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Trop de bonnes fées s’étaient penchées sur Get out, le premier film de Jordan Peele, pour ne pas nourrir quelque appréhension pour son deuxième opus Us, résolument positionné sur le même créneau de l’horreur contemporaine à fort arrière-plan sociétal. Get out avait du style, une distribution irréprochable, autant d’ironie que de poil à gratter, une bonne dose de malice et de vraies difficultés à boucler son récit à un niveau conforme aux attentes suscitées par les trois premiers quarts du film. Plus ambitieux dans le propos comme dans la structure, Us surpasse presque en tout point son glorieux prédécesseur.
L’attaque des sosies
On se familisarise, dès l’ouverture, avec le personnage d’Adelaide, gamine afro-américaine des années 80 visitant le parc d’attraction de la station balnéaire de Santa Cruz. Une seconde d’inattention de ses parents, et la petite part explorer, seule, les sombres recoins d’une sorte de palais des glaces… où elle semble rencontrer, perdue au milieu des miroirs déformants, son véritable double. C’est-à-dire : tout sauf un reflet. L’épisode marquera durablement la fillette.
En 2019, elle est désormais l’épouse de Gabe, et la mère d’une ado et d’un garçonnet. On devine les Wilson au premier échelon de l’upper class : ils possèdent une petite maison de vacances en Californie, et des amis, en ce premier jour de vacances, leur donnent justement rendez-vous sur la plage de Santa Cruz. Transats et parasols sont installés à deux pas de l’antique palais des glaces. Chez Adelaide, à défaut de s’en ouvrir à ses proches, le malaise est palpable. Alors qu’elle se décide enfin, le soir même, à révéler son douloureux passé à son mari, l’improbable survient : dans l’allée du jardin, les parfaits sosies des quatre membres de la famille Wilson font face à la maison, impassibles, et vêtus d’un étrange uniforme. Après une exposition fouillée de la petite famille, façon Hanneke dans Funny Games, l’horreur peut commencer.
De George Romero à David Lynch
L’horreur, ou plutôt la tension. On sursaute, le sang coule, le rythme est oppressant et pas mal de gens décèdent, mais le parti-pris de Jordan Peele n’est pas de bloquer à zéro le trouillomètre de son spectateur : il a trop de choses à montrer ou laisser deviner. Des plans et des chorégraphies absolument somptueux. Un sacré sens de l’humour à froid. Une intrigue qui s’élargit au delà de chez les Wilson. De troublantes correspondances entre l’enfance d’Adelaide et le présent. Une monstrueuse et mystérieuse conspiration, bien dans l’air du temps. Des références en forme d’hommage à George Romero. Un twist final, certes possible à deviner, mais qui laisse bien con. Et un message aussi corrosif que celui de Get out sur l’état de la société américaine.
Là où ce dernier fustigeait la persistance de rapports interraciaux gorgés d’un racisme antérieur à la Guerre de Sécession, Us révèle une classe de possédants isolée du réel et du peuple, et divisée en son sein par une rivalité et des jalousies purement matérialistes. De quoi sera-t-elle capable quand les oubliés se donneront la main ? Puisque l’effroi ne le cloue pas en permanence à son fauteuil, le public a le temps et les moyens de saisir la quantité de clins d’oeil au début du film lors de son dénouement. Parmi les critiques, d’aucuns déplorent le côte « sursignifiant » de l’exercice. Au risque de suciter des crises d’apoplexie, j’incline à penser que l’on peut aussi apprécier chez Jordan Peele ce qui vaut à David Lynch, rarement intelligible quand il y procède, d’être qualifié de génie absolu.
Saisissant double jeu de Lupita Nyong’o
Ajoutons que l’auteur ne part à aucun moment dans un délire égotique que son équipe peinerait à suivre. Tout au contraire, après la révélation de Daniel Kaluuya dans Get Out, Peele confirme sa rare capacité à tirer des ses acteurs principaux leur plus incroyable performance en carrière. Tout le casting convainc sans peine – coeur avec les mains à Elisabeth Moss en bourgeoise blasée, et mention aux enfants parfaits, en gentils comme en méchants – mais on sort proprement hanté par Lupita Nyong’o, et sa double composition d’Adelaide et de sa jumelle Red. Oscarisée dès ses débuts pour son second rôle dans 12 years a slave, puis revue dans Star Wars et Black Panther, l’actrice mexico-kenyane n’est plus exactement une découverte, mais son interprétation des forces, des tourments et des ambiguités des deux ennemies intimes laisse pantois.
D’ailleurs, je n’ai rien à ajouter.
Lupita Nyong’o est en effet salissante dans ce double rôle, et j’abonde à votre analyse des nombreuses qualités du Peele nouveau. J’ajoute un mot sur l’utilisation intelligente et humoristique de la BO, jamais illustrative comme dans trop de productions du genre. C’est d’ailleurs une sacrée aubaine pour Jason Blum qui, après les très rentables et pourtant médiocres Paranormal Activity, devient le mécène improbable d’un des cinéastes les plus doués du genre.
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