Dezsó Kosztolány n’était pas champion intercontinental de Scrabble, mais écrivain vedette du Budapest du début du XXeme siècle, ami de son homologue Frigyes Karinty, et d’un talent comparable à celui de ses fameux ainés réalistes français.
Je viens de finir Portraits, une série de croquis littéraires de 35 de ses contemporains, présentés sous forme de dialogues brièvement introduits et conclus. Kosztolány se montre d’une précision diabolique dans la description des métiers de ces ouvriers, fonctionnaires et artisans, de la sage-femme au fossoyeur en passant par le diplomate. Il s’attache aussi à imaginer leur vision du monde et leurs questionnements intimes. Volontiers ironique – en particulier dans ses apartés – mais jamais méprisant, c’est avant tout un humaniste qui livre un cours magistral de construction de personnages. Bluffant.
Autant profiter de ce post pour vanter les grands mérites de trois autres de ses bouquins tout aussi remarquables. Le traducteur kleptomane est un recueil de nouvelles dont le texte éponyme raconte comment ledit traducteur ‘pille’ les romans qu’il travaille en réduisant sans cesse le nombre de lustres, bijoux, bibelots et pièces d’argenterie de la version d’origine. Anna la douce est le récit glaçant et non didactique d’une angélique femme de chambre qui assassine ses maîtres, sorte de Chanson douce avant l’heure. Et Alouette décrit le bonheur inavoué d’un vieux couple enfin débarrassé de leur fille impossible à marier.
Un très grand auteur méconnu, d’un pays exotique, forcément idéal pour faire le malin sur les réseaux sociaux. Indispensable, donc.