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Comment se retrouver bourré d’adrénaline à 5 du mat’ après le KO de l’année, alors qu’on comptait jeter un oeil rapide sur Usyk vs Chisora avant de filer compter les moutons ? C’est simple : il suffit de tomber sur LA soirée qu’il fallait, avec rien de moins que trois événements majeurs au programme…
Tout commence sur RMC Sport, dans la foulée du France-Irlande des VI Nations. Où en est Usyk-Chisora ? La sous-carte n’est pas finie. Tiens, Lee Selby contre un Australien. En légers ? Le garçon monte direct des plumes, où il ne tapait déjà pas. Et ça se voit, d’ailleurs. Faute d’allonge, son adversaire Kambosos a du mal à imposer sa propre distance, mais c’est lui qui marque le plus nettement. Enfin, de part et d’autre, on ne se fait pas bien mal, de toutes façons. Un pensum, d’autant plus triste que la salle est vide pour cause de pandémie, et typiquement un combat difficile à pointer. Voilà qui ne semble pas être l’avis des commentateurs, étrangement. Pour eux, Selby maîtrise sans problème aucun, et ils discutent d’à peu près tout sauf de ce qu’ils sont censés regarder. Jusqu’au moment où nos amis s’aperçoivent que le reste du monde donne plutôt Kambosos. Ou Kambasas. Ou Tropicos, si tu en crois ce que tu entends. Y’en a qui ont bossé.
Bref. Après 12 rounds pas folichons, les cartes éparpillées façon puzzle reflètent bien le côté subjectif de l’affaire : 118-110 et 116-112 Kambosos, 115-114 Selby. Une certitude : ce combat devait désigner le challenger officiel IBF du nouveau roi des légers Teofimo Lopez, et le mec les mettrait sans doute en l’air tous les deux dans une même soirée de boxe. Du bras gauche.

Le main event, enfin. Dieu que Chisora fait massif. Presque 40 livres d’écart, tout de même. Pour Usyk, c’est un premier vrai test en lourds, après un Chazz Whitherspoon tombé de son canapé il y a plus d’un an. Et d’entrée, l’Anglais fait le job. Pressing étouffant et matraquage de gauches et droites. Même lorsqu’il tape dans les gants, ça secoue. Usyk en prend quelques-unes, semble déboussolé deux rounds durant, mais garde la main gauche bien haute pour éviter les vraies bonnes cartouches. Après 3 rounds, Chisora souffle comme une locomotive à charbon croisée avec un bouledogue. Usyk se déplace intelligemment, travaille des deux mains, impose son activité sans laisser Del Boy poser ses appuis pour répliquer. Après la mi-combat, il te semble à point, l’Angliche. Oui, mais voilà : par manque du punch d’un vrai lourd – et peut-être d’un chouïa d’instinct du tueur -, Usyk relâche sa proie. Quitte à se faire un peu peur au round 9, lorsque le taureau face à lui trouve un second souffle et charge pour l’honneur. Ça se règle aux points, avec deux 115-113 un poil gentils pour le vaincu local.
Bilan : une vraie bonne victoire de l’Ukrainien dans la catégorie reine, à défaut d’une réponse à chaque question posée. Parce que même s’il bouge bien, Usyk, il en prend, et que les cadors sont plus rapides de bras que le gatekeeper vétéran du soir. La suite sera intéressante, quoi. Chapeau à Chisora, bien préparé et pas complètement rôti. Tu le reverras.

Après la boxe, une pause s’impose, autrement le sommeil tarde à venir : il faut que redescende l’excitation si particulière du pugilat en direct. Un tour dans ton frigo, un autre sur Twitter, et sur BeIn la soirée Top Rank de Las Vegas a commencé. Bah, autant voir ce que ça donne. Il est d’abord question d’un prospect en super-légers nommé Julian Rodriguez. De la bonne graine à surveiller, vu que le patron des 140 livres Josh Taylor vient lui aussi de signer chez Bob Arum. L’adversaire de Rodriguez est un obscur vétéran mexicain. Il en va des journeymen méconnus comme des chocolats dans Forrest Gump : difficile d’anticiper quoi que ce soit. En l’occurrence, on ne saurait dire si c’est l’usure, le Covid, un mauvais jour entre deux semaines à l’usine ou le trajet en bus depuis le Mexique, mais José Eduardo Lopez Rodriguez n’a pas l’air dons son assiette. Rapide et bon frappeur des deux mains, le gamin l’expédie en 3 rounds. Difficile d’y voir grand-chose, vu le niveau de l’opposition proposée.

