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Pressé d’injonctions contradictoires, le bipède moderne à chromosomes XY se rêve parfois, au plus fort des contrariétés du quotidien, en héroïque et archaïque machine à tuer. Qu’il doive ce fantasme à sa nature, à la culture ou aux deux à la fois, celui-ci existe bel et bien, et ce Nobody-là l’exploite à la perfection.
Engoncé dans une existence de père, époux et employé idéaux, mâle américain émasculé jusqu’à s’abonner – suprême déchéance locale – aux transports en commun, Hutch Mansell finit par vriller. Or, parce que nous sommes dans une série B absolument revendiquée, avant de se ranger des voitures ce quinqua moins remarquable qu’une andouille à Guéméné était bel et bien le plus impitoyable des assassins gouvernementaux dans un pays qui n’en manque pas. S’ensuit une série de confrontations d’une brutalité croissante avec les affidés d’un autre bonhomme alpha auquel il est mal avisé de chercher des crosses, l’incommode parrain de la mafia russe locale. Une version détaillée du scénario ne serait guère plus épaisse que ce qui précède.
Faut-il reprocher à Nobody de faire l’apologie d’une violence baroque qu’il dépeint avec gourmandise, ou d’une posture viriliste si peu cotée en 2021 ? Dit simplement, la réponse est « non ». « Les mecs, les vrais » ordinaires qui imposent leur testostérone à autrui, du voisin frimeur au collègue toxique, ne sont pas franchement aimables. Hutch reste plutôt un brave type, attaché avant tout au bonheur des siens, qui n’achève pas inutilement son prochain pour mal intentionné qu’il puisse être. Mais au-delà de l’excuse commode du grand protecteur de son foyer, il convient de reconnaître qu’à aucun moment le film ne se prend tout à fait au sérieux. L’humour à froid comme la glorieuse outrance de la castagne sont omniprésents. Par leur seule apparition, les immortels Christopher Lloyd et Michael Ironside nous projettent dans une représentation du réel joyeusement distordue.

Et puis il y a Bob Odenkirk, sincère en Hutch Mansell jusqu’aux moins vraisemblables des plans et répliques du film. On aime que ce type-là, pour une fois, en remontre aux vrais méchants. Sa simple tronche de Monsieur Tout-le-Monde titillé par son côté sombre hurle jusqu’au bout que tout ça n’est qu’un rêve banal, le soubresaut illustré avec un panache jouissif de l’animal tapi quelque part derrière le cortex cérébral de ses semblables qui a reconnu sa défaite depuis longtemps.
Dans Better Call Saul, Odenkirk campe une merveille de héros nuancé d’aujourd’hui, la volonté sans cesse en conflit avec ses démons. Dans Nobody, il démolit sa jolie maison et le bureau qu’il hait, fait vrombir un muscle car de 1972, extermine une douzaine de crevures avant de siroter du whisky au son d’un vieux vinyle, flanque un direct au foie à son beau-frère pénible et ressuscite le dur-à-cuire enfoui dans la carcasse éteinte de son daron. Puis, quand tout est accompli, il rachète une jolie maison dotée d’une cuisine fonctionnelle où il préparera de nouveau lasagnes et petits-déjeuners qui raviront sa famille chérie. Parce que tout prurit homicide pris par ailleurs, c’est bien ça qu’il veut.
Monsieur Nobody, c’est nous.