Mexique vs Puerto Rico, le « crunch » de la boxe anglaise (Partie 2)

Suite et fin de la grande saga des affrontements Mexique – Puerto Rico sur le ring :

6- 03/12/82 : Wilfredo Gomez (POR) vs Lupe Pintor (MEX)

C’est juste après cette défense anecdotique que Wilfredo Gomez affronte un nouvel adversaire mexicain de grande qualité, le champion du monde des poids coqs Lupe Pintor. Il s’agit d’un adversaire tenace, bon puncheur et très résistant, ami et partenaire de club de Carlos Zarate jusqu’a ce qu’il batte ce dernier sur une décision très controversée. Il compte également un succès sur Antonio Becerra, le seul vainqueur de Salvador Sanchez en pros, et un KO dramatique sur le gallois Johnny Owen dont ce dernier ne se releva jamais… Qualifié de plus grand combat des années 80 en super coqs par le magazine The Ring, le pugilat dantesque entre Gomez et Pintor est l’un de mes préférés de tous les temps, et je ne saurais trop vous recommander d’y consacrer l’heure qu’il mérite.

Gomez bénéficie cette fois d’un avantage d’allonge, et il choisit d’entrée de tourner et construire autour de son jab contre un Pintor plutôt emprunté. Sa stratégie paye jusqu’au 3eme round, où le Mexicain semble trouver sa distance et son timing, pour se retrouver acculé dans les cordes par un Gomez soudain plus entreprenant. Le round est épique. Les premiers échanges francs entre les deux hommes s’avèrent brutaux, et si Gomez est plus précis, on le sent régulièrement plus éprouvé que Pintor. Très actifs, le champion et son challenger n’hésitent pas à doubler ou tripler le gauche. A partir du round 7, Gomez est marqué physiquement et Pintor ne recule pas. Les rounds passent et l’équilibre de Gomez semble de plus en plus précaire, même s’il cadre toujours le Mexicain et s’assure une certaine avance aux points. Il surprend toujours par la soudaineté de ses transitions entre la défense et l’attaque.

Pintor semble enfin entamé en fin de 11eme round, et Gomez, désormais tuméfié et porté jusqu’à son coin à chaque break, lui inflige une pression terrible dès le début de la reprise suivante… pour être contré et lui-même sauvé par le gong 2 minutes 50 plus tard. Le grand regret de Pintor sera de ne pas avoir su finir le combat dans une 13eme reprise pénible pour le champion en titre, car son punch de légende sauve ce dernier à la 14eme, sur une gauche au corps suivie d’une droite à l’oreille que, pour une fois, Pintor n’aura pas pu voir venir.

Wilfredo Gomez est peut-être le boxeur dont la carrière incarne le mieux la brutalité et la richesse des affrontements pugilistiques entre le Mexique et Puerto Rico ; il en a aussi bien retiré sa plus cruelle défaite que les victoires qui ont fait sa légende. Viva Bazooka.

7- 03/11/84 : Edwin Rosario (POR) vs José Luis Ramirez (MEX) II

Ce combat est rarement cité parmi les plus emblématiques de la rivalité entre le Mexique et Puerto Rico. La faute à une concurrence extrêmement relevée, ainsi qu’au relatif anonymat de José Luis Ramirez dans la grande lignée des champions mexicains. Etrange, quand on parle d’un homme au palmarès final de 102 victoires dont 82 par KO pour seulement 9 défaites. Un puncheur gaucher dur au mal, dont la victoire la plus prestigieuse, par décision face au grand Pernell Whitaker, fut il est vrai presque aussi controversée que le match nul obtenu plus tard par Julio César Chavez contre le même « Sweet Pea ». A San Juan, il retrouve en novembre 1984 Edwin Rosario, vainqueur aux points de leur première confrontation 18 mois auparavant, et détenteur du titre WBC des poids légers. Rosario deviendra un puncheur à la droite légendaire, infligeant sa première défaite à Frankie Randall et détruisant notamment Edwin Viruet (challenger coriace de Roberto Duran) et Livingston Bramble. En novembre 1984, il est invaincu en 24 combats. On aurait été surpris que deux cogneurs de ce calibre se quittent sur une nouvelle décision… et ça n’a effectivement pas été le cas.

