Débriefing de deux des affiches vedettes des trois grandes réunions d’hier soir aux Etats-Unis, dans ce riche mois d’avril 2015 pré « combat du siècle ».
La première d’entre elles opposait sans titre en jeu deux redoutés puncheurs trentenaires de la catégorie des super-légers, l’argentin Lucas « La Maquina » Matthysse (biographie d’avant combat contre Danny Garcia disponible ici) contre le russe Ruslan « The Siberian Rocky » Provovnikov. Sur le papier, le genre de collision ferroviaire que même les plus esthètes et amateurs de technique d’entre nous doivent admettre regarder pour autre chose que la beauté du geste. Comme l’avouait un jour un fan de heavy metal à l’ancienne marchant vers le Stade de France en souriant aux anges : « Quand tu veux de la bonne viande, tu vas chez ton boucher, quand tu veux du bon rock, tu vas voir ACDC ». Voilà donc le style de promesse alléchante que portait cette opposition de bagarreurs cumulant 51 KOs en 61 succès : une vraie bonne « slugfest » sans concession entre amateurs de pugilats, jusqu’à ce qu’un arbitre professionnel, un médecin consciencieux, un homme de coin compatissant ou un menton fracturé abrège les débats. Le pedigree de ces cogneurs patentés portait à croire que, pour la première fois en carrière, l’un des deux rendrait les armes avant la fin des 12 rounds programmés.
Vu que le sympathique Rocky Sibérien boxe sur un registre aussi varié qu’un train de marchandises en vitesse de croisière – calé dans l’axe, peu de jabs, des crochets courts au corps et à la face pour attendrir, une droite plongeante pour finir, deux larges pommettes pour amortir les contres – la principale interrogation portait sur l’attitude de Lucas Matthysse, le plus « boxeur » des deux. Rarement à son aise quand il faut couper la route à des techniciens solides, comme l’ont prouvé ses échecs serrés contre Zab Judah ou Devon Alexander, Matthysse raffole de la bagarre, une attitude prévisible de la part d’un tatoué dont le short façon treillis de camouflage arbore la mention « Macho ». Ce goût prononcé pour les échanges de mornifles prolongés bien en face de sa cible lui valurent un premier knockdown en carrière contre l’habile contreur Danny Garcia, et d’inattendues sueurs froides après deux autres voyages au tapis contre John Molina, un adversaire frustre mais doté d’un bras arrière rappelant étrangement le lourd aiguillon à bétail de Ruslan Provodnikov. Face à ce dernier, c’est en général le choix tactique de l’adversaire qui décide de l’issue du combat : rester dans l’axe et se battre revient à subir ou frôler l’accident industriel (Alvarado, Bradley), tandis que bouger et travailler à distance promet le succès pour peu que l’on soit un honnête technicien (Herrera, Algieri).
Dès la première reprise, Lucas Matthysse démontra qu’il avait retenu la leçon : tournant alternativement sur la droite et la gauche de son adversaire sans jamais lui laisser régler la mire, l’argentin usait d’un jab du gauche parfois doublé ou triplé, bien plus lourd et sonore que bien des bras arrières, pour préparer des combinaisons nettes et rapides, livrant un festival de cross du droit et crochets du gauche. A l’issue de ce round initial, le visage de Provodnikov était déjà rosé. Après le troisième, il était saignant, en l’occurrence au-dessus de l’oeil gauche. A compter de la mi-combat, sa ressemblance physique avec une belle tranche de foie de veau cru devenait saisissante. La vérité est que tout autre spécimen que le terrible tractopelle tartare aurait craqué physiquement ou mentalement après 15 à 20 minutes dans la lessiveuse argentine, ce dont témoigne le palmarès de Matthysse. Mais Provodnikov, s’il marquait une fraction de seconde d’arrêt après chaque coup puissant encaissé et dut progressivement ralentir son rythme, fit preuve d’une résilience assez terrifiante. Il put brièvement nourrir l’espoir de renverser les débats au 4eme round en touchant plusieurs fois « La Maquina », qui prouva à cette occasion qu’il n’a pas non plus un menton en balsa, et fournit assez d’efforts pour remporter les deux dernières reprises alors que son obstination sanglante et mécanique inspirait à son tourmenteur du soir un prudent repli stratégique inspiré de la Sarah Connor des Terminator I et II.
