Anatomie de l’amant de ma femme, Raphaël Rupert

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Un type entre deux âges plaque un boulot confortable pour écrire un roman. Il aime théoriser la littérature : puisqu’un procédé reconnu consiste à mettre en rapport deux sujets a priori disjoints, son oeuvre parlera d’un nazi pétomane. Et puisque, toujours selon lui, le processus créatif carbure à la libido, il se tripote gaillardement en attendant sa muse. Entre deux saillies aux sens propre et figuré, ses journées restent longues. Assez pour investiguer sous le lit conjugal, y trouver les carnets intimes de son épouse écrivaine, et s’en voir récompenser par la découverte d’un amant manifestement monté comme un baudet.

Ainsi commence Anatomie de l’amant de ma femme, de Raphaël Rupert, lauréat du prix de Flore 2018. Un premier roman bref, narré à la première personne, dont la réjouissante liberté de ton suggère que l’auteur se tamponne de pas mal de convenances et susceptibilités. Seule compte la quête du moi profond d’un bonhomme infoutu de dire pourquoi il entame l’écriture de son livre, et qui l’apprendra peu à peu. Pour ce faire, l’auteur joue avec une palanquée de conventions romanesques ou autofictionnelles, et invoque quantité d’auteurs croqués avec malice, laissant deviner un lecteur fervent à l’oeil aussi acéré qu’un couteau à sashimi – on se surprend soi-même à chercher deux ou trois clins d’oeil livrés sans mode d’emploi.

Après les préliminaires habituels, je me mis à caresser les fesses de Laetitia de manière un peu brutale. Cependant, je n’avais pas envie qu’elle croie que je veuille la battre, que j’étais en fait un homme violent, qui bientôt la cognerait pour de bon. Je lui posai la question : « Tu veux que je te donne une fessée ? » Surprise, elle me répondit en riant :

– Et toi, tu as envie ?

– Non, toi, dis-moi. Ça te donne du plaisir ?

– Si ça te fait plaisir, ça me fait plaisir aussi, répondit-elle.

On avançait bien au niveau du dialogue de couple. Mais pas une seule fessée ne claquait dans cette chambre. Après l’avoir bien excitée, je me mis en tête d’appliquer la stratégie de la boule de bowling. Je l’allongeai sur le dos, lui relevai les jambes et appuyai deux doigts à l’intérieur de sa chatte. Cela faisait des bruits d’éponge et la mouille remontait sur ma main. Je pensais être sur la bonne voie alors je continuai en accélérant le rythme, en faisant parfois des mouvements circulaires (il faut bien apporter sa touche personnelle à la recette originale). Mes deux doigts s’agitaient dans son vagin comme une paire de tourterelles affolées prises au piège dans un grenier obscur. Au bout d’un moment, Laetitia me dit :

– Dis, Raphaël, j’ai l’impression d’être un sac de viande…

De mon côté, en plus d’une crampe qui menaçait mes doigts fous, j’avais l’impression de tenter en vain de démarrer une tondeuse récalcitrante. Nous avons conclu cette soirée pleine d’expériences nouvelles par une position du missionnaire beaucoup plus orthodoxe.

Et puis il parle de cul, souvent, abondamment, seul, à deux ou à une vingtaine, sans inhibitions et avec la candeur et la crudité du vrai sacripan. S’il n’émoustille guère, l’intention est clairement de glisser des vérités qui gratouillent entre les éclats de rire répétés. Il en va de même sur le rapport à l’écriture, avec l’élégance de ne jamais scinder dérision et lucidité. On trouve pas mal des deux, là-dedans. C’est foutraque, nombriliste mais universel, à la fois rigoureux et bordélique, extrêmement précis sur le plan du vocabulaire, limpide et imbitable, d’une nonchalance ciselée. Et ça mérite un lectorat plus large que les types entre deux âges qui plaquent des boulots confortables pour écrire des romans.

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