C’est l’image qui restera de Bradley-Pacquiao II, en même temps que son surprenant point d’inflexion : un plan de mi-combat sur la mère du champion philippin en pleine transe mystique, et manifestement en train de jeter un sort au détenteur américain et invaincu du titre WBO des poids welters. Avouez que la différence entre « amusant » et « franchement flippant » est assez ténue :
Jusqu’alors, Tim Bradley semblait bien parti pour confirmer sa victoire controversée de 2012, prenant lentement mais sûrement l’ascendant sur un Pacquiao vaillant, mais accusant imperceptiblement le poids des ans. Visiblement désireux de s’installer en patron pour faire enfin taire les critiques et rallier les juges, Bradley endossait le rôle de l’agresseur alors que Pacman s’appliquait à tourner et déclencher des enchaînements courts à base de jab du droit et direct du gauche. Il fallut 3 rounds à « Desert Storm » pour maîtriser le timing de Manny Pacquiao, et le toucher régulièrement du droit en fin d’échange alors qu’il s’échappait toujours du même pas de côté, tout en travaillant intelligemment au corps pour ralentir son adversaire. Bien que vainqueur objectif des rounds 2 et 3, Manny peinait à autant varier les angles et les feintes qu’à l’accoutumée, et se retrouva même déséquilibré sur la première grosse frappe du combat scorée en contre du droit par Bradley au milieu de la 4eme reprise.
A la fin du 6eme round d’un combat jusque-là excellent, mon pointage ultra-officieux donnait 3 rounds à Bradley, 2 à Pacquiao et 1 nul, et la tendance était favorable au champion en titre. De plus en plus impressionnant physiquement pour un welter, en pleine trajectoire ascendante et au sommet de sa confiance après une très nette victoire aux points contre le même Juan Manuel Marquez qui assomma Pacquiao d’une droite aux allures de requiem fin 2012, Bradley imposait une intelligence tactique qui fait de lui – les soirs où il ne décide pas délibérément de partir sabre au clair contre un puncheur comme Ruslan Provodnikov – le boxeur le plus malin du moment sur un ring après Floyd Mayweather.
Inversement, le caractère un rien prévisible de la boxe du philippin de 35 ans n’était plus compensé par la cadence infernale et le punch qui firent de lui un cauchemar absolu à boxer jusqu’à l’année 2010… et un peu moins depuis. Notons d’ailleurs qu’il faut quasiment remonter aux années Bush pour trouver la trace d’une victoire par KO de l’un ou l’autre de ces champions, ce qui confortait votre serviteur dans son pronostic d’une victoire par décision, peut-être généreuse en faveur de Pacquiao en compensation du verdict de 2012, mais plus sûrement pour le plus jeune et le meilleur stratège des deux. Jusqu’à ce fameux break de la 6eme reprise, où l’irruption du paranormal, sous la forme des incantations d’une maman tendue à 2000 volts, fit en apparence prendre aux événements un tournant décisif.
Car force est de constater que Bradley leva le pied de l’accélérateur, se mit à reculer et à restreindre drastiquement son activité, en même temps que Pacquiao ajustait la distance et basculait dans un mouvement « in & out » axial plus naturel chez lui que le déplacement latéral. Si l’explication du phénomène ne tenait finalement pas qu’à la seule magie noire, il faudrait sans doute regarder du côté de la condition physique de Tim Bradley, d’ordinaire remarquable sur 12 rounds, voire d’un mollet douloureux qu’il évoqua brièvement avec ses hommes de coin. Ou plus simplement la difficulté de rendre coup pour coup à Pacman plus de 6 rounds durant. Toujours est-il que l’américain se repliait sur une large gamme de mimiques de chambrage garde basse qui fonctionnent bien mieux chez plus charismatique que lui, et sur de larges et imprécises droites plongeantes laissant penser qu’il tentait d’abréger les débats à la manière d’un Marquez… un pari plus qu’audacieux quand on ne dispose pas de la moitié du punch de « Dinamita ».
Pendant ce temps-là, Manny Pacquiao restait concentré sur son combat, certes loin du rythme de lapin Duracell qui fit sa légende, et en variant assez peu ses coups, mais en faisant clairement assez pour emporter au moins 4 des 6 rounds restants selon les critères intangibles de la notation que sont la précision, l’agressivité, la défense et la tactique. Le résultat fut une victoire méritée pour Pacman (et paradoxalement plus serrée que celle qui lui fut refusée il y a 2 ans…) : 115-114 en ce qui me concerne, 116-112 pour deux des juges et 118-110 pour l’inévitable corrompu de service. Gageons que l’américain apprendra beaucoup de ce premier revers. Il serait en tout cas mon favori en cas de belle contre Pacquiao, comme face au vainqueur du prochain combat entre Juan Manuel Marquez et Mike Alvarado.
Pour le philippin, redevenu champion du monde et à jamais le premier vainqueur de Tim Bradley, ce succès mérité ajoute encore un peu plus de prestige à un palmarès de premier plan. Dans un monde parfait, c’est-à-dire épargné par la guerre froide entre les deux principaux promoteurs de la planète boxe que sont Top Rank et Golden Boy / Mayweather promotions, cette victoire sur le deuxième meilleur welter de la planète garantirait un prochain combat contre le vainqueur du Mayweather – Maidana du 3 mai prochain. Autant dire le chimérique Mayweather – Pacquiao que les fans espèrent en vain depuis plus de 5 ans, tout en gardant bien à l’esprit que face au champion de l’année 2013 en complète démonstration contre Guerrero et Alvarez, il faudrait sans doute que maman Pacquiao commence dès maintenant à planter des aiguilles dans des petites effigies de Money Mayweather pour entretenir un vague semblant de suspense…