Punchlines du 15 janvier 2023

Le site /

  • Trente-sept visiteurs ont lu au moins en partie le dernier consacré à La marchande d’enfants de Gabrielle Wittkop. C’est à la fois beaucoup compte tenu du sujet et peu dans l’absolu. Je crois que je vais arrêter les feel good books.
  • Après un peu plus de 80 éditions des Punchlines de 130livres.com, certes largement interrompues en temps de vacances ou de pandémie, j’ai peut-être une idée intéressante d’évolution du bazar. Hors de question d’en dire plus, histoire que cet éprouvant cliffhanger vous empêche de dormir une semaine ou deux.

Avouez-le : c’est tout à fait grisant.

Les auteurs /

  • À quelques coudées du Panthéon, le café-librairie Tram sent encore le neuf et accueille parfois des éditeurs d’une récence comparable : ainsi, jeudi soir dernier, l’autrice Avril Bénard y présentait son premier roman À ceux qui ont tout perdu en compagnie de Stéphane Bernard des Éditions des Instants. Ce dernier débute dans le métier d’éditeur mais son aisance à l’oral teintée d’un rien de nonchalance s’accorde parfaitement à l’ambiance d’un café littéraire. On soulignera l’éclectisme du choix de ses textes en rappelant qu’il publia l’an passé le premier tome des carnets de Paul Gadenne, auteur largement oublié de l’exigeant La plage de Schenveningen. Il s’étonna, dans son propos liminaire, de la quantité de manuscrits que reçoit la moindre maison nouvellement créée. Ce qui le convainquit de retenir le texte d’Avril Bénard fut l’appartenance de celui-ci à une « littérature de l’urgence », ainsi qu’une langue puissamment évocatrice dénuée de tout lyrisme superflu. Un sentiment d’urgence semble en effet avoir saisi la primo romancière, convaincue que la catastrophe frappera immanquablement nos sociétés biberonnées à la fin de l’Histoire et au triomphe de la démocratie consumériste et libérale, un message qui marque d’entrée le lecteur d’À ceux qui ont tout perdu – elle donna lecture de son incipit si saisissant. Dans un pays frappé par la guerre qui pourrait bien être la France d’aujourd’hui, le roman suit successivement les points de vue des habitants d’un même immeuble sommés d’évacuer leur ville ; ils ont une heure pour rassembler dans un sac par personne ce qui leur semblera utile et nécessaire. Le propos n’est certes pas joyeux mais le roman en vaut la peine : j’en parlerai plus avant ici même ou ailleurs. Comme le rappelle la quatrième de couverture du livre préfacé par Sylvie Germain, Avril Bénard est l’une des égéries de la photographe Sarah Moon, présente à la rencontre de jeudi. Si elle a l’habitude des objectifs, son émotion n’était pas feinte au moment de présenter ce texte à un public fourni. Très expressive, elle accompagnait ses interventions de grands gestes du bras gauche, faisant tinter les grelots de son bracelet. Un personnage touchant doublé d’une autrice tout à fait prometteuse.
Entre open bar et rencontre littéraire
  • Pourquoi diable être pessimiste alors que se multiplient les signes que l’on vit une époque exaltante ? Ainsi, l’initiative du canadien Laur Flom, grand fan d’Harry Potter mais insatisfait des positions défendues par J.K. Rowling sur l’identité de genre. Pour la modique somme de 1100€, il propose d’appliquer aux collections de ses clients ce qu’il fit avec ses propres sept tomes de la saga : en refaire la reliure après avoir arraché la moindre mention au nom de l’autrice et y avoir inséré ses propres illustrations. Les amoureux des belles lettres d’aujourd’hui peuvent s’enorgueillir de voir fleurir des initiatives aussi foncièrement tolérantes, intelligentes et désintéressées.
  • J’ai évoqué la semaine passée l’ouverture des votes pour les prix Vleel 2022, une initiative dont la vocation première est de promouvoir l’édition indépendante. À bien des égards, le sacerdoce dont font profession les fondateurs des maisons concernées est admirable. De plus en plus, ces derniers observent malgré tout qu’une dépendance a succédé à une autre, puisqu’un travail affranchi de la tutelle des grands noms du secteur suppose de s’appuyer exclusivement sur des logiciels et réseaux sociaux appartenant eux-mêmes à un nombre réduit de mastodontes de la culture, les grands méchants GAFAM. Cette épineuse question sera au cœur de la première édition des Assises nationales de l’édition indépendante qui se tiendra à Aix-en-Provence les 2 et 3 février prochains. Puissent les participants avancer de manière concrète.
  • Lendemains qui chantent, suite : consulté par le Nieman Lab, plateforme de réflexion sur le devenir du journalisme à l’ère du numérique, le dénommé Mauricio Cabrera affirme que les IA seront très bientôt capables de produire des papiers sur l’actualité mieux que les plumitifs eux-mêmes. Si ça peut préserver ma sieste du dimanche, je dis oui, va pour les Punchlines robotisées. Mais la principale thèse défendue par Cabrera est que les médias payants ne survivront qu’à travers la création de communautés et pas en développant le volume de leur audience. Après quoi l’audience famélique et les commentaires rarissimes des abonnés de 130livres.com me rendent résolument optimiste quant à son potentiel lucratif.
  • Russell Banks nous a quittés dimanche dernier. Comme évoqué sur l’Instagram @130_livres, j’aurai donc découvert cet auteur de son vivant, mais d’extrême justesse, m’étant vu confier la chronique de son ultime roman Oh, Canada. Ce livre-là m’a hanté, comme il l’aurait fait de plus d’un lecteur d’âge moyen sensibilisé à la vieillesse ou à la mort et que les lectures exigeantes ne rebutent pas. En stricts termes de puissance littéraire, il surpassait tout ce que j’avais pu lire de la dernière rentrée de septembre. Voilà ce que j’en avais écrit :

