l’entame du premier dimanche après-midi de festival. La canicule avait beau seoir au Hellfest, tu ne la regrettes guère devant Lacuna Coil sur le Mainstage 1 en profitant du joli ciel gris. La température permet désormais de savourer sa pinte en plus d’une minute trente sans qu’elle rappelle un bouillon de poule. Même si le goth metal n’est pas complètement ton genre de beauté, les Italiens peinturlurés ont le bon goût de ne pas trop forcer sur les synthés, et puis le chant clair de Christina Scabbia éclipse la voix gutturale moins avenante de son comparse Andrea Ferro. Des jeunes filles aussi couvertes que distinguées se promènent en bikini, distribuant des invitations pour un strip-club nantais. Tes potes et toi êtes visiblement dans la cible, ce dont tu te garderas de te féliciter. Démarre alors en Mainstage 2 le set de Battle Beast, qui pourrait correspondre à du power metal oublié trop longtemps au fond de ton frigo. Avec allégresse, les Finlandais repoussent les limites du kitsch dans un sous-genre métalleux rarement avare en la matière ; ces gens-là sont taillés pour rafler la prochaine édition de l’Eurovision. Pour plus de sérieux, direction Altar et le death metal très bruyant de Hour of Penance, compatriotes de Lacuna Coil. Tu sais d’expérience que les troisièmes jours de Hellfest sont ingrats : le pit peine à s’animer en dépit de la brutalité du bazar, à moins que ce manque de réaction provienne du côté un poil monocorde de la démonstration technique des Transalpins. Guère emballé, tu décides de passer une tête en Valley pour tester le sludge d’Inter Arma. Leurs bons gros riffs d’inspiration sabbathienne, agrémentés d’éléments d’un métal plus extrême (chant growlé, double kick), en font de dignes ambassadeurs de l’état de Virginie – précisons toutefois que le batteur barbu est vêtu d’un short rose et d’un rude combo sandales-chaussettes blanches.
Un étrange rasta japonais à la guitare
Arrive peut-être le moment injuste du festival, certes inévitable, où une manière de saturation sonore t’empêche de bien piger une proposition musicale. En ce qui te concerne, le sort a désigné Regarde les hommes tomber, piliers du Hellfest From Home organisé l’an passé. Pour autant que tu puisses en juger, leur black metal est à la fois rapide et lancinant, le chanteur en toge s’avère démoniaque comme il faut, mais le son entre par ton oreille gauche sans faire bouger ta couille droite. Basta, tu décolles vers Jesus Piece en Warzone pour relancer la machine. Le hardcore des Pennsylvaniens consiste peu ou prou à napper un bon gros punk de la même sauce piquante dont Inter Arma assaisonne son sludge. Ça fonctionne : tu kiffes. Merci Jésus ! Tu redoutes pourtant un choc aussi stylistique que générationnel en t’approchant du Mainstage 2, plutôt accessible avant le set de Doro. Fait remarquable, l’ex-chanteuse de Warlock qu’on surnomme la Metal Queen honore cette année sa première invitation sur le nouveau site du festival. « Do you like old school metal ? » demande-t-elle d’entrée, ceinte d’une combinaison à base de cuir et clous mettant en valeur une silhouette inchangée à bientôt 60 piges. Mieux vaut répondre « Oui » à ladite question, tant le répertoire de Doro Pesch ferait une B.O. appropriée pour une prochaine saison de Stranger Things (oui, avec le chanteur de Primordial s’il a survécu). Toi, tu goûtes les refrains catchy, les riffs d’une efficacité toute germanique et l’enthousiasme indiscutable de la dame.