D’aucuns diront qu’Edwin Rosario ne s’est jamais vraiment remis d’une première défaite aussi fracassante. Il a tout de même bouclé une « petite » carrière de Hall of Famer avec 47 victoires dont 41 avant la limite, non sans avoir perdu contre Julio Cesar Chavez ce qu’un journaliste US qualifia de « street beating »… et que Chavez fit peut-être durer par plaisir, pour faire ravaler à Rosario toutes ses rodomontades d’avant-match. Le Portoricain décéda d’une rupture d’anévrisme en 1997 alors qu’il tentait un come-back, sans doute affaibli par ses rudes défaites autant que par une hygiène de vie calamiteuse. Quant à Ramirez, qui n’a pas intégré le Hall of Fame, il a acquis face à Rosario la plus belle de ses « vraies » victoires, empilant jusqu’à la fin de sa longue carrière des défaites face à un vrai who’s who de la boxe des 70s et des 80s, Ruben Olivares, Alexis Arguello, Ray Mancini, Hector Camacho, Julio Cesar Chavez et Pernell Whitaker II en plus d’Edwin Rosario… qu’on retiendra finalement plus que ses 102 victoires, même s’il mériterait peut-être autant le Hall of Fame que Rosario.

8- 12/09/92 : Julio Cesar Chavez (MEX) vs Hector « Macho » Camacho (POR)

La boxe mexicaine a trois icônes absolues. La première est le sensationnel puncheur de poche Ruben Olivares, dont le seul vrai défaut pour le présent papier est de n’avoir pas disputé de combat emblématique face à un champion portoricain. La deuxième est Salvador Sanchez, dont le succès contre Gomez a beaucoup fait pour la légende. Et la troisième est Julio Cesar Chavez, l’homme au bandeau rouge, à la frappe de mule, au moteur de tracteur, au travail au corps de marteau-piqueur, au menton de granit et aux records insensés. On a déjà évoqué ici sa victoire à deux secondes de la fin sur le pauvre Meldrick Taylor. Le 12 septembre 1992, Chavez compte 81 victoires en autant de combats pros quand il défend son titre WBC des super légers contre le portoricain Hector « Macho » Camacho. Personnage haut en couleur, Camacho ne compte qu’une défaite aux points vengée contre l’Américain Greg Haugen, et il a battu quelques références mexicaines, tels Rafael Limon et José Luis Ramirez. C’est un gaucher hyper rapide et très dur à toucher, sacré comme Chavez des super plumes aux super légers, et dont le pourcentage de victoires par KO diminue sensiblement à mesure qu’il monte en poids. Entre ces deux boxeurs très populaires chez eux, l’affiche proposée au Thomas & Mack Center de Las Vegas promet énormément.

Au final, il n’y a pas vraiment eu de match. Comme face à Edwin Rosario 5 ans auparavant, Julio Cesar Chavez impose sa puissance, sa technique en enchaînements corps/face et son travail au corps dès le début du combat pour ralentir son adversaire et annihiler l’essentiel de ses velléités offensives. Camacho a suffisamment de résistance et de talent en défense pour éviter une défaite avant la limite (ce sera le cas jusqu’à sa fin de carrière), mais aucun moyen technique ou physique de contrarier un Chavez à son apogée. Celui-ci découvrira un an plus tard la défaite morale (contre Pernell Whitaker) puis avérée (contre Frankie Randall), et enfin avant la limite en s’obstinant contre le jeune Oscar de la Hoya. Qu’importe finalement pour l’homme qui remporta 87 victoires de rang, 36 championnats du monde et 6 titres mondiaux dans 3 catégories. Quant à la fin de la carrière de Camacho, disparu l’an dernier, c’est ici.

9- 18/09/99 : Felix « Tito » Trinidad (POR) vs Oscar De la Hoya (MEX-EU)

Vainqueur d’un titre olympique en 1992 sous les couleurs des Etats-Unis, Oscar de la Hoya est citoyen américain. Mais le « Golden boy » a compris très vite, aussi bien comme boxeur que comme promoteur, l’intérêt stratégique du marché latino dans la boxe du XXIeme siècle, en particulier des publics californien et mexicain. L’hommage récurrent à ses origines mexicaines a fait de lui un boxeur biculturel, malgré un certain scepticisme au sud du Rio Grande pour ce chicano, et l’exploitation de la rivalité Mexique – Puerto Rico a été l’une des clés du grand succès commercial de son combat face à la star portoricaine Félix « Tito » Trinidad au Mandalay Bay de Las Vegas. Le pitch du « Fight of the Millenium » est ultra accrocheur : deux puncheurs invaincus et dominants pour l’unification des ceintures WBC et IBF des poids welters.