« L’âge et la maladie nous réduisent peu à peu à une conscience déclinante qui vit recluse dans ses souvenirs, puisque pour elle ni le présent ni l’avenir n’existent plus. Avec Oh, Canada, Russell Banks ausculte les derniers soubresauts d’une telle conscience avant le néant, celle de Leo Fife, documentariste engagé vivant au Canada dont le travail sur les exactions de l’état américain au Vietnam aurait inspiré Apocalypse Now ; il avait lui-même fui les États-Unis en tant qu’objecteur de conscience.

En 2018, atteint d’un mal incurable, Fife accepte la proposition de son disciple Malcolm de se confier sur son art au long d’un film intimiste tourné dans la pénombre. Ce qu’il révèle alors n’a rien d’attendu, puisque sa vie entière repose sur des strates de mensonges qu’il ne supporte plus et veut mettre au jour. Plutôt qu’à ses admirateurs, c’est à son épouse qu’il estime devoir la vérité : il exige qu’elle assiste à sa confession. Pour cette plongée dans l’étrange fonctionnement de la mémoire, indissociable des sens et aussi trompeuse qu’eux, Banks s’adresse plus à l’intellect de son lecteur qu’à ses émotions. Il ne mise pas non plus sur d’incessants rebondissements.

Le cœur de son propos consiste à montrer avec acuité combien les intentions structurent les vérités acquises. Sur un rythme lent, on suit comment s’opère le choix du mensonge chez Fife comme chez ceux qui idéalisent son existence. Lancinante, une question très actuelle demeure en arrière-plan : faire le bien exige-t-il qu’on soit irréprochable ?

