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La première défaite d’un champion est un drame particulier. Surtout quand elle survient à 36 ans, à l’issue d’un combat serré, alors que LA victoire d’une carrière était à portée de gants. Cette nuit, dans une T-mobile Arena partagée entre huées et cris de joie, Gennady Gennadyevich Golovkin a quitté le ring, tête basse, sans donner l’habituelle interview d’après-match. La classe qui caractérise le bonhomme n’a certes pas disparu d’un coup, puisqu’il a, peu après, félicité son vainqueur et demandé une belle. Mais le mal est fait : il ne sera pas de cette glorieuse catégorie de boxeurs qui se retirent invaincus.
Le coup était déjà passé près, à deux reprises, dès que Golovkin eut enfin des adversaires à la hauteur de son talent. Ce fut d’abord une décision serrée contre un Danny « The miracle man » Jacobs de gala, que les juges auraient aisément pu attribuer à ce dernier. Le knockdown marqué au quatrième round, ainsi que le rêve du monde – et du business – de la boxe de voir un superfight entre « GGG » et Saul « Canelo » Alvarez, préservèrent le « 0 » inscrit au palmarès du Kazakh. Et quand advint la première confrontation entre les deux patrons des poids moyens, la conjonction d’un affrontement équilibré et d’une juge clairement orientée aurait pu résulter en une victoire du Mexicain.
C’est donc à l’issue d’un troisième choc de titans que Golovkin aura dû rendre sa couronne. Comme c’était prévisible, ce fut par le bias d’une décision serrée, qui suscite déjà chez ses fans une polémique à la hauteur de celle du premier verdict. Répétons-le tel un mantra : il n’y a jamais de vol à l’issue d’un affrontement très disputé. Juste du dépit et de la frustration. Lesquels ne doivent pas faire oublier une vérité cardinale de la boxe : quand il y a revanche, la victoire va toujours à celui qui ajuste le mieux son style en fonction de ce qu’il a appris de l’adversaire. Hier soir, ce fut Canelo.
Retour rapide : lors du premier combat, GGG mit 4 rounds à enclencher sa traditionnelle marche en avant. Si Canelo avait bien su lire la droite, souvent esquivée ou accompagnée, il encaissa le jab métronomique de Golovkin et le laissa s’organiser pendant une bonne moitié des 12 rounds, semblant même fatigué avant un remarquable sursaut final. L’un des enseignements majeurs de la confrontation fut que Canelo pouvait encaisser le punch de l’anesthésiste patenté qu’est GGG.
Que vit-on lors de la revanche ? Saul Alvarez s’employa d’emblée à priver son adversaire de son jab, malgré une allonge inférieure, en marchant sur lui. Le direct du bras avant est au boxeur ce que l’antenne est à la fourmi, et la moustache au chat : un outil fondamental d’appréhension de la distance, qui permet d’avancer avec confiance. Sûr de sa capacité à absorber la puissance de Golovkin, et à initier les échanges une fraction de seconde avant lui, Alvarez avança, ce qui eut un évident effet déstabilisant. Le premier moment décisif advint au 2eme round, avec l’aterrissage brutal à la face d’un puissant crochet du gauche de Canelo donné sans préparation, et feinté au corps. Un coup qui coupa et fit reculer l’homme réputé le plus fort des deux. Une bascule décisive du rapport de force observé en septembre 2017.
A compter de cette reprise, le combat prit une physionomie radicalement différente du premier : le Mexicain avançait, et Golovkin, incapable de poser ses appuis pour mettre le jus nécessaire dans ses frappes, subissait l’impact d’Alvarez. Lequel gérait intelligemment son effort, capable d’envoyer les séries puissantes qui impressionnent les juges sans se mettre dans le rouge pour autant. Canelo a des segments courts, mais c’est un vrai poids moyen au physique dense, désormais très à l’aise à la limite des 160 livres. L’image étonnante qui s’imposa dès lors fut celle d’un improbable remake de sa victoire sur Miguel Cotto, puisqu’il adoptait la même tactique contre un homme cette fois plus imposant que lui.