Tu ne vas quand même pas t’en tenir à cette déception-là, d’autant qu’on t’annonce un champion olympique invaincu en professionnels, cette fois à 130 livres (TMTC). Robson Conceiçao a déjà 32 ans, et du style à foison. On devine vite l’amateur qui brillait dans l’escrime de poings. Seulement voilà : d’une, bien qu’il balance combo après combo, l’artiste est si léger sur ses appuis que les dégâts occasionnés sont minimes. Et de deux, le journeyman qu’il affronte, lui, n’a pas fait le voyage pour nettoyer le tapis. Ce Luis Coria ne connaît pas la marche arrière, et quand il touche, ça perfore. Le favori valdingue à terre dès le round 2 sur un méchant crochet gauche. Le regard vitreux, il a pourtant le grand mérite de tenir jusqu’à la cloche. Que dire des huit rounds qui suivent, sinon que les deux bonshommes s’envoient toute la vaisselle, les casseroles en fonte et jusqu’à l’évier de la cuisine. Chacun dans son style : gros volume contre grosses pralines. Complètement dingue, le rythme empêche de scorer. Tu es juste fasciné comme rarement.
Au bout du compte, et malgré deux points de pénalité pour coups bas, le Brésilien s’en sort à l’unanimité. Il aura évité l’accident industriel, en sachant bien que ce genre de slugfest prélève toujours son écot sur le physique d’un boxeur… Bref : tu ne serais pas surpris qu’un des prochains lui éteigne la lumière. Quant à Coria, si sa vocation reste l’ombre, il en fera couiner plus d’un autre.

Et voilà : transporté que tu es, impossible d’aller te pieuter tout de suite. Surtout que RMC a le bon goût de retransmettre la soirée Premier Boxing Champions, concurrente d’un soir de Top Rank. Deux salles et deux ambiances : isolement à Vegas, mais un peu de monde à San Antonio. Il faut plus qu’une pandémie pour dissuader un Texan de venir voir deux gars s’en mettre plein le museau. Mieux encore, c’est le retour de Regis Prograis après le combat homérique livré à Josh Taylor. Aucune honte à cette première défaite en carrière, concédée sur terrain adverse et par décision serrée. Ce soir, il s’agit donc de remettre l’ouvrage sur le métier. « Rougarou » est un pur instinctif, un gaucher qui travaille en jazzman ; si l’on en juge par son punch, le lascar serait plutôt porté sur le tuba ou le bombardon. Décontracté comme en cours d’EPS, il commence par assaisonner son faire-valoir invaincu de son seul bras avant. Avare du gauche, il ne le dégaine qu’à bon escient au 3eme round, punissant implacablement un Heraldez qui s’enhardissait. Boum. Quelques gouttes auront suffi. Qu’on se le dise, Rougarou est promis à un avenir radieux, évident en super-légers et probable en welters.

Ah, tiens, RMC repasse un combat que tu avais loupé : l’ex challenger mondial des légers Diego Magdaleno, ancienne victime de Teofimo Lopez, opposé à un certain Isaac Cruz Gonzalez. Ce dernier s’avère un chantre de la concision : 53 secondes chrono pour acculer Magdaleno dos aux cordes et lui faire goûter un uppercut droit muy caliente. Ah, oui, quand même. L’Americain ne se sera relevé que pour prendre un peu de rab. Le plus terrible, c’est qu’on reste loin du pire uppercut de la soirée… Mais ça, tu l’ignores, forcément. Quoiqu’il en soit, le « Pitbull » – surnom du Mexicain – en fera flipper quelques-uns du nord au sud du Rio Grande.

Ça commence à t’en faire, du pugilat, canaillou, et les main events approchent dangereusement. D’ici-là, tu auras enfin l’occasion de voir dérouiller un rouquin. Bah oui, autant l’avouer, on peut respecter Canelo Alvarez tout en salivant à l’idée de le voir enfin prendre sa rouste. Pour ce soir, le succédané s’appelle Ryan Karl, et le bougre n’a peur de rien. Frustre mais enthousiaste, son plan est d’agresser son ex-camarade de sparring et champion WBA super des 140 livres Mario Barrios (avec 2 « r »). La tactique fonctionne à peu près jusqu’à la mi-combat, seulement voilà : il devient peu à peu évident que Barrios est un sniper patenté qui attend son heure pour donner franchement sa droite. Or Karl, lui, reste ouvert comme un livre… et bientôt ouvert au sens propre, sur un choc de têtes. Les inéluctables contres de Barrios atteignent leur cible à peau diaphane, et le pauvre Karl finit estourbi au 6eme round.
Sa troisième défaite – toutes par KO – te convainc de son potentiel limité. Inversement, si Barrios manque encore de vrais succès d’élite, il ferait une opposition très convenable pour un Regis Prograis…

