Christophe au Théâtre Marigny, 28 janvier 2013

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Le vent d’hiver aura bien soufflé en avril. Dans mes cartons, j’ai retrouvé ça.

Puisque j’ai passé l’âge de ne pas assumer mes grands écarts musicaux en public, voici un compte-rendu du concert de Christophe auquel j’ai assisté hier soir au théâtre Marigny. Oui, Christophe. 67 piges sous la toise, un riche passé de chanteur à minettes, des décennies de branlotage de synthés nocturne, des rumeurs de cassages de gueule et d’enfant non reconnu avec Michèle Torr et un masque hiératique poli par les années qui lui confère une étrange ressemblance avec feu Denis Hopper. Ca vous pose une tronche. Situé en bas des Champs-Elysées, Marigny n’est pas exactement un haut lieu de la scène underground industriel post-punk, et hormis une poignée de jeunes branchés au top du snobisme le public pourrait un peu rappeler celui de Shirley et Dino. Le théâtre est bondé ; rappelons que son « Intime tour », seul en scène, dure un peu moins d’un mois. On ne l’imagine guère dans une salle plus grande. Et l’ambiance XIXeme siècle, dorures et velours rouge lui va plus que bien au teint.

Une première partie qu’il « aime bien »

Alors que Christophe est littéralement au saut du lit vers 20h30, on peut  s’inquiéter de sa ponctualité. Mais c’est à peine quelques minutes plus tard que sa voix monte des coulisses, il souhaite à tous une année 2013 au « Top niveau » – ce ne sera pas la seule touche surannée de la soirée -, puis il introduit la première partie en disant qu’il « aime bien ». Elle sera assurée par une pianiste branchée Chopin et Schubert, à peu près aussi délicate que l’ostéopathe nazie qui me dégoûta un jour de sa profession. Mais l’intéressée est grande, jeune, blonde, pour tout dire assez superbe dans sa robe de cocktail rose pétard et ses sandales dorées. Et joue sur ses atouts en saluant après chaque morceau. On ne saurait exclure que celui qui se désigna il y a 15-20 ans comme « le dernier Bevilacqua » pour ajouter à son mythe de dandy mélancolique – lire : le dernier d’une lignée italo-française dont un autre représentant éminent gagna Paris-Roubaix au début du siècle dernier – continue en loucedé à tenter de planter la petite graine en des recoins dignes d’intérêt.

Le voilà qui déboule, sans cérémonie, après une courte pose. La scène est d’une certaine sobriété, trois postes entre lesquels il alternera ses compositions (piano à queue, synthés, guitare). Et lui, presque. Costard gris à revers brillants d’une largeur d’épaules rarement observée depuis 1989, santiags assorties, ourlet orange surprenant à la jambe droite, inamovibles lunettes bleutées, et son éternel casque blond, qui cède un minimum de terrain à un début de tonsure.  Comme il le dira après Le beau bizarre et Du pain et du laurier, jouées très simplement au piano avec un (gros) effet sur la voix, le but du jeu pour cette tournée est d’accueillir le public chez lui, dans les conditions de ses innombrables veillées solitaires à la recherche de ce qui sonne bien. Christophe n’est pas exactement le technicien ultime, et ce qu’il revendique est plutôt les heures, jours, mois, années et décennies passés à chercher le juste son. Et faire passer une émotion. Il faut reconnaître que la recette fonctionne plutôt bien.

Le crooner madré se pose là

Ceux qui ont entendu Christophe s’exprimer récemment à la radio ou la télévision sont fondés à s’interroger sur ce qui reste de ses capacités de performer d’antan. D’une part, sa diction saccadée rappelle de plus en plus la regrettée Françoise Sagan. D’autre part, perdu sur un plateau de télé, l’homme a désormais de vraies attitudes de vieux, l’œil interrogateur, agrippé à son micro, angoissé par le timing, les lancements et les vannes des présentateurs à la mode. Le fait est que Daniel Bevilacqua est un vrai anxieux, un solitaire obsédé par le contrôle. Sur scène et dans un environnement qu’il maîtrise à 100%, la différence est saisissante, et le crooner madré se pose là. La voix est claire et assurée, les quelques soliloques sont (intentionnellement) rigolos, et le pince-sans-rire y ajoute de jolies touches d’autodérision, comme le « c’est bon, je suis autonome » au type venu l’aider à régler sa mythique « chaise à sons » (siège à roulettes auquel se fixe le micro, très supérieur au pied classique parce que « le micro s’ajuste à moi, et pas moi à lui »), qui précède une démonstration à la limite du burlesque. Ou sa façon d’accentuer certains refrains de chansons qu’aiment les fans, et qu’il ne renie pas, tout en suggérant qu’il a, lui, un peu avancé depuis 1975… Autre note sympathique : Christophe trinque avec la foule, et pas qu’une fois, au Jack Daniel’s servi dans un verre à pied, dont il file une rasade à un type du premier rang.

C’est donc dans de bonnes dispositions que le Beau Bizarre enchaîne les pièces anciennes et récentes de son répertoire, des roucoulades yéyé aux expériences plus obscures post 80s, en alternant les interprétations piano, synthé et guitare. Il est sérieux comme un pape looké, mise comme on l’a dit sur l’épure et la qualité du son, triture ses compositions dans tous les sens possibles, et s’en tient à des formats plutôt courts. Exceptées sa chanson hommage à Enzo Ferrari, à grand renfort de samples de moteurs et de voix du Maître, où il prend un plaisir plutôt solitaire, et la version finale du Petit gars. On ne saurait nier que l’ensemble soit assez violemment anachronique, et qu’en y ajoutant le look particulier du personnage l’expérience puisse facilement susciter plus d’un ricanement. Seulement voilà : sans que le public se mette à hurler ou a casser des chaises (à peine un vague tapage dans les mains sur Seniorita et une timide reprise des refrains des plus gros tubes), la communion est là, et bien là, permise par la sincérité et la méticulosité absolues du drôle de bonhomme qui se dépouille le temps d’au moins 25 chansons. Foin de la ringardise, des bluettes, des santiags et des pains occasionnels lors du rappel, dont l’animal s’excuse d’avance en reprenant des chansons choisies par le public – on imagine le côté périlleux de l’exercice chez un tel control freak.

Paradis gagné

Freak est bien le mot, tant Christophe est un putain d’OVNI. Présent dans toutes les bonnes compils qui tâchent des années 60, mais à des années-lumière des tournées Âge tendre et têtes de bois. Drainant branchitude bobo extrême et public populo-périmé. Conscient de ses limites, mais obsessionnel dans la recherche de sa propre forme de perfection. Un type qui veut juste exister et offrir de beaux moments, et franchement, ses reprises des Paradis perdus au synthé ou des Marionnettes et des Mots bleus au piano attestent de sa vraie réussite. Des poils, des vrais, à en oublier que ce dernier titre est de Jean-Michel Jarre, même quand on était au courant. Moi aussi, je préfère la version  de Bashung, mais c’est la chanson de Christophe. Et dessus, il est merveilleux.

8 commentaires sur “Christophe au Théâtre Marigny, 28 janvier 2013

      1. J’ai pris plus de plaisir à lire ton « compte-rendu » (qui est beaucoup plus que ça) que si j’avais réellement assisté à ce concert! Tout y est, merci!

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