Au vu de la démonstration de Lucas Matthysse durant les trois quarts du combat, le verdict final de « majority decision » en sa faveur (un nul 114-114, deux 115-113 pour les 3 juges) interpelle par son étroitesse. S’il est vrai que Provodnikov a avancé la plupart du temps, son global manque de précision le prive d’un large succès sur le critère « effective agression », tandis que « clean punches », « defense » et « ring generalship », ce dernier récompensant la supériorité tactique, reviennent sans conteste à l’argentin sur environ 9 des 12 reprises. Les commentaires outrés critiquant le sens de cette décision entendus chez un Harold Lederman, voire dans des médias argentins plus avides de baston que d’escrime de poings, confirment que les règles de ce sport donneront toujours matière à débat. Qu’importe pour Matthysse, dont ce succès convainquant sur un adversaire reconnu peut nourrir les revendications d’une nouvelle chance mondiale en super légers, qu’il s’agisse d’une revanche contre Danny Garcia – difficile vainqueur de l’ancienne victime de « La Maquina » Lamont Peterson en début de mois – ou d’un défi contre l’étoile montante des classements toutes catégories Terence Crawford, tombeur hier soir du portoricain Thomas Dulorme pour le titre WBO des super-légers. Quant à Ruslan Provodnikov, il mérite sans doute un combat plus facile dans les mois qui viennent, et devrait songer à garder les mains plus hautes et mieux bouger la tête s’il compte se rappeler le nom de ses proches passée la cinquantaine. Son sérieux dans la préparation, la puissance de son punch et son courage surhumain lui garantissent quelques années encore l’affection du public et le statut de « gatekeeper », soit un premier test de niveau international pour les stars en devenir de sa catégorie.
C’est précisément la fonction de « gatekeeper » qui était assignée au polonais Andrezj Fonfara pour les débuts de Julio Cesar Chavez Jr chez les poids mi-lourds, au « catchweight » négocié de 172 livres par rapport aux 175 de la limite officielle de la catégorie. Inactif depuis plus d’un an, le fils de la légende homonyme et surnomée « Atlantico », qui appartient au top 5 des légendes de la boxe mexicaine, avait beaucoup à prouver face au besogneux polonais. Car le résumé des épisodes précédents de la carrière du pire sale gosse de la boxe anglaise contemporaine après Adrien Broner est assez édifiant. Celui que l’on surnomme « Chavezito » ou « le petit Chavez » a commencé par hanter les poids moyens, très en dessous de sa catégorie naturelle, ce qui lui coûta d’être attrapé par la patrouille pour utilisation illicite de diurétiques après une victoire aux points sur l’anecdotique Troy Rowland en 2009. Une longue série de succès obtenus sur des adversaires d’un niveau passable lui valut une chance mondiale, puis le titre WBC de la catégorie sur une décision contestable. Sa défense victorieuse de ce titre contre le poids moyen naturel Andy Lee – auteur d’un récent match nul contre Peter Quillin pour la ceinture WBO – dit tout sur son profil de champion. Dominé aux points par un adversaire supérieur en technique et en tactique, Chavez se décida enfin à travailler et faire valoir une puissance et un gabarit de mi-lourd naturel pour obtenir un arrêt de l’arbitre au 7eme round de la confrontation.