Extrêmement tactique, ce combat offre un contraste saisissant avec les traditionnels pugilats entre Mexicains et Portoricains. D’un côté, De la Hoya attend Trinidad pour déclencher et contrer, puis tourner et éviter la droite. De l’autre, Trinidad reste axial, avance et tente d’imposer son jab, mais trouve très peu de place pour enchaîner. La tactique de De la Hoya paye sur une bonne moitié de combat, et ses hommes de coin, sûrs de son avance, lui recommandent encore plus de prudence sur les derniers rounds. Il en résulte une opposition fermée, serrée comme un poing et atrocement difficile à scorer, vrai cas d’école pour juges en herbe, alors que la décision officielle penche pour Trinidad (115-113, 115-114 et 114-114), et que la polémique ne s’est pas éteinte depuis, puisque la revanche n’a jamais eu lieu.

En direct, j’ai scoré le combat pour Trinidad, mais chaque nouveau visionnage me pousse à pencher pour Oscar, qui a plutôt dominé 3 des critères d’évaluation (coups nets et puissants, défense, et maîtrise tactique, le dernier étant l’agressivité). Toujours est-il que les carrières de ces deux boxeurs, vainqueurs d’un vieux Whitaker, dominants en welters, montés jusqu’en moyens pour y subir la dure loi de Bernard Hopkins, et finalement engagés dans un bien triste combat de trop (Manny Pacquiao / Roy Jones), présentent certaines similitudes. Au global, avantage De la Hoya pour des titres acquis des super-plumes aux moyens et une carrière plus dense… même si l’on peut légitimement lui en vouloir de ne jamais avoir accepté un Trinidad – De la Hoya II.

En bonus, on ne saurait évoquer Tito Trinidad dans le récit de la rivalité Mexique – Puerto Rico sans dire un mot de son duel furieux face à l’américain d’origine mexicaine Fernando Vargas pour l’unification des titres IBF et WBA des super-welters, un an après Trinidad – De la Hoya. Autre duel d’invaincus, celui-ci fut autrement plus engagé : 6 knockdowns au total et une fin dramatique au dernier des 12 rounds. L’un des meilleurs combats que j’aie pu suivre en direct.

10- 26/07/08 : Miguel Cotto (POR) vs Antonio Margarito (MEX)

Miguel Cotto est la dernière grande star portoricaine de la boxe anglaise. En juillet 2008, ce puncheur redoutable à la technique complète et au remarquable crochet gauche au foie est invaincu, anciennement titré en super-légers, et tenant de la ceinture welters WBA. Son palmarès se densifie progressivement, et des victoires contre son compatriote Carlos Quintana, ou les américains Randall Bailey, Zab Judah et Shane Mosley ont démontré sa valeur. D’après certains, sa montée en puissance comme celle de Manny Pacquiao n’est pas étrangère à la récente décision prise par Floyd Mayweather de raccrocher les gants… Très populaire à New York (il peut aujourd’hui se targuer d’avoir vendu plus de billets pour le Madison Square Garden que Muhammad Ali), c’est pourtant au MGM Grand de Las Vegas qu’il défend son titre face à Antonio Margarito. Doté d’une carrure impressionnante pour un welter et vague sosie de Machete, l’homme de Tijuana n’est pas un énorme puncheur, mais un travailleur inlassable au menton très solide et à la technique simple que le même Floyd Mayweather refusa d’affronter au profit du moins impressionnant Carlos Baldomir (reconnaissons que d’autres facteurs entraient en jeu à cette époque).

