50 shades of bEiGE, toutes les couleurs du meilleur rock

J’ai eu mon baccaluréat il y a pas loin de trente ans et cette seule idée m’effraie. Le sujet est largement documenté dans les pages les plus chargées de nostalgie du présent blog : à l’époque, j’écoutais du métal – enfin, beaucoup de hard rock (AC/DC, Guns n’Roses, Aerosmith) et un peu de métal (Iron Maiden et Judas Priest en tête). Les avantages en étaient multiples : j’étais au taquet des airs de mauvais garçon que je pouvais décemment tenter de me donner, cette posture radicale m’autorisait à fustiger les poseurs qui se régalaient de dérivés de la New Wave finissante, et en plus je crois même que j’aimais bien ça. En témoigne une crise de milieu de vie focalisée sur le Hellfest plutôt que sur les festivals dédiés à la musique de chambre. Il demeure néanmoins une vérité historique : entre adolescence et revival tardif, soit pendant près de deux décennies, mes goûts musicaux se sont portés pour l’essentiel sur ce que les anglo-saxons appellent le classic rock, et je dois ce virage – ainsi que mon peu de culture à l’avenant – à mon ami Bertrand.

L’accorte voisine de Longchamp

Entre 1992 et 1997, nous fûmes camarades de pensionnat puis colocataires. Nous partagions le goût des bonnes ramasses au Clan Campbell ou à la Smirnoff qui désinhibent les garçons introvertis et bien élevés, quitte à se donner un poil en spectacle. Bertrand niait farouchement être un rouquin ; originaire de Nancy, il me fit découvrir en évoquant la Moselle que les provinciaux se méprisaient encore plus entre eux qu’ils ne détestaient Paris. Il m’a aussi enseigné les quatre accords de guitare dont je me rappelle encore vaguement le mi, le la et le ré, mais je n’ai jamais eu sa persévérence à lui. On peut imaginer qu’il se soit mis à la gratte pour choper plutôt que par pure mélomanie, ainsi fonctionnent les boutonneux, toujours est-il que la présence d’un guitariste conférait indiscutablement à notre groupe de copains un ou deux degrés supplémentaires sur l’échelle du cool. Et puis le bougre avait accumulé, dès la fin du siècle dernier, un savoir encyclopédique sur le rock n’roll qu’il aimait à partager. À son contact, j’appris beaucoup.

Ce qui me rapprocha de sa passion pour les Beatles et des Stones était la quête d’une manière d’authenticité, la vérité première d’une musique dévoyée à l’époque par les nouvelles stars de ce qu’on appelait alors le rock indépendant – en gros, ceux qui geignaient sur un son de guitare hyper saturé, Oasis en tête. On en ricanait tous les deux. Je dois à Bertrand d’avoir découvert que la période bénie de Jagger et Richards s’étendait de Beggars Banquet à Exile on Main Street ou que certaines parties de batterie sur Revolver étaient enregistrées à l’envers, entre autres innovations techniques trop peu souvent mises au crédit du Fab Four. De métalleux, j’étais devenu puriste – même si j’écoutais un peu de rap en cachette. Je me rappellerai à tout jamais le concert des Rolling Stones de 1995 à l’Hippodrome de Longchamp, sorte de couronnement de mes connaissances toutes neuves, quand bien même le groupe n’était pas au sommet de sa forme et je garde un souvenir plus ému encore de l’absence de sous-vêtements de notre accorte voisine de devant. Comme le corroborent désormais certaines études scientifiques, passé l’âge fatidique de 25 ans mes goûts musicaux évoluèrent fort peu. Je me complaisais dans la réécoute de mes classiques adorés ; Bertrand, en revanche, continua patiemment de cultiver ses marottes musicales.

Entre bricoleur passionné et alchimiste amateur

Au fil des années, je vis s’étendre la collection de vinyles de ce précurseur de leur retour de hype – « Je préfère les disques aux CDs » -, j’assistai à sa spectaculaire course à l’armement en matière d’appareils de hi-fi – il convient de se placer pile au bon endroit dans son salon pour en saisir tout l’intérêt – et j’observai la transformation d’une chambre de chez lui en véritable studio d’enregistrement encombré d’instruments parfois déroutants. Il fabriqua une guitare de ses propres mains, abandonna la stéréo honnie pour la pureté des pressages mono et suivit une formation d’illustrateur musical – vous avez peut-être entendu sans le savoir des jingles signés Bertrand J. Par la grâce des forums de discussion en ligne, il découvrit aussi encore plus dingue que lui, parmi les inconditionnels des Beatles notamment, et Dieu sait si ces gens-là poussent le bouchon à des distances insoupçonnées. Je suppose que cette émulation le convainquit de se lancer dans son magnum opus : la reconstitution méticuleuse, morceau par morceau, piste par piste et note par note d’albums marquants des années 60, avec une prédilection pour les Beatles et les Beach Boys – question de technicité et d’invention ; en comparaison, les Stones sont d’honorables piliers de Fête de la Musique.

Vous qui visitez 130 livres, vous aurez deviné que je tiens en haute estime l’obsession et la méticulosité (je n’ai pas dit « névrose ») : qu’il me soit permis d’affirmer que mes gribouillages pugilistiques, métalleux ou littéraires ne sont pas grand-chose en les matières lorsqu’on les compare aux reprises de mon ami Bertrand. Ce travail de Romain relève peut-être d’un léger pète au casque, et très certainement d’un respect infini de ses maîtres, comme de la curiosité du bricoleur passionné qui démonterait et remonterait un réacteur nucléaire pour piger comment ça fonctionne. Du bricoleur passionné ou plutôt de l’alchimiste amateur, tant on touche ici à ce que le génie musical a produit de meilleur, des oeuvres superlatives qui resteront pour toujours supérieures à la somme de leurs parties. L’hommage que leur rend mon pote bEiGE – son nom d’artiste – est un truc de maboul qui en restitue toute la portée. Que ce soit sur l’incroyablement fidèle Pet sounds, l’adaptation audacieuse de Revolver ou la face A récemment publiée d’Abbey Road, autant le dire simplement : on est baba. Point n’est besoin de rappeler ici l’époque troublée que nous vivons, ni les montagnes de clics que peut rapporter la moindre reprise paresseuse de crétinerie hip hop sur Youtube. Bertrand, lui, partage sa passion avec une poignée d’autres frappadingues sur Soundcloud – on y trouve aussi ses compositions. Et trop peu de gens le savent.

Allez-y vite : c’est ici.

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