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Une prudence élémentaire appellerait à se fier aux goûts de Barack Obama plutôt qu’à ceux de son successeur au moment de choisir une cravate. Il en va de même pour les livres, et l’enthousiasme du pénultième président des États-Unis pour Les Furies, de Lauren Groff, n’est pas le moindre des arguments repris pour sa promotion.
Comme 30 ans et des poussières de Jay McInerney ou Les privilèges de Jonathan Dee, Les furies est une dissection sans concession du mariage de deux parfaits jeunes gens qui suscitent, à peine sortis de l’adolescence, des montagnes d’envie et d’admiration chez leurs contemporains newyorkais du début des nineties. Le flamboyant Lancelot, dit Lotto, est un aspirant comédien et futur dramaturge à succès au charisme proprement dévastateur. A ses côtés autant que dans son ombre vit l’énigmatique et sculpturale Mathilde, galeriste qui apporte au couple ce qu’il lui faut de sens pratique et de sécurité dans l’attente de jours glorieux. Une construction subtile en champ et contre-champ offre les points de vue respectifs des époux sur leur quotidien le plus routinier comme sur les événements marquants de leur histoire commune, que l’on se gardera bien de détailler ici.
L’originalité des Furies est que la fidélité et l’harmonie sexuelle entre Mathilde et Lotto, s’il en est beaucoup question, ne sont pas des enjeux centraux dans la survie de ce mariage. Jalonné par force métaphores et extraits de tragédies antiques ou shakespeariennes, qui laissent imaginer la grande érudition de l’auteure, le roman montre plutôt à quel point l’équilibre d’un tel attelage, aux différences de vécu et de perception vertigineuses (« Qu’était donc cette obsession pour l’adoration universelle ? Mathilde se savait indigne de l’amour de la moindre âme qui vive, et il voulait l’amour du monde entier. »), repose sur une infinie palette de mensonges par omission (« Paradoxe du mariage : vous ne pouvez pas connaître quelqu’un entièrement ; vous connaissez quelqu’un entièrement. »)
Sans atteindre – quoique – les sommets de machiavélisme névrotique de Gone girl, il s’agit également d’explorer la frontière toujours plus poreuse entre les figures de « femme de » et de « deus ex machina ». Le mâle supposé alpha, dont le destin est largement façonné par l’épouse, la mère et leur lutte sans merci dont il ne saisit guère que de vagues embruns, y laisse quelques plumes (« Il pouvait être mortel, féroce, le mot n’était pas inapproprié, mais par pitié, Mathilde connaissait les lions. Le mâle se prélassait superbement, paresseux, au soleil. La femelle, de loin la moins charmante, était celle qui rapportait le gibier. ») A ce titre, on pourra s’interroger avec amusement sur les raisons profondes qui poussèrent un Barack Obama à faire l’éloge de ce magnifique roman, efficace dans le lyrisme assumé comme dans l’humour le plus grinçant.
En bref : lisez-le, les mecs. C’est instructif.