Drame au pays de la guillotine

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Avec l’élimination précoce des Bleus, pour qui ambitionne une analyse technico-tactique un poil plus élaborée que le traditionnel « Rhalala sont trop payés », débute l’indispensable chasse aux fautifs tout trouvés. Pour l’heure, deux noms semblent avoir la faveur de la vindicte tricolore, ceux de Didier Deschamps et Kylian MBappé.

Au premier, on reproche un hasardeux passage à un 3-5-2 au parfum capiteux d’Euro 2012, certes pas la plus grande trouvaille de Laurent Blanc. De fait, on peut très certainement imputer aux tâtonnements de la défense à trois le premier des buts suisses, dont l’infortuné Clément Lenglet n’a pas fini d’entendre causer. Gardons-nous toutefois d’oublier que si DD n’est ni Stefan Kovacs, ni Telê Santana – soit un théoricien du beau jeu – sa réelle compétence de meneur d’hommes ne l’aurait jamais conduit à imposer une telle organisation sans l’assentiment de ses cadres, loin d’être imperméables à 4 derrière contre la Hongrie puis le Portugal. N’omettons pas non plus les stricts faits de jeu : rendu à son 4-4-2 de prédilection après la mi-temps, le XI de France poursuivit son naufrage pendant dix bonnes minutes, au point de concéder un pénalty. Et il évoluait toujours bien dans ce même système préférentiel lors du dernier quart d’heure du temps réglementaire, période où la Suisse combla ses deux buts de retard.

Un coup à Grizou

Du moins peut-on reprocher à Deschamps que son félin proverbial n’ait pas été de sortie – le cas échéant, l’ultime demi-volée de Kingsley Coman eût sans doute fini sous la barre. Las, ces animaux-là n’obéissent guère aux injonctions. En revanche, il appartenait au sélectionneur de décider des derniers changements, et la sortie de Griezmann alors que la France menait toujours par 3 buts à 2 eut de quoi interpeller. La discipline et les biscottos de l’homme de devoir Moussa Sissoko avaient sans doute des allures de valeurs refuge, mais enfin priver l’équipe de l’intelligence, la conduite de balle et le sens du collectif de son numéro 7 en pareil moment interpelle. En bleu, Griezmann n’attire pas toujours les projecteurs ; le fait est qu’il s’en fout un peu, concentré sur le nécessaire à l’instant T. Il incarne l’esprit des champions de 2018, un groupe homogène et solidaire que nul Maradona ou Paolo Rossi ne porta sur ses épaules jusqu’au toit du monde. Sortir Grizou à la 88eme ressemble dès lors à un coup de canif dans un contrat d’équipe que Deschamps lui-même avait longuement peaufiné. Il demeure cependant excessif d’en faire la raison principale de l’échec fracassant d’hier.

Ho, les gars : le monde entier nous l’envie

Les critiques les plus virulents à l’égard de Kylian MBappé négligent eux aussi l’identité profonde – l’ADN, dit-on aujourd’hui – des conquérants de notre deuxième étoile, vainqueurs avec un avant-centre à 0 buts marqués. Au meilleur de ses moyens, cette France-là trouve toujours le buteur qu’il lui faut, fût-il allemand et défenseur central. En 2018, on vanta à raison l’altruisme et l’abnégation d’Olivier Giroud. Si MBappé sera lui aussi resté muet en 2021, faire d’un attaquant le bouc émissaire d’une défaite où la France inscrivit trois buts requiert un fameux effort d’imagination – surtout lorsqu’il contribua si largement aux deux premiers, passeur décisif et auteur d’une talonnade inspirée. Quant au tir au but raté, est-il vraiment besoin de rappeler combien de grands joueurs, de Michel Platini à David Trézéguet, échouèrent dans l’exercice avant lui ? Comme on évoque volontiers la chatte à Dédé, à peine prononce-t-on le nom de Kylian MBappé qu’on lui accole une cucurbitacée fréquente à Cavaillon. Foutaises. Le môme a 22 ans et des états de service phénoménaux que le monde entier nous envie ; il tient des propos d’une maturité rare sur sa carrière, son pays et – justement – sa responsabilité de star du football, jusqu’à son message d’après match. De quoi mériter mieux que le pilori un lendemain de défaite à déglutition pénible.

Remontés comme leurs coucous

Ni Dédé, ni Kyky. La faute à personne, donc, pour une si colossale déception ? Au pays de la guillotine, qui pis est ? Certes non : la faute à des tas de gens, dont les légions de ceux à qui il faut rappeler le formidable alignement d’étoiles requis pour remporter un tournoi international. En vue de remplir un objectif aussi écrasant, un groupe complémentaire et talentueux sur le papier n’a jamais suffi à aucun pays de football, fût-il réputé grand. 1998, 2000 et 2018 eurent ceci de commun que la France, forte de deux succès initiaux, put menager ceux qui en avaient besoin avant les matchs à élimination directe. Quand ce ne fut pas l’équipe entière, lors d’un France-Danemark 2018 aux allures d’aimable décrassage tant un 0-0 convenait aux deux parties…

Rien de ça en 2021 : deux duels de titans livrés à l’Allemagne et au Portugal, entrecoupés d’un piège par 35 degrés à l’ombre contre de vrais-faux « petits » poussés par 60000 de leurs supporters. Trois jours de repos en moins qu’en eurent des Helvètes remontés comme autant de volatiles chers à leur horlogerie – qui eût cru, hormis leurs mamans repectives, que Xhaka, Zuber et Seferovic atteindraient un niveau pareil ? Des blessés à la pelle, dont un Lucas Hernandez à la grinta si essentielle au sursaut bleu à 1-2 face à l’Argentine, lors d’un 1/8 de finale autrement plus glorieux. Et le bol en berne, on l’a dit. Hier soir, l’équipe de France a produit exactement 20 minutes d’un football de champions du monde. Ce qui suffit presque contre une Suisse transcendée leur aurait-il permis de passer l’obstacle espagnol ou le vainqueur de Belgique-Italie ? Il est permis de croire que non.

Ni Dédé, ni Kyky, donc : le football, que j’invite les derniers esprits responsables à boycotter sur-le-champ après ces 120 minutes aussi cruelles qu’extraordinaires. Jusqu’au prochain match, naturellement.

6 commentaires sur “Drame au pays de la guillotine

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