Ce succès lui ouvrit les portes d’un combat contre le champion linéal des poids moyens, l’argentin dangereusement proche de la date de péremption Sergio « Maravilla » Martinez. Toujours symptomatique des qualités et des travers de « Chavezito », l’affrontement vit le jeune mexicain supporter sans broncher et avec un attentisme désespérant une vraie leçon de boxe 11 rounds durant, avant d’enclencher enfin la marche avant et de passer tout près d’arrêter le champion vieillissant lors de l’ultime reprise, en alternant larges coups au corps et grosses droites au menton. D’aucuns mirent à l’époque ce qui fut dans les faits une très large défaite aux points sur le compte d’une trop grande difficulté à faire la limite des poids moyens, alors que d’autres pointaient plutôt une assiduité relative à l’entraînement… corroborée par un nouveau contrôle positif, cette fois à la marijuana. Toujours est-il que Julio Cesar Chavez Junior monta ensuite en poids super moyens le temps d’une double confrontation contre le « gatekeeper » Brian Vera, où l’on vit l’héritier d’Atlantico bafouiller sa boxe lors d’une première victoire aux points, puis reprendre le travail avec sérieux lors d’une revanche où il utilisa enfin le jab dans ce qui ressembla enfin à un succès à peu près construit.
Hélas, à 168 livres la limite des poids super moyens s’avéra elle aussi trop délicate à tenir, et Chavez décida d’un saut direct en mi-lourds… plus de 12 mois après la revanche face à Vera, contre la valeur sûre de la catégorie qu’est Fonfara, et sans daigner s’ajuster à ce nouveau poids en tentant un premier combat face à un boxeur plus accessible. Rappelons que le polonais, ancré chez les mi-lourds depuis plus de 5 ans, concéda une défaite plus qu’honorable face à Adonis « Superman » Stevenson, non sans avoir scoré un knockdown sur celui qui est l’un des deux vrais patrons de la catégorie avec Sergey Kovalev. Proche de l’apparence d’un Lucas Mattysse, la dégaine efflanquée de légionnaire en mission d’Andrezj Fonfara laisse deviner une dureté et un sérieux qui méritent un minimum de considération, une impression confirmée par sa boxe très « européenne » fondée sur une garde haute et une grosse activité en combinaisons classiques. Privé cette fois de son habituel avantage de gabarit et dominé en allonge, Chavez Junior étala d’incroyables lacunes techniques en subissant tête en avant une punition méthodique à distance, tandis que ses efforts pour provoquer les corps-à-corps n’aboutirent qu’à montrer à quel point son adversaire d’un soir lui était techniquement supérieur jusque dans son exercice favori.
Il ne restait à Chavezito que son menton de mi-lourd naturel pour faire durer la confrontation, en plus de la relative mansuétude d’un arbitre qu’il interpella sans cesse et qui administra un point de pénalité à Fonfara sur un coup d’épaule peut-être donné en réaction aux coups de boule du mexicain. Alors que son visage gonflait de toutes parts sans qu’il semble vraiment en souffrir, le mexicain subit son premier knockdown en carrière au 9eme round sur un crochet d’école à la tempe droite en sortie de corps-à-corps. De retour dans son coin, il argua auprès de son entraîneur d’une improbable blessure à la jambe, les deux hommes se disputant la décision finale d’arrêter les frais dans la foulée.
Les uns diront que Chavez prit une décision courageuse en entamant sa carrière de mi-lourd contre un homme du calibre de Fonfara. Les autres, dont je suis, insisteront sur l’inconséquence de Chavezito : entamer une campagne dans une nouvelle catégorie suppose au moins un coup d’essai peu lucratif face à un adversaire abordable, ce qui signifie tout de même un cycle entier de préparation en plus. Gageons que l’aversion bien connue de Chavez Junior pour la salle d’entraînement joua tout autant que ce soi-disant « courage » dans sa décision d’affronter directement Fonfara. Boxeur de devoir, ce dernier n’en demandait pas tant : être le premier homme à vaincre avant la limite le fils de Julio Cesar Chavez – pour 400 000 dollars, une somme certes replète mais 6 fois moindre que le cachet du mexicain – lui ouvre les portes d’une nouvelle chance mondiale amplement méritée. Quant au grand vaincu du jour, manifestement incapable de la remise en question d’un Lucas Matthysse après ses récentes déconvenues, il pourra méditer le titre de cet article librement inspiré du premier album de Doc Gynéco : à l’image du rappeur priapique qui s’adressait à une groupie anonyme, la boxe respecte rarement ceux qui ne prennent pas la peine de se respecter eux-mêmes.