Mayweather vs Pacquiao : It’s all about Money

Parce que tout peut arriver en une fraction de seconde sur le ring, parce que le verdict d’un combat qui va à la limite est toujours soumis à la douteuse subjectivité de trois juges, parce que certains styles de combattants sont inexplicablement allergiques à d’autres ou parce que le déclin peut frapper sans prévenir les champions les plus dominants, la boxe anglaise a le don de changer ses fans les plus blasés en grands enfants. Qui se prennent à espérer l’impossible ou redouter le très improbable alors que le scénario d’un combat semble aussi prévisible qu’une chanson de Bénabar. Même quand ils suivent depuis près de 20 ans la carrière professionnelle de Floyd Mayweather Jr, l’homme qui a transformé en science exacte le plus incertain des sports. Et jusqu’à payer près de 100$ US en pay-per-view pour le voir affronter enfin Manny Pacquiao ce 2 mai 2015 dans un nouveau « combat du siècle ».

Si la glorieuse incertitude du noble art ne se suffisait pas à elle-même, les surpuissants outils du storytelling pugilistique des années 2010 que sont les documentaires d’avant-match (« 24/7 » de HBO et « All access » de Showtime) et les pesées d’avant combat mises en scène au millimètre sont calibrés pour instiller le doute dans les esprits les plus pétris de certitudes rationnelles ou partisanes. Ainsi avait-on pu voir Mayweather s’épancher sur sa lassitude et son impatience d’atteindre une retraite dorée de sportif le mieux payé du monde, lever le pied sur le trash talking, afficher une gravité inhabituelle jusque sur la balance et restreindre volontairement ses apparitions médiatiques. Une telle attitude pouvait aussi bien traduire une concentration extrême qu’une appréhension sincère à l’approche du megafight, tant Floyd semblait condamné à se hisser à la hauteur délirante de l’événement après tant d’années d’attente des fans du monde entier, et tant il avait objectivement beaucoup plus à perdre que son adversaire du soir. En l’occurrence, un fonds de commerce en forme de palmarès vierge de toute défaite, à deux longueurs du mythique 49-0 de Rocky Marciano.

Face à un champion WBA et WBC des welters la jouant pour une fois profil bas, et semblant enfin rattrapé par le poids du plus grand rendez-vous de sa carrière, la bonhommie candide de son challenger et parfait négatif médiatique contrastait encore plus qu’à l’accoutumée, entre saluts de rockstar à un public largement acquis à sa cause lors de la pesée, grands sourires aussi fréquents que ses hommages au Tout-Puissant, et incroyable selfie aux côtés de son entraîneur Freddie Roach à leur entrée dans l’arène du MGM Grand au son de l’infâme jus de karaoké qu’est le grand succès pop philippin commis par le boxeur / député / philanthrope / role model / héros du peuple / icône publicitaire et grande cause nationale qu’est devenu Manny Pacquiao, en même temps que « Pretty Boy » Floyd s’est patiemment forgé la carapace de l’arrogant et richissime « Money » Mayweather. Une image de sale type que le public adore détester, encore renforcée par une propension à la violence domestique tout aussi révoltante que celle des pourtant vénérés Ray Robinson et Ray Leonard.

Les mauvais esprits les auraient dits conçus l’un pour l’autre par le cerveau retors d’un génie du marketing, ces deux boxeurs les plus titrés et les plus connus du monde enfin face-à-face, ou plutôt réunis face à une montagne de billets verts jamais vue dans l’histoire d’un sport pourtant fameux pour ses excès. Qu’importait que Mayweather soit favori et Pacquiao clairement vieillissant, tout était présenté pour souhaiter ou redouter une surprise de taille : le styliste américain si sûr de lui et qui étale tant sa richesse allait-il finalement s’incliner contre le héros gaucher humble et bagarreur d’un pays émergeant, lui qui redistribue si largement la sienne ?