Russell Banks, 1940-1923

Les puncheurs /

  • Après avoir évoqué le Top 10 français pour lequel j’avais voté au sein du panel Boxenet pour 2022, il est temps d’évoquer le classement « Monde » (pour rappel, le classement concerne uniquement les performances de l’année et le chiffre entre parenthèses est le classement final obtenu par le boxeur en additionnant les suffrages exprimés). Accrochez-vous, il y a plus de surprises que dans le précédant :
    • 1- Dmitry Bivol (1) : Avec le calme olympien qui le caractérise, le Russe d’origine kirghize a dominé deux clients par décision unanime (et incontestable) : la superstar mexicaine Saul « Canelo » Alvarez et son compatriote invaincu Gilberto « Zurdo » Ramirez. Le bougre préfèrerait une unification des titres en mi-lourds contre l’épouvantail Artur Beterbiev à une revanche ultra lucrative contre Canelo. Ce boxeur-là est un rêve de fan.
    • 2- Jessie Rodriguez (NC) : La première grosse différence entre mon Top 10 et le résultat global du scrutin puisque « Bam » est absent du classement Boxenet. Soit. Je rappellerai simplement qu’en une année Rodriguez aura vaporisé Srisaket Sor Rungvisai, double vainqueur de « Chocolatito » Rodriguez, dominé l’autre ex-champion du monde Carlos Cuadras et surclassé le coriace challenger Israel Gonzalez. Ajoutons que sa boxe laisse une impression visuelle assez enchanteresse. On ne m’ôtera pas de l’idée que la « petite » de l’Américain catégorie aura joué contre lui…
    • 3- Katie Taylor (NC) : Et dans la foulée, la deuxième ! L’invaincue Katie Taylor aura marqué l’Histoire en remportant en avril dernier un candidat légitime au titre de combat de l’année – garçons et filles confondus – contre la championne unifiée des plumes Amanda Serrano, qui plus est dans un Madison Square Garden incandescent. Elle a ensuite largement dominé l’Argentine invaincue Karen Elizabeth Carbajal. Peut-être la plus belle année jamais réalisée par une boxeuse, ce qui valait un coup de chapeau.
    • 4- Naoya Inoue (2) : Le Monster continue à empiler titres mondiaux et adversaires inconscients. Dernières victimes en date, un Nonito Donaire vite puni de son choix tactique très offensif et un Paul Butler certes courageux – on ne se bouscule pas pour affronter le Japonais – qui lui céda la dernière breloque à conquérir en coqs. Coincidence amusante : alors qu’Inoue annonce monter en super coqs, le double champion de la catégorie Stephen Fulton se sent des envies de montée en plumes…
    • 5- Kenshiro Teraji (NC) : Une troisième surprise pour la route… Ce n’est pas parce que la France entière se cogne des mi-mouches depuis Brahim Asloum qu’il ne s’y passe rien ! Le très spectaculaire Teraji a vengé sa défaite de 2021 contre son compatriote Masamichi Yabuki par KO avant d’effectuer une nouvelle démonstration face à l’invaincu Hiroto Kyoguchi, unifiant ainsi les titres WBA et WBC. « The Amazing Boy » vaut le coup d’oeil.
    • 6- Jermell Charlo (4) : Il est contraire à mes principes de classer très haut un boxeur qui n’a combattu qu’une fois dans l’année, mais Charlo peut prétendre à la distinction de plus belle performance de 2022 avec son unification des 4 titres à 154 livres aux dépens de Brian Castaño. Si l’Argentin aurait pu espérer mieux qu’un nul au Texas lors de leur première confrontation, Charlo géra parfaitement son effort et contra à merveille la droite adverse d’un crocher gauche létal, attendant qu' »El Boxi » tombe comme un fruit mûr. Du grand art.
    • 7- Juan Francisco Estrada (10) : » El Gallo » avait inquiété en battant difficilement Argi Cortes lors de son combat de rentrée en septembre mais il s’est imposé contre l’increvable Roman Gonzalez avec plus d’autorité qu’en mars 2021, remportant ainsi une trilogie de légende. Une victoire contre « Chocolatito » en vaut plusieurs autres.
    • 8- Devin Haney (6) : On pourra trouver mal récompensé ici celui qui unifia et défendit les 4 titres majeurs des poids légers en 2022, en terre adverse qui plus est, dominant par deux fois George Kambosos par décision. Si un tel accomplissement est à saluer, il convient toutefois de se rappeler que l’Australien montra des limites criantes au plus haut niveau, interrogeant sur l’état de Teofimo Lopez lorsqu’il s’était incliné face à lui… En plus de ses arguments techniques, la jeunesse et le physique très impressionnant d’Haney en légers devraient lui permettre de confirmer contre les autres cadors de la catégorie.
    • 9- Olexandr Usyk (3) : Vaincre un Anthony Joshua à son meilleur après avoir porté l’uniforme de la défense territoriale ukrainienne : le symbole avait une sacrée gueule. S’il n’est pas plus haut dans ce classement, c’est parce qu’il n’a boxé qu’une fois en 2022 et qu’on le savait supérieur à son adversaire de Jeddah.
    • 10- Alycia Baumgardner (NC) : L’ultime surprise de ce classement ! Le combat d’unification de 3 ceintures majeures en super-plumes que « The Bomb » remporta face à Mikaela Mayer fut aussi tactique sur le ring que violent dans les médias, les deux championnes échangeant un trash talking de haut niveau. Reste que Baumgardner, boxant sur le pied arrière, procéda aux ajustements opportuns pour arracher une décision partagée à celle qui détrôna Maiva Hamadouche. Si l’on y ajoute son succès d’avril, Baumgardner coiffe d’un cheveu Shakur Stevenson pour la dernière place de ce Top 10.
Que cesse la discrimination : encore un roux maltraité en public

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