With eggs on top

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Pour peu que l’on eût pu leur tendre un micro, gageons que seuls un nombre restreint de défunts auraient exprimé une franche satisfaction quant à la façon dont ils tirèrent leur révérence. Je peine, de mon côté, à croire aux fins rendues paisibles par l’atteinte d’un âge avancé et la certitude du destin accompli – au mieux, cette paix supposée traduit une résignation raisonnable, qu’on ripoline parfois en sagesse, conjuguée à la louable volonté de ménager ceux qui restent. Plus je réfléchis à la question, moins je me souhaite la fin de qui que ce soit. Même pas celle de Terry Jones. Surtout pas celle de Terry Jones, pourtant humoriste, scénariste, réalisateur, acteur, écrivain pour enfants, poète, historien, éditorialiste, amoureux et père comblé, parti mardi dernier à 77 ans.

Une exquise intelligence langagière

Les dernières images publiques de Terry Jones tranchent singulièrement avec celles, hilarantes, qui nous restent du stupide Bevedere le sage de Sacré Graal, la mère acariâtre Mandy Cohen du héros de La vie de Brian, le répugnant Mr Creosote du Sens de la vie ou l’inquisiteur espagnol Biggles du Monty Python Flying Circus, tous nés d’une collaboration féconde avec cinq autres esprits aussi génialement dérangés que le sien. Récompensé d’une sorte de César gallois pour l’ensemble de son oeuvre, Jones reçut une ovation considérable. Sur scène, l’émotion profonde du vieil homme frappa autant que son mutisme, et ce fut son fils Bill qui prononça les remerciements d’usage. Car Terry Jones, frappé d’une rare maladie neuro-dégénérative, ne trouvait plus ses mots.

Jusque là, son exquise intelligence langagière lui avait permis de mener une carrière parfaitement singulière, dénuée du moindre compromis et fondée sur le principe toujours plus ambitieux que l’on peut amuser, émouvoir, éduquer ou convaincre les foules sans prendre son prochain pour un demeuré profond. Tout l’atteste, dans le parcours unique de ce diplômé d’Oxford : entre autres, l’humour foutraque et exigeant des Monty Python, l’inventivité de leurs films – qu’il mit en scène -, l’autorité qu’on lui accorda comme spécialiste attaché au démontage d’idées reçues sur le Moyen-Âge , ou sa plume acérée d’éditorialiste, lorsqu’il s’agit de dénoncer les absurdités de la seconde guerre d’Irak.

En hommage à d’innombrables appétits

Sans doute faut-il un certain raffinement pour imaginer la détresse d’un homme qui sait que celui qu’on applaudit n’est plus vraiment, conscient qu’il continuerait à exister sans les mots dont il fut un virtuose, donc de l’effacement irrémédiable de tout ce qui fit de lui Terry Jones. Une amputation de sa personne, en tranches fines, jusqu’au néant – voire un reliquat approchant. Qu’il m’ait autant fait marrer ajoute au tragique consommé de cette fin de vie. Jamais je n’aurais cru pouvoir dire un jour : « Je ne suis pas jaloux de Terry Jones ».

Pour conjurer une image aussi poignante que celle des Bafta Cymru Awards de 2016, le choix évident consiste à se rappeler la merveilleuse chanson des crucifiés de La vie de Brian. J’y associerai ce dialogue du Sens de la vie, parfait hommage aux innombrables appétits de Terry Jones. Avant son spectulaire éclatement final, l’obèse morbide et dégobillant qu’il y interprète écoute le menu du jour récité par John Cleese, maître d’hôtel au pompeux accent français de circonstance :

 “- Maître D’: Today we have, for appetizers moules marinières, pâté de foie gras, beluga caviar, eggs Benedictine, tarte de poireaux, that’s leek tart, frogs’ legs amandine, or oeufs de caille Richard Shepherd, c’est à dire, little quails’ eggs on a bed of puréed mushroom. It’s very delicate, very subtle.

– Mr. Creosote: I’ll have the lot.

 – Maître D’: A wise choice, Monsieur ! And now, how would you like it served ? All mixed up together in a bucket ?

 – Mr. Creosote: Yeah. With eggs on top. »

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