De retour vers les Mainstages après une pause au bois du Muscadet, tu aperçois de loin une chapka noire de légende. Michael Schenker finit son set en Mainstage 2 lorsque tu te positionnes pour Maximum The Hormone dans l’axe du 1, curieux de savoir si on te les a survendus. Nul scoop à annoncer : le cadet des Schenker joue toujours très bien de la guitare, merci. À part ça, les numéros de guitar heroes à l’ancienne t’impressionnent moins qu’au lycée, quand il fallait affirmer, l’air grave : « Oui mais le plus fort c’est quand même Satriani ». Puis démarre le grand barnum japonais, accompagné d’une formidable hystérie collective depuis la scène jusqu’à la distance respectable à laquelle tu t’en tiens. Tenter de définir MTH est un défi en soi, tantôt rap metal syncopé à la System of a Down, tantôt funkcore à la diable, parfois métal extrême ou les trois à la fois. Ah, tiens, Wikipedia dit nu metal et punk hardcore, autant dire l’inutilité fondamentale de faire rentrer au chausse-pieds cette aimable bande de furieux dans une case. Un hurleur guttural, un bassiste branché sur secteur – la comparaison avec Flea n’est pas vaine –, un étrange rasta japonais à la guitare et une déjantée candide aux fûts, voilà en gros ce qui s’agite sous tes yeux écarquillés. Pour donner une petite idée de l’ambiance, précisons qu’un authentique circle pit démarre à 100 mètres de la fosse. Avec Dying Fetus en Altar (qui démarre son set sensiblement en retard), le contraste s’avère assez violent. Un trio de vieux briscards du Maryland statiques comme tout empile freinages casse-cou et accélérations techniques autour de 300 à l’heure. Aucune trace de fantaisie là-dedans, surtout après le grand nawak qui a précédé, mais l’amateur de death metal technique à l’ancienne y trouve mieux que son compte.
Quand Jo se prend pour Hetfield
Pile au moment où la France revient aux joies des années Auriol et Coty, quitter Dying Fetus est un crève-cœur, justifié par le premier dilemme d’agenda cornélien de ta journée : sur le Mainstage 2 se produit un grand habitué du Hellfest, cette fois comme frontman de Down, son supergroupe de southern rock pachydermique. Orphelin de Pantera depuis bientôt 20 piges, moulé dans un Tshirt Black Sabbath Vol 4, Phil Anselmo n’a pas rajeuni. Sur scène, sa présence physique est l’ombre de ce qu’elle fut. Entre deux titres, il mâchouille ostensiblement son chewing-gum et affiche une mine plus blasée qu’un Michel Sardou. Pourtant sa putain de voix n’a jamais mieux sonné à tes oreilles : le bougre ne se prend plus pour une diva extrême, il s’accorde magnifiquement aux riffs lourds et graisseux du duo Keenan-Windstein. Après un monumental Stone the Crow, les techniciens remplacent les zicos sur Bury Me in Smoke pour le final. Toi, tu souris comme un con. Une fois n’est pas coutume, tu tentes avec succès de te trouver un spot vers le quatrième rang en prévision de ce qui suivra en Mainstage 2, avec un fond sonore carrément luxueux pour l’attente : KoЯn sur le 1. « Do you want to hear some new shit ? » demande un Jonathan Davis au meilleur de sa forme. C’est que le groupe a bossé, publiant deux disques depuis son dernier passage à Clisson. Sorti de son premier album éponyme, tu n’es pas un spécialiste des grands anciens du nu metal, mais l’énorme son de basse caractéristique du groupe et la voix très versatile de Davis te ravissent en s’ajustant sans le moindre accroc. Il te semble reconnaître One et We will rock you, ce que ne confirment pas les comptes-rendus officiels. Ton âge, peut-être. Sur écran géant, la grosse tache noire sous l’ongle du pouce d’un des gratteux rappelle combien le groupe entretient son look de clodos. Et fallait-il vraiment que Davis joue de la cornemuse (NB : foutez la paix à Bon Scott, il est mort en 1980) ? Toujours est-il que l’imparable Blind vient clore une prestation de haute volée. Les vétérans ont assuré, qu’en sera-t-il des ancêtres ?