Ceux qui s’attendaient à voir ressusciter le Pacman de la grande époque fondant sur l’adversaire comme un banc de piranhas biberonnés au Red Bull en furent pour leurs frais, tant l’entame du combat vit un Manny attentiste et hésitant bafouiller sa boxe contre un Floyd plein d’aplomb, imposant d’emblée un jab autoritaire bien que parcimonieux. La différence de gabarit naturel entre ces deux welters de longue date, mais ayant entamé leurs carrières respectives en mouches et en super-plumes (soit 18 livres d’écart), et l’allonge nettement supérieure de l’américain constituaient d’emblée deux avantages très nets. Le bras avant de Floyd lui valut donc les deux premiers rounds, disputés à sa distance, sans vraiment avoir à s’employer. Entamée au 3eme round, la révolte de Pacquiao s’appuya sur des premiers enchaînements courts et s’accentua dans la reprise suivante, avec à la clé un Mayweather obligé de travailler brièvement dos aux cordes. Et c’est à l’issue du 6eme round, lors de laquelle Money connut une nouvelle alerte face à un Pacman passant enfin la troisième, que le combat passa son pic d’intensité pour retomber dans une configuration bien familière aux habitués du Houdini de Grand Rapids, Michigan.

Résultat de recherche d'images pour "mayweather pacquiao"

Alors que Manny restait inexplicablement calé dans l’axe, incapable de varier les angles et souffrant toujours de la distance, bien loin de la sulfateuse de poche d’antan, Floyd imposait désormais son cross du droit breveté qui jaillissait sans préparation, sa science de l’accrochage tactique, et son jeu de jambes de danseur de ballet. Même s’il serait injuste pour Pacquiao d’affirmer qu’il rendit les armes à la mi-combat, puisque les rounds 7 à 10 furent raisonnablement serrés, l’identité du plus précis, du meilleur tacticien et du défenseur le plus efficace sur le ring ne faisait guère de doute. Floyd Senior rendit alors un fier service aux observateurs lassés par le faux rythme un rien lénifiant imposé par son rejeton, puisqu’il mit ce dernier en garde contre les risques d’une trop faible activité pour des juges souvent enclins à récompenser l’homme qui avance et donne le plus de coups.

La reprise suivante fut donc la vitrine d’un champion sûr de ses moyens qui montre à quel point effleurer l’accélérateur lui fait reprendre illico une bonne demi-douzaine de longueurs d’avance. Restait à clore le combat en évitant un KO aussi tardif qu’invraisemblable : n’étant pas précisément réputé risquophile, Floyd passa l’intégralité du 12eme round à enchaîner les tours de ring debout sur les pédales d’une bicyclette fantôme, et acheva plus frais physiquement que son adversaire un combat finalement bien dépourvu de bleus ou de bosses. Même conforté dans une mauvaise foi pro-Manny passablement scandaleuse par une certaine jovialité éthylique, l’auteur de ces lignes fut incapable de trouver plus de 5 rounds gagnés par le philippin avant le décompte officiel. Et si le 118-110 du juge Moretti n’ajoutera pas à sa gloire, les deux 116-112 à la faveur de Floyd reflétèrent assez fidèlement l’impression visuelle d’un combat clairement remporté sur un challenger entraîné malgré lui bien loin de sa zone de confort.

Pour ce faire, deux armes du vaste arsenal de Mayweather Jr auront essentiellement servi : le cross du droit et le jab du gauche. La simplicité crépusculaire de cette nouvelle démonstration d’un champion si proche de la fin n’est pas sans rappeler l’évidence dépouillée du Zidane de France-Brésil 2006. On vit même Floyd fendre l’armure et sortir par deux fois de sa posture si délibérément trouducutoire, lorsque son sourire du 11eme round évoqua moins sa morgue coutumière que la joie sincère d’un gamin se sachant victorieux, et quand il donna à son adversaire une accolade aussi respectueuse qu’incongrue à l’amorce des trois dernières minutes. Mais le personnage de « Money » ne tarda pas à reprendre l’ascendant, lui qui debout sur la première corde toisa la foule hostile d’un air de défi dans l’attente du prévisible verdict des juges.

Prévisible, le déroulé du combat le fut finalement tout autant que son dénouement. Ou que les débats des longues semaines d’avant-match, d’ailleurs. Les fans les plus inconditionnels de Pacquiao avaient facilement pu imaginer un Floyd refusant soi-disant l’affrontement, et ne méritant certainement pas d’emporter à leurs yeux un « combat du siècle » qui devait forcément nous rappeler Hagler vs Hearns pour être digne de ce statut. Comme si Mayweather pouvait ne serait-ce qu’envisager d’abandonner la stratégie qui le maintint si longtemps sur le toit du monde pour le plaisir de ceux qui ne l’aimeront jamais. Qui peut encore décemment ignorer que Floyd a au moins autant construit sa fortune sur ses fans que sur ses haters ? De leur côté, les Floydolâtres avaient forcément prédit sa 48eme victoire de rang, contre un adversaire si longtemps moqué pour son supposé manque de qualités techniques et d’intelligence sur le ring. Comme si Pacquiao avait pu triompher d’autant de futurs pensionnaires du hall of fame dans 8 catégories de poids par la seule grâce de sa vitesse et de sa force brutes.

