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Canelo Alvarez a encore gagné. Il s’agit cette fois d’une troisième ceinture mondiale des poids moyens, en plus de son titre linéal. Après Gennady Golovkin, le rouquin mexicain a défié et battu le troisième homme fort de la catégorie, Danny « Miracle Man » Jacobs, au terme d’une partie d’échecs acharnée, à défaut d’un futur grand classique du genre. La boxe n’est pas qu’un défi viril entre seigneurs de la jungle. C’est aussi un sport où le plus malin a souvent le dernier mot.
Quand les protagonistes du combat vedette montèrent sur le ring, le public avait déjà eu son shoot d’animalité, fût-elle empreinte d’une vraie maîtrise. On parle ici du premier KO subi en carrière par le technicien vétéran Mauricio Herrera. L’ironie du noble art voulut que ce soit ainsi qu’il fît enfin se lever les foules. Celui qu’on appelle El Maestro fut longtemps connu pour son absence de punch et sa science de l’embrouille, toujours pénible à manoeuvrer, jamais facile à toucher nettement. Hier soir à Vegas, contre la jeune pépite des super-légers Vergil Ortiz Jr – désormais 13 victoires par KO en autant de combats pro -, le californien de 38 ans avait perdu une fraction de ses réflexes d’antan. Mains hautes, rapide de bras et de pieds, jamais prodigue de ses coups, son cadet de 17 ans l’a calmement démantelé, jusqu’à l’envoyer au tapis en fin de 2eme round, puis trouver l’interrupteur d’une droite fulgurante au début du 3eme. Retenez ce nom : un gamin qui inflige ça à Mauricio Herrera est un vrai talent en devenir.
Les risibles errements de la mise en scène du diffuseur novice DAZN, cause d’un bug improbable dans la scénographie à l’entrée de Danny Jacobs, n’y changèrent rien : pour le plat principal, le public voulait encore du brutal, dans la droite ligne de la revanche dantesque entre Canelo et Golovkin. Il eut du subtil. Danny Jacobs est connu pour son passé de miraculé, lui qui survécut à un cancer des os. Il est aussi réputé pour son punch, du fait d’un taux élevé de victoires par KO et d’un succès dévastateur au 1er round contre le prometteur Peter Quillin, qui ne s’en remit jamais vraiment. Mais, comme l’a démontré sa défaite serrée contre « GGG », le natif de Brooklyn est tout sauf un cogneur simplet : c’est un boxeur complet, capable de se conformer à un schéma tactique choisi avec soin. Ce fut le cas contre Saul Alvarez.
Pour dire l’essentiel, Danny Jacobs a mis en application ce que tout passionné sait d’un Canelo arrivé à maturité : ne jamais le laisser s’installer sur ses appuis et pouvoir anticiper les mouvements de l’adversaire, sous peine de finir oblitéré par une énorme droite – ce qui arriva à l’infortuné Amir Khan – ou forcé à reculer sous les enchaînements virtuoses, battu à son propre jeu du bagarreur macho – soit le scénario de Canelo-Golovkin 2. La large palette technique du Miracle Man lui a permis de constamment varier les plaisirs, alternant le sens de ses déplacements, le tempo de ses initiatives – parfois agresseur, souvent contreur -, voire, suprême audace, des gardes de droitier et de gaucher. Sur le papier, l’américain a réalisé pas loin du combat parfait – peut-être négligea-t-il un peu le travail au corps -, s’offrant même le luxe de marquer les coups les plus retentissants, deux lourds crochets qui firent vriller la tête large du mexicain sur ses épais trapèzes. Et pourtant… Il a perdu.
Même sorti de sa zone de confort, Canelo Alvarez sait cuisiner un festin avec les miettes que l’on lui laisse : c’est la marque des plus grands, déjà perceptible contre le piégeux Erislandy Lara. Son jeu défensif est toujours un régal pour les yeux, et les incessants mouvements de sa tête ont longtemps mis en échec le jab adverse – en cas de pépin, le menton en acier aperçu face à Golovkin était toujours là pour éviter le pire. Le sens du timing de Canelo n’a pas vraiment d’équivalent sur la scène pugilistique de cette fin de décennie, ce qui lui permit de toucher régulièrement de son jab en dépit d’un déficit d’allonge et de vitesse de jambes. S’il ne put que rarement boxer en séries, la faute à l’intelligence défensive de Jacobs, sa précision sur un coup s’avéra supérieure. Et le poids de ses frappes, conjugué à la fatigue et aux rudes effets de son travail au corps, empêcha le Miracle Man d’accélérer dans les dernières minutes, alors qu’un ou deux rounds supplémentaires lui auraient permis de rafler la décision. C’est au contraire le rouquemoute de Guadalajara qui finit le plus fort.
On a vu tant de cartes étrangement larges au profit du mexicain qu’il faut saluer la lucidité des trois juges d’hier soir, le donnant vainqueur sur des marges raisonnables de deux ou quatre points. À 32 ans, Jacobs pourra se consoler avec son plus beau chèque en carrière, et la reconnaissance unanime de la qualité de sa prestation par les observateurs… Oui, mais. Malgré une tactique irréprochable, et peut-être par manque de cojones, il vient encore de laisser échapper LA grande victoire en carrière qui ferait de lui un Hall of Famer en puissance, deux ans après sa courte défaite contre Golovkin. Face à ses deux rivaux plus âgés, le temps joue pour Alvarez, aujourd’hui patron incontesté des poids moyens. Il sera favori des revanches et belles programmées contre eux, avant de s’intéresser aux actuels seconds rôles de la catégorie (Jermall Charlo, Demetrius Andrade), voire les super-welters surdimensionnés Jarett Hurd et Jaime Munguia, en attendant qu’un Errol Spence monte des 147 livres. Pour déboulonner Saul Alvarez, désormais titulaire du plus beau palmarès parmi les boxeurs en activité derrière le patriarche Manny Pacquiao, il faudra plus qu’un plan presque parfait.