Car dans le décor d’usine des West Midlands dressé sur le Mainstage 2, alors que résonne le War Pigs des voisins de Sabbath, s’avance maintenant un Rob Halford pâle et septuagénaire. Il te coûte de le reconnaître, mais le frontman de Judas Priest ne dispose plus que d’une petite moitié de l’organe de harpie qui fit sa légende – on parle de sa voix. Elle ne permettrait plus de briguer le titre de plus grand chanteur de heavy metal depuis la mort de Ronnie James Dio, mais lui suffit à prendre un pied ostensible sur scène, et toi avec lui. Costumes de motard abracadabrantesques, Harley Davidson chevauchée sur Hell bent for leather, fouet généreusement administré à ses partenaires, Rob s’éclate toujours avec ses jouets favoris. La setlist parcourt avec intelligence plus de 50 ans de carrière, le duo de guitares lead Faulkner-Sneap honore la mémoire de Downing et Tipton, les machines Hill et Travis assurent imperturbablement en section rythmique. Et Turbo Lover sonne tout de même mieux sans les synthés, bordel. D’une manière plus digne que Deep Purple, Judas Priest rappelle combien le temps est le principal ennemi d’un genre musical contraint au renouvellement accéléré de ses têtes d’affiches – à voir l’état des Rolling Stones, on étendra la considération au rock n’roll dans son ensemble. Mais puisque tout n’est pas à jeter dans cette époque de merde, l’une des plus formidables puissances émergentes du métal contemporain est un groupe français, les Aquitains de Gojira, récents n°1 du Billboard Hard Rock américain avec Fortitude. De quoi remplacer mieux qu’honorablement System of a Down, prévus en clôture du festival au temps lointain où l’on envisageait un Hellfest en 2020. Le groupe de Joe Duplantier a soigné la dimension visuelle de son show, succession de tableaux souvent abstraits et colorés agrémentés d’effets pyrotechniques et de lâchers de papelitos ; chez Gojira, les écrans géants se complètent plus qu’il ne se répliquent. Single du dernier album, Born for one thing ouvre la setlist. Accentuant la batterie d’un Mario Duplantier dont c’est l’anniversaire, le mix rappelle qui est la star. « Est-ce que vous êtes vivants ? » demande son frère Joe, après quoi on constate combien il est facile de se prendre pour James Hetfield une fois dressé devant 50000 spectateurs en transe.
Rock n’Rolf attitude
Un moment parfaitement choisi pour faire ton snob, puisque tu choisis de disparaître en Altar pour le set des icônes du thrash technique de Coroner. Les programmer face à Gojira relèverait presque du cadeau empoisonné, mais un Ron Royce imperturbable salue la foule clairsemée qui aura préféré venir savourer leur concert minimaliste, au milieu de laquelle point le bob vert de ton ami Wayne. « Nous sommes Coroner, nous sommes de la Suisse ! » annonce le placide Zurichois. Le trio est cette fois accompagné d’un quatrième larron aux platines ; ses samples sifflants mettent en valeur la succession de riffs imprévisibles et subtils qui rend Coroner si particulier dans un sous-genre musical volontiers bas du front – le thrash, pas le metal, hein. Tu seras néanmoins de retour à l’air libre pour la conclusion majestueuse d’une performance de Gojira aux allures de consécration, voire de sacre. The chant confirme qu’il était conçu pour le live. À peine un léger pain de Joe Duplantier sur The gift of guilt te semble-t-il rappeler qu’on a toujours affaire à des humains impressionnables. En guise de mignardise, le groupe vous gratifie du monstrueux New found, inédit en concert, avant de boucler sa setlist par l’hommage au Sepultura période groove metal intitulé Amazonia. Coup de bol pour les Tricolores, le feu d’artifice annulé la veille en clôture de Ghost pour cause de canicule fait un fameux point d’orgue à leur concert… et ne rend pas service aux Allemands de Running Wild, dernier groupe de la journée programmé sur les Mainstages, dont le leader mégalo Rolf « Rock’n Rolf » Kasparek annonce d’emblée que le pyrotechnicien est malade. Les spécialistes du power metal ont revêtu leurs plus beaux atours de flibustiers à galon doré et tentent de maintenir l’intérêt vacillant des derniers fidèles présents à la manière d’un groupe de pub. La setlist, hélas, enchaîne d’emblée trop de titres récents d’intérêt incertain pour vous garder jusqu’au bout, toi et ton pote, tout fan qu’il puisse être de Rock n’Rolf et son orchestre. Leurs meilleurs titres Conquistadores et Raise your fist accompagneront de loin votre retour au parking. Bah, depuis vendredi on ne saurait exclure que vous ayez eu votre dose de rock velu. Jusqu’au prochain festival, s’entend. Bah oui, il commence dans quatre jours, et il sera encore plus long.