La vraie surprise advint finalement juste après l’affrontement, lorsqu’en conférence de presse le vaincu du soir annonça pieusement ne pas se chercher d’excuses… tout en ne cessant d’invoquer une blessure à l’épaule droite survenue pendant sa préparation. Autant dire le prétexte rêvé sur lequel sautèrent rangers aux pieds ses zélateurs en affirmant que la défaite de Manny était imputable à 100% à un (vrai) pépin physique. L’explication tenait-elle vraiment la route ? Le fait est qu’une épaule douloureuse peut expliquer en partie le faible nombre de coups donnés par Pacquiao, étonnamment inférieur à celui du si peu prodigue Floyd Mayweather, mais pas l’erreur tactique que fut une absence de déplacement latéral offrant une cible idéale aux contres au cordeau de l’américain, ni une précision largement inférieure à celle de ce dernier. L’aveuglement des plus fanatiques n’y changera rien : Manny a bel et bien perdu contre l’ennemi juré, à qui cette défaite offre une place désormais bien peu contestable au palmarès des 10 plus grands boxeurs de tous les temps. Il y a des pilules encore plus dures à avaler qu’un cross du droit chirurgical en plein nez.

Quel que soit le sport, les supporters irréductibles sont certes ce qu’ils sont. Mais on a connu Manny Pacquiao lui-même plus grand seigneur dans la défaite. Avait-il vraiment aussi peu à perdre que ne le laissait supposer son étiquette de challenger ? Le fait est qu’une blessure à l’approche d’un combat à 400 000 000$ est sans doute un événement délicat à gérer. Déclarer forfait, c’était courir le risque financier considérable que le deal ne se resigne jamais, et perdre la face devant les armées de fans qui auraient considéré avec plus ou moins de bonne foi qu’il se serait dégonflé. Alors que ne pas se retirer revenait à se présenter sciemment diminué devant 3 à 4 millions d’amateurs payant de leur poche un montant indécent pour le « combat du siècle ». Ce qui pouvait laisser à beaucoup la pénible impression de voir un champion aussi mythique venu toucher son chèque, et basta.

Deux options tout aussi inconcevables pour un champion d’une telle aura, avec à l’avenant les migraines et les dissensions au sein de son équipe que l’on imagine. Il y a gros à parier que l’épisode laissera des traces dans l’entourage du champion, tandis que lui-même ne rajeunira pas pendant l’année de convalescence qu’il passera sur la touche, sans compter les déboires juridiques que lui vaudra l’absence de mention d’une blessure dans le questionnaire de santé d’avant-combat exigé par la commission athlétique du Nevada dans un pays où l’on rigole rarement avec le parjure.

Autant dire que dans de telles circonstances et sur notre bonne vieille Terre, les chances de Manny de se voir octroyer une revanche après une défaite aussi nette étaient sérieusement compromises. Mais c’est précisément au moment où la plupart des observateurs tirèrent cette même conclusion que Floyd lui-même annonça son souhait de lui accorder ladite revanche en mai 2016. Parce que sur la planète de Mayweather, il est acquis qu’aucun adversaire ne garantirait autant de revenus qu’un Pacman rétabli, fut-il sur le déclin. Affranchi de ses obligations vis-à-vis de la WBA, la WBC et la WBO depuis qu’il abandonna leurs titres dans l’immédiat après-combat, Floyd compte sans doute faire durer le plaisir et tourner le compteur le temps de deux nouvelles sorties, alors qu’il ne lui reste plus qu’un engagement d’un seul combat auprès de la chaîne câblée Showtime.

Associé à l’irrésistible et intriguant manager Al Haymon, l’homme qui a fait revenir la boxe sur les chaînes hertziennes aux Etats-Unis, Floyd peut désormais imposer ses propres règles à un sport qu’il aura finalement refaçonné à son image. Vise-t-il un palmarès mythique de 50 victoires pour aucune défaite, un nouveau record absolu de recettes pour son dernier combat, ou laisser en héritage le retour des megafights sur NBC des décennies après le dernier âge d’or de son sport ? Peut-être bien tout à la fois. Dans le monde de la boxe des années 2010, it’s all about Money.

Laisser un commentaire