Play it to the bone : Robert Quiroga vs « Kid » Akeem Anifowoshi

On peut se targuer de connaître un peu la boxe anglaise, son histoire et ses champions, et passer complètement à côté d’un immense combat. Je suis ainsi tombé par hasard sur un pur joyau dans le formidable coffre à jouets qu’est Youtube, en ignorant tout de ses deux protagonistes et de leur affrontement, en dehors du prometteur titre de combat de l’année 1991 décerné par le magazine The Ring.

J’ai pris le parti de regarder ce combat du 15 juin 1991 dans les pures conditions du direct, sans la moindre information sur l’avant et l’après, et de m’essayer au compte-rendu et au scoring en direct. Rappelons aux lecteurs tentés par l’exercice – et je promets que le combat en vaut la peine – quels en sont les grands principes :

  • 10 points sont attribués au vainqueur de chaque round, l’autre combattant en reçoit 9, 8 au cas où il aurait subi un knock-down, 7 s’il en a subi 2, etc.
  • Le round scoré 10-10 est possible, mais doit rester rare.
  • Le vainqueur d’un round est réputé avoir dominé son adversaire selon au moins 3 des critères suivants : Efficacité (nombre de coups nets portés, la puissance ne départageant les boxeurs qu’en cas d’égalité), Aggressivité (prime au boxeur qui avance et à l’activité supérieure, s’il est suffisamment efficace), Défense (explicite, à la fois en parades et en esquives) et « Ring generalship » (maîtrise tactique et capacité à imposer son rythme et son style à l’adversaire).
  • Des points de pénalité peuvent être ôtés à l’un des boxeurs en cas d’infractions graves et répétées (cf. ce papier sur le dirty boxing).
  • A bien garder en tête : le round est scoré dans son intégralité, et mieux vaut dominer 2 minutes 30 qu’être très impressionnant sur 30 secondes seulement. Si tous les rounds sont disputés mais à l’avantage du même boxeur, ce dernier gagnera 120-108 un combat en 12 reprises. Soit aussi largement que s’il avait complètement surclassé son adversaire. Un combat peut être à la fois serré et largement remporté, et il n’y a pas de rounds de consolation.

Accrochez-vous. Le débriefing de ce difficile exercice de subjectivité suivra.

Rd 1 : Une opposition de styles a priori parfaite entre ces deux jeunes droitiers invaincus : le champion roué et bagarreur qui défend à domicile son titre des super-coqs, face au challenger élégant et délié à l’allonge nettement supérieure. Le rythme est soutenu dès le départ.  Anifowoshi trvaille du bras avant et tente d’imposer sa distance sans toujours beaucoup de précision. La différence d’allonge se fait sentir, mais Quiroga sait réduire la distance et bombarde de près par séquences, en s’appuyant sur de bonnes feintes. Peu de coups nets, on comprend que le champion veut alterner corps et face alors que Anifowoshi vise essentiellement la tête. Le round est serré, mais le score logique est 10-9 pour Quiroga, qui impose son style.

Rd 2 : Quiroga s’installe à mi-distance. Jolie technique d’Anifowoshi en direct, crochets et uppercuts, toujours concentrés sur la face. Ce type a une classe folle. Quiroga travaille du gauche au corps et son contre en crochet gauche fonctionne bien : son sens du timing est supérieur. C’est encore serré. De nouveau 10-9 pour Quiroga.

Rd 3 : Anifowoshi trouve son rythme offensif et défensif. Il bouge mieux la tête, travaille en directs et uppercuts très vifs et coupe Quiroga sur une droite. Le champion reste face à lui, mais il est peu efficace. 10-9 Anifowoshi.

Rd 4 : La distance se réduit. Anifowoshi travaille manifestement sur la coupure, mais il se défend mal. Il laisse Quiroga enchaîner de près derrière le jab, qui passe bien. Un round difficile à départager entre deux hommes qui misent tout sur l’attaque. 10-10.

Rd 5 : Le challenger dirige les échanges de loin, mais Quiroga parvient à réduire la distance et à bien enchaîner. Anifowoshi accepte une distance de plus en plus courte. Très bonne série de près de Quiroga, qui touche nettement. Anifowoshi défend mal la gauche rapide de Quiroga. 10-9 Quiroga. Notons le joli « IFB » sur l’écran de présentation de ce championnat IBF.

Rd 6 : Anifowoshi avance désormais main droite basse et s’expose toujours à la même sanction, alors qu’il veut travailler la coupure. On peut difficilement s’empêcher d’avoir mal pour Quiroga. 10-9 pour Anifowoshi pour l’agression, même si pour le reste c’est toujours serré. Anifowoshi 10-9, le combat se fait sanglant.

Rd 7 : Anifowoshi reste sans doute trop proche de Quiroga et ne profite pas au maximum de ses atouts, mais sa défense de l’épaule en shoulder roll et sa droite donnée en avançant lui octroient le round. 10-9 Anifowoshi.

