30 ans après : Seattle ’89, de Metallica

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Avant la généralisation des concerts filmés et retransmis en direct sur grand écran pour que ceux du fond puissent suivre, l’enregistrement de la musique live avait beaucoup à voir avec l’ornithologie : on installait son matériel de prise de vue en espérant que se produisît un alignement d’étoiles très incertain. Le bon set était facile à capter pour peu que l’on suive un groupe correct, mais un film de concert parfait avait tout du cliché saisissant le Martin-pêcheur dans la microseconde où il chopait le têtard. Pour Metallica – voire pour le métal en général –, le moment de grâce, au Center Coliseum de Seattle, s’étira entre les 29 et 30 août 1989.

Le bel âge, en rock n’roll

À l’époque, tels les Iron Maiden de Live after death, les Rolling Stones de Get yer ya ya’s out ou les Who du Live at Leeds, le quatuor de San Francisco a toujours l’énergie des mômes d’à peine plus de 25 piges, tout en affichant déjà un certain kilométrage. Un groupe d’un peu moins de 10 ans : le bel âge, en rock n’roll. Leurs quatre galettes produites à date ont largement contribué à propulser le thrash metal du monde des minicassettes échangées sous le manteau à celui des grandes salles blindées de fans en transe guerrière.

De Kill’em all à …And justice for all, en passant par le diptyque majestueux composé des faux jumeaux Ride the lightning et Master of puppets, Metallica a peaufiné son style caractéristique : rage, vitesse et puissance domestiquées par des compositions rigoureuses et complexes, souvent d’inspiration classique. Ce dernier point est largement dû à l’influence du premier bassiste, le regretté Cliff Burton, décédé en Suède lors d’un accident de bus sur la tournée 86. En une petite décennie, Metallica a déjà beaucoup, beaucoup vécu.

Tout est parfait, jusqu’à la poudre locale

Pas assez, en revanche, pour tenter puis assumer la bascule du mainstream. Celle-ci sera pour 1991 et l’album Metallica, mondialement connu sous le nom de « Black album ». Les honneurs du Billboard et du Top 50. Puis le vague à l’âme des rock stars et les angoisses du milieu de vie et des pages blanches. Fin août 1989, les quatre cavaliers sont chevelus, efflanqués, tout de noir vêtus, vierges de tatouages et de vernis à ongles. Une chimie complexe à base de faim, de colère, d’hormones, de fatigue intense – ils tournent depuis un an – et de toutes sortes d’expédients exogènes les a plongés dans un état idéal de conscience et d’envie.

Les hommes, donc, sont au taquet. Issue de quatre albums formidables, la setlist est splendide. Déjà incandescent, le public explose lorsqu’on lui annonce que le concert sera filmé, et The Cult a assuré une première partie aux petits oignons. Ajoutons, comme en témoignera l’entrain bestial de chacun des protagonistes, l’excellente qualité probable de la cocaïne disponible localement. Dire qu’ils sont habités sur scène est un understatement.

Four horsemen au taquet

Le James Hetfield de 2019 porte un patch « Papa Het » sur son blouson de biker, arbore une silhouette épaissie, chante sur un registre élargi d’artiste lyrique et joue à fond la camaraderie avec son public. Celui de 1989 est un animal différent. Sur sa Gibson Explorer blanche est écrit « EET FUK ». Une présence magnétique et menaçante, au chant rauque à moitié scandé, qui ne doute jamais de son ascendant de mâle alpha sur les fans, aussi chauds soient-ils, et distribue des ordres. Chez Metallica, le traditionnel concours de biroutes entre chanteur et guitariste lead n’existe pas : pas plus en 89 qu’aujourd’hui le farfadet Hammet ne conteste l’aura dominante de Hetfield. En revanche, Kirk enchaîne en souverain les solos irréprochables à des vitesses encore supérieures à celles des albums studio ; on est alors loin des overdoses de pédale wah-wah et des pains à répétition qui pollueront ses moins bonnes années.

Reste que Seattle 89 doit son statut de mythe à son rythme dément : c’est le job de l’attelage Ulrich-Newsted – certes calé sur la main droite du boss Hetfield –, impeccable tout du long. Lorsqu’on évoque Metallica, critiquer Lars Ulrich tient autant du rituel que rappeler le bras manquant du batteur en évoquant Def Leppard. Il le doit autant à son inconstance confinant à la paresse qu’à des déclarations publiques toujours plus irritantes. Mais le Lars féroce et increvable de cet enregistrement rachèterait presque ses errements de tête à claques patentée. Quant à Newsted, il ajoute à la virtuosité de son solo sur To live is to die une présence démoniaque au chant guttural, en écho d’Hetfield.

Un Creeping death à se cramponner à son slip

N’importe quel titre aurait permis de rendre compte du sublime cataclysme que fut ce live de Seattle. L’entrée en matière brutale sur le prophétique Blackened, annonciateur d’une apocalypse écologique qui ne sonne pas moins juste trente ans après. Les thrashers Seek and destroy, Battery ou Whiplash joués sur un tempo insane. La pesanteur infinie donnée aux hymnes For whom the bell tolls, The thing that should not be ou Harvester of sorrow. Les ballades jamais plus névrotiques Fade to black ou Welcome home (sanitarium). Voire l’emblématique Master of puppets et sa divine intro accoustique. Mon choix est subjectif et assumé : il s’agit du dantesque Creeping death interprété en rappel.

Oui, n’importe quelle chanson aurait fait l’affaire, mais cette version-là de Creeping death requiert de ses auditeurs qu’ils s’accrochent fermement à leurs sous-vêtements. Je signale aux lecteurs les moins familiers de la culture Metallica qu’il s’agit d’un très gros thrasher, parmi les plus joués sur scène de l’histoire du groupe, sonnant comme un pied de nez aux procureurs habituels du heavy metal qui cherchent partout la petite bête (cornue) du satanisme. Le texte est en effet inspiré du Livre de l’Exode, dont il reprend littéralement l’épisode de la septième plaie d’Egypte, une manière de rappeler que la violence extrême est assez présente dans les textes sacrés des monothéismes traditionnels pour s’affranchir d’en inventer de plus déviants.

Vous ne connaissez pas ? Veinards, va.

L’osmose parfaite du groupe et de la foule s’accomplit sur le pont prolongé où les « Die ! Die ! » scandés par des milliers d’inconditionnels arrachent à Hetfield un pur sourire de gamin. Alors que lorsqu’il disait « I’m creeping death », on le croyait sur parole. Outre la vitesse et la puissance d’arrêt spectaculaires du titre, exécuté à la perfection en pleine hystérie collective, la prestation tonitruante de Jason Newsted sur l’ultime refrain explique pourquoi tant de fans sont nostalgiques du bassiste parti du groupe en 2003, malgré la technicité enthousiaste de son successeur Rob Tujillo.

Tout le reste du live est à l’avenant, et disponible en ligne. Âmes sensibles, rien de tout cela n’est vraiment nécessaire. Les autres, si vous ne connaissez pas 30 ans après : veinards, va.

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