L’autre nouveauté par rapport au premier combat, c’est que les deux combattants portèrent très vite les stigmates des coups reçus : visage gonflé pour Golovkin, et coupure à l’arcade gauche chez Alvarez. Peut-être fallait-il y voir la conséquence directe des noms d’oiseaux échangés lors du trash talking d’avant match. On était loin de l’attitude des deux seigneurs règlant à l’escrime leur première confrontation : cette fois-ci, ces messieurs étaient là pour se faire mal. À la mi-combat, Canelo virait en tête, contre un Golovkin semblant privé de solutions. Plus inquiétant encore pour GGG, son adversaire paraissait, lui, loin de la panne d’essence, et continuait sur un rythme de métronome – un autre ajustement par rapport au premier volet.
Le grand mérite de Golovkin fut de réagir en champion. Conscient de son retard, il accepta finalement la bagarre dans les termes imposés par Canelo, encaissant souvent les mêmes coups puissants au corps et à la face, mais remisant avec panache. Peu à peu, les échanges s’équilibrèrent. Mieux, le crochet gauche ou l’uppercut droit de GGG semblèrent enfin ébranler Alvarez, comme au début du 10e round. Mais les rares moments de flottement du Mexicain restèrent ponctuels, et sa capacité à reprendre pied à chaque fois fut épatante. Il faut ici noter la très grande propreté des échanges, jusqu’aux intenses dernières reprises, à l’image de ce que fut leur premier combat. Ces deux boxeurs font d’épatants partenaires de tango.
Si chacun leva les bras au dernier coup de gong, c’est bien Canelo qui fut porté en triomphe par les siens. Il avait dicté ses propres termes lors des 12 rounds âpres et disputés qui venaient de s’achever. Golovkin avait, lui, refusé de mourir, et nul ne sait ce qu’aurait donné un championnat en 15 reprises. Il n’est pas le boxeur protégé et simplet que dénigrent certains fans outre-Atlantique : GGG a su infléchir un combat qui lui échappait, certes un poil trop tard. La décision à la majorité dont bénéficia Alvarez est méritée. Le juge Dave Moretti en est le meilleur symbole : il avait donné le match aller à Golovkin 115-113, actant l’emprise du Kazakh sur le scénario du combat, mais accorda la revanche à son adversaire du soir.
L’image crépusculaire de Gennady Golovkin regagnant son vestiaire sans dire un mot est bien cruelle. Comme l’estima Moretti, peut-être aurait-il mérité d’emporter la première manche de ce très grand duel de poids moyens. L’homme a le droit d’être amer : c’est aussi par une décision à la majorité que Canelo perdit un combat autrement moins serré contre Floyd Mayweather. Il a bien le droit de réclamer une belle. On peut douter du suspense qu’elle offrirait : Canelo connaît désormais la tactique dont il a besoin pour maîtriser Golovkin, et il est au summum de ses capacités. Alors que GGG, toute innovation technique prise par ailleurs, aura encore vieilli d’ici à une nouvelle confrontation. Canelo a tout gagné le 15 septembre 2018 : 3 ceintures mondiales majeures en plus de son titre linéal, mais aussi la grande victoire, obtenue dans le sang et les larmes, qui lui manquait encore. Il est sans doute aujourd’hui le numéro 1 de son sport, toutes catégories confondues.
Pour lui, après un possible interlude contre David Lemieux (vainqueur express de Spike O’Sullivan mais trop limité au plus haut niveau), un combat contre Danny Jacobs, à l’allonge et au jeu de jambes taillés pour le déranger, serait une équation passionnante à résoudre. Une unification complète face au champion WBO Billy Joe Sanders est une autre option digne d’intérêt. Quant à GGG, souhaitons-lui de trouver une consolation dans le montant du chèque qu’il touchera pour l’excellent affrontement d’hier soir. L’intérêt de Canelo et de son promoteur Oscar de la Hoya est clairement de provoquer une belle : le rapport entre les gains escomptés et le risque à prendre leur est désormais très favorable.
En tant que fan, j’espère que Golovkin saura s’inspirer d’un Marvin Hagler, parti sans se retourner après une autre défaite serrée entre toutes, en concédant le même titre de meilleur poids moyen de la planète. Ironie du sort, le même Dave Moretti alors avait donné 115-113 à Ray Leonard. Aujourd’hui, pour Golovkin, le mythe vaut autant que le portefeuille. Et ce mythe-là, il le mérite.
Le lion est mort, vive le lion.