Rd 8 : Quiroga saigne à profusion et son short sera sacrément difficile à ravoir, mais il repasse la marche avant et enchaîne. L’oeil gauche d’Anifowoshi se gonfle. Mais ce dernier parvient à doubler/tripler les gauches et droites de près, et il se remet à avancer… jusqu’à se faire contrer par Quiroga d’un crochet gauche lumineux, il est repoussé dans les cordes mais le champion manque de précision. Le round s’achève alors qu’Anifowoshi reprend le dessus, et touche sans doute Quiroga du coude, aggravant le saignement. Très bon round. 10-9 pour le champion, mais de bien peu. Il faut noter que les deux hommes ne s’accrochent jamais. A ce niveau d’intensité, c’est de moins en moins croyable.

Rd 9 : Anifowoshi redémarre comme un dragster. Quiroga contre en tournant à très courte distance. Anifowoshi avance et fait des dégâts en crochet droit, mais Quiroga épate par sa capacité à ne pas se désunir et à poursuivre sa boxe en contre et en enchaînements après le jab. Le shoulder roll d’Anifowoshi n’est plus assez serré pour empêcher la droite de passer. La fin du round le voit accélérer. 10-10.

Rd 10 : D’emblée, la tactique de Quiroga est intéressante : il se désaxe et tourne en changeant de sens régulièrement, empêchant Anifowoshi de régler la mire. Dès qu’il reste dans l’axe, il se fait punir. Mais il tient le choc, et finit fort. 10-9 Quiroga. Que c’est serré. Un arbitre d’aujourd’hui arrêterait sans doute Quiroga.

Rd 11 : Anifowoshi continue a avancer et les échanges sont très intenses. Le challenger retrouve une certaine précision. 10-9 Anifowoshi. Savourons la discussion entre les deux commentateurs, qui insistent sur le caractère indécis du combat en même temps que sur une réaction violente de la foule à prévoir en cas de défaite du champion sur son terrain.

Rd 12 : Alors que les deux hommes donnent tout ce qui leur reste dans des échanges assez proches de ceux du 11eme, la coupure pour recoller l’adhésif du gant d’Anifowoshi est malvenue. Peu à peu, Quiroga doit céder du terrain. Anifowoshi est le patron jusqu’à 50 secondes du terme. Quiroga rushe, il est repoussé. Echange de coups nets. C’est fini. Round donné de peu à Anifowoshi, 10-9.

Au final : 2 rounds nuls et 5 pour chacun des deux hommes, soit 115-115. Ce qui semble équitable : le champion garde son titre, le challenger n’a pas perdu, l’investissement des deux hommes fut plus qu’exemplaire. Plus de la moitié des rounds sont extrêmement serrés, et scorer le combat jusqu’à 8 rounds à 4 pour n’importe lequel serait parfaitement défendable.

Compte tenu de l’habituel effet d’arbitrage à la maison, il n’est donc pas étonnant de voir le texan Quiroga s’imposer par décision serrée, mais unanime, et devenir ainsi le premier champion du monde originaire de la ville fondue de boxe qu’est San Antonio.

Reste à savoir comment les deux auteurs d’une telle performance, âgés chacun de 21 ans à l’époque et disposant de qualités pugilistiques aussi prometteuses, sont retombés dans un tel anonymat 23 ans plus tard. La raison est limpide et tragique à la fois, puisque ni l’un ni l’autre n’a pu poursuivre bien lontemps sa carrière au delà de ce soir de l’été 1991.

Ils sont d’ailleurs tous les deux décédés à l’heure qu’il est.

« Kid » Akeem Anifowoshi s’effondra dans les minutes suivant l’annonce du verdict, et fut évacué sur une civière au doux son d’une foule en liesse scandant d’élégants « DOA, DOA… ». Soit l’abréviation de « Mort à l’arrivée » dans les hôpitaux américains. Et vive le Texas. Diminué physiquement et intellectuellement par ce qui s’avéra être un caillot sanguin, Anifowoshi se vit ensuite privé de licence professionnelle, puis son hasardeux projet de reconversion professionnelle – le traffic de cocaïne – lui valut une expulsion vers son Nigéria natal. Où il mourut 3 ans plus tard, alors qu’il envisageait apparemment de remettre les gants.

Transféré lui aussi à l’hôpital pour 3 heures de coutures diverses et variées destinées à lui redonner un visage humain après ce pugilat, Quiroga perdit son « killer instinct » suite au dénouement dramatique que l’on connaît. Il défendit victorieusement son titre à deux reprises avant de le céder sur arrêt de l’arbitre au 12eme round contre un second couteau, et de raccrocher définitivement les gants après une tentative de come-back 3 ans plus tard. La (rare) sagesse qu’il eut de prendre tôt sa retraite des rings ne paya pas, puisque cet homme très populaire, devenu vendeur de voitures et éducateur spécialisé, mourut poignardé en pleine rue un soir de fête à l’âge de 34 ans.

Avant de visionner le film, et comme vous, peut-être, j’ignorais tout de ces deux hommes, de ce combat mythique, de son terrible dénouement et de la suite des événements. Et j’en suis un peu ému. Une enième diatribe sur la sécurité des athlètes et la dureté de ce sport ne leur rendrait pas plus une vie qu’une carrière. Comme tant d’autres boxeurs anonymes capables du plus inouï des dépassements de soi, ils méritent simplement un hommage appuyé de la part de la grande confrérie des sportifs en fauteuil dont je suis. Bravo, et merci.

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