Le résultat est une vraie surprise : Cotto domine le début de combat, tout en vitesse et en précision, mais le pressing et le travail de sape à base d’uppercuts de Margarito mettent lentement à mal le champion, tandis que le Mexicain encaisse sans broncher tout ce que son adversaire peut lui offrir. Ce combat met à jour un point faible de Miguel Cotto régulièrement perceptible depuis, à savoir un certain manque d’endurance. Mis à mal au round 7, Cotto subit énormément, et remet volontairement un genou à terre au 11eme après un premier knockdown. Jet de l’éponge, et consécration pour Margarito qui s’empare sur le tard d’un premier titre mondial.

La suite des événements donnera à cette défaite un fort parfum de scandale, puisque Margarito sera pris en train de couvrir ses mains d’un bandage illégal quelques instants avant sa défense de titre face à Sugar Shane Mosley. Les fans de Cotto imaginent que le Mexicain a forcément triché de la même façon contre leur idole, sans pouvoir le prouver. Toujours est-il que Margarito subit une peine multiple : dans la foulée de la triste découverte, il est d’abord étonnamment démoli par le vétéran Mosley et mis KO pour la première fois de sa carrière. Suspendu un an, son combat de reprise lui offre le privilège d’affronter Manny Pacquiao, qui lui inflige une nouvelle correction de 12 rounds, au cours de laquelle il subit une fracture du plancher orbital de l’œil droit. Enfin, la revanche contre un Miguel Cotto surmotivé est disputée et prend la même tournure que le premier match au 9eme round, mais Margarito est arrêté à la reprise suivante pour un cocard au même oeil. Toute spéculation de tricherie prise à part, la vengeance de Cotto est éclatante, tandis que ce sera le dernier combat d’Antonio Margarito. Dont le choix capillaire pour l’occasion limite la compassion pour le bonhomme. Passons.

Battu par Manny Pacquiao, Floyd Mayweather et le plus improbable Austin Trout, Miguel Cotto a aujourd’hui 33 ans, et sans doute encore une poignée de combats devant lui au niveau mondial. Les spéculations vont bon train sur la possibilité de le voir affronter à terme la nouvelle superstar mexicaine Saul « Canelo » Alvarez, dans un combat qui serait pour ce dernier une ultime étape de préparation avant LE superfight contre Floyd Mayweather… Les temps sont difficiles pour la boxe portoricaine, où sa superstar déclinante ferait office de marchepied à la dernière tête d’affiche de sa plus grande rivale, alors que la relève est tout sauf assurée.

Derrière Cotto, le puncheur super-plume Juan Manuel Lopez a explosé deux fois contre le rugueux et atypique Mexicain Orlando Salido, le welter Kermit Cintron a été balayé par un jeune Canelo Alvarez, le super plume Roman Martinez arbore une ceinture mondiale anonyme, tandis que le super coq Wilfredo Vazquez Jr a perdu son titre au profit du surprenant vétéran mexicain Jorge Arce. L’Américain d’origine portoricaine Danny Garcia est largement considéré comme le champion légitime des poids super légers, mais la confrontation qui s’annonce avec un Lucas Matthysse plus menaçant que jamais a de quoi faire peur…

Côté Mexique, tout va (très) bien avec une densité importante de boxeurs de niveau mondial dans les « petites » catégories, la montée en puissance de Canelo Alvarez, la confirmation du poids plume mexico-américain Abner Mares parmi les 10 meilleurs boxeurs du moment, des pousses prometteuses comme Leo Santa Cruz en super coqs, les anciens Marco Antonio Barrera et Erik Morales en route pour le Hall Of Fame, et surtout la revanche fracassante prise par Juan Manuel Marquez sur Manny Pacquiao fin 2012… Les formidables affrontements entre Pacquiao et cette dernière triplette mexicaine depuis 10 ans, ainsi que la solide carrière de Nonito Donaire dans une catégorie des super coqs traditionnellement forte au Mexique, dessine peut-être une dérive progressive vers les Philippines du statut de meilleure ennemie de la boxe mexicaine. Sans même parler de la levée progressive de l’interdiction de la boxe professionnelle à Cuba, récemment annoncée par le fils de Fidel Castro, et qui devrait si elle se confirme faire émerger une nouvelle grande puissance professionnelle en Amérique Centrale. Même s’il faudra longtemps à ces rivalités en devenir pour acquérir une histoire à la hauteur de Mexique vs Puerto Rico, le « crunch » de la boxe anglaise.

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