Il semblerait qu’Inoue vs Moloney démarre avant Davis vs Santa Cruz. Et bien soit ! Tu retournes à Las Vegas, espérant que les légendaires talents de finisseur du Japonais permettront de ne pas trop empiéter sur l’explication américano-mexicaine qui suivra. Mais l’Australien reste prudent (on le serait à moins) : il tourne, les mains bien hautes, et évite de trop s’exposer au fulgurances du « Monster ». Mieux, ses coups au corps font un bon gros bruit bien mat. Il cogne vraiment, donc. Las, Inoue n’est pas qu’un puncheur. Avec son style propre et académique, il sait être patient, avançant sur l’homme et donnant un jab sec au corps et à la face. Les rounds s’écoulent, et tandis que tu fulmines de voir démarrer l’autre main event en incrustation, Moloney est toujours debout. Très vite, Twitter s’enflamme pour Leo et Gervonta. Toi, tu décides de ne pas lâcher ton Monster pour autant. Et bien t’en aura pris. Car sans s’obstiner à le bombarder de coups dans les gants, Inoue finit par cueillir son adversaire sur deux contres d’école, montrant une fois de plus combien son QI boxe est élevé.
20 victoires en professionnels et des piles de KOs spectaculaires à son actif, champion dans 3 catégories, toujours partant pour un défi qui en vaille la peine… Inoue a tout du futur Hall of Famer dont n’importe quelle ère de la boxe a tant besoin. S’il bat Nonito Donaire le 12 décembre, Nordine Oubaali lui semble promis, avant ou après la sensation John Riel Casimero. Il te faudra alors accepter les fameuses chocottes que tu auras pour le meilleur Français du moment, tout en pensant très fort au putain de prestige d’un tel combat, si rare pour un gars de chez nous.

Fissa, retour au Texas pour le grand final. De ce que tu devinais en haut à droite de ton écran, le combat donnait ce qu’il avait promis. Toujours facécieux, Gervonta est monté sur le ring en sombrero, et arbore sur son short les couleurs de son adversaire. Comme Floyd contre De la Hoya, comme Greg Heugen avant lui face à Julio Cesar Chavez. Reste à voir s’il finira comme son promoteur, ou comme l’infortuné Haugen… Au 5eme round, Leo subit. Lorsqu’il laisse à Davis le temps de préparer ses contres, il est puni. Dès lors, son avantage d’allonge perd beaucoup de son intérêt. Santa Cruz est plus grand, certes, mais c’est lui qui vient des 118 livres, où il n’était déjà pas réputé comme puncheur. Sa force, ce fut toujours l’activité, le volume, noyer l’adversaire sous un déluge de coups. C’est ainsi qu’il repart à la guerre au 6eme. Davis encaisse consciencieusement, sans même faire l’effort d’éviter les balles. Sa stratégie à lui devient évidente : prendre tout ce qu’enverra Leo tant qu’il le peut, pour le repousser où il le veut. C’est à dire dos aux cordes, à la portée de son coup fort, un uppercut gauche de muerte. Et ça fonctionne. Davis se règle alors que droites et gauches lui ricochent sur le menton, et lâche LE coup qu’il faut dans l’angle parfait. Pan. On n’est pas devant Titanic, mais ta première réaction est de craindre pour Leo.
Il se relève, finalement. Ouf. Même défait, le Mexicain y aura gagné une sacrée exposition et un combat d’anthologie, de quoi encore solidifer la place au Hall of Fame qu’il devrait grapiller comme il boxe, à l’usure. Quant à Gervonta, tu as beau haïr l’indécrottable petit con qu’il redevient immanquablement hors du ring, force est de reconnaître qu’il a tout emporté. Contre une sorte de super-coq, certes. Reste à voir, pour celui qui détient désormais des titres en super-plumes et en légers, ce que donnerait un choc contre un Berchelt ou un Lomachenko – des combattants Top Rank, bien sûr, mais rêvons un peu. Il se confirme que, confinée ou pas, la boxe a encore beaucoup à te donner.

Voilà. Il est 5 heures et tu sais que tu mettras un certain temps à redescendre d’une telle orgie de collisions et hématomes en tout genre. La classique, en heure de Vegas, c’est lever 4 heures et coucher à 7. Là, tu visais minuit. Tu t’en fous : tu souris.