L’année 1920 voit Sam Langford, désormais surnommé « Old Sam » à 37 ans, combattre la bagatelle de 24 fois. 2 victoires et un nul contre Jeff Clark, une nouvelle défaite aux points contre le terrible Harry Wills après avoir visité le tapis 4 fois au premier round, des victoires aux points contre Sam McVea, Bill Tate (qui pèse près 40 livres de plus que Langford) et Franck Farmer (qui finira par mourir sur le ring quelques temps plus tard). Après 15 combats dont 4 nuls et 3 défaites aux points contre une opposition plus anecdotique en 1921, Sam Langford combat 23 fois en 1922. C’est sa dernière défaite aux points face à Harry Wills, mais il obtient tout de même 15 victoires, dont des succès face à Bearcat Wright (futur vainqueur de Jack Johnson et victime de Mickey Walker), Bill Tate, et surtout Tiger Flowers. Flowers est considéré comme l’un des 10 meilleurs poids moyens de l’histoire, il est en phase ascendante et deviendra l’un des adversaires les plus fréquents (et l’un des rares victorieux) du grand Harry Greb. Un très beau gaucher qui souffre malgré tout de la différence de poids, et s’incline par KO au 2e round contre un Sam Langford dont le punch est toujours bien présent.
“Sam Langford était l’un des plus grands de l’une des plus grandes époques. Compte tenu de sa taille et de son poids il n’y eut jamais un plus grand combattant. » – W. Diamond
L’année de ses 40 ans, Langford fête ses retrouvailles face à un vieux Fireman Jim Flynn par 2 victoires, et perd 3 combats sur 15, dont un contre Bearcat Wright et un autre contre Sonny Goodrich pour l’improbable titre de champion du… Mexique des poids lourds qu’il détenait depuis quelques combats. Entre 1924 et sa retraite en 1926, Langford est moins actif (11 fois en 24, 5 fois en 25 et 2 fois en 26), mais s’offre malgré tout une dernière victoire sur Fireman Jim Flynn, une autre sur le très convenable Tut Jackson, et clôt sa carrière sur une dernière et cruelle défaite face à un certain Brad Simmons par KO au premier round. A l’époque, sa vue se dégrade sérieusement depuis déjà plusieurs années. C’est d’ailleurs miséreux et quasiment aveugle qu’il est retrouvé à Harlem en 1944 par un journaliste, et suite à l’article publié à son sujet une collecte de dons permet à Langford d’être opéré avec succès, et de vivre dignement jusqu’à sa mort en 1955 dans une maison de retraite du Massachussets.
« C’est l’homme que les critiques compétents désignent comme le plus grand boxeur de l’histoire, l’homme que les champions craignaient et ne combattaient pas, l’homme qui était si fort qu’il n’eut jamais la chance de prouver à quel point il l’était vraiment » – Al Laney
Si l’on récapitule la carrière monumentale de Sam Langford, il a gagné 178 combats dont 129 par KO, pour 34 défaites et 38 nuls en 24 ans. En intégrant les « newspaper decisions », qui sont parfois comptées comme des nuls, on arrive à 206 victoires pour 49 défaites et 54 nuls. Ce sont les combats disputés dans les Etats où une décision aux points était proscrite dans les années 10 à 20, soit pour éviter la corruption, soit du fait d’un accord entre les deux combattants, et pour lesquels on décidait du vainqueur en faisant la synthèse des commentaires des journaux du lendemain. En tout cas, 129 KOs, c’est certes moins que le recordman Archie Moore, mais plus que George Foreman et Mike Tyson réunis … Il est l’incontestable champion de deux générations brillantes de boxeurs noirs auxquelles on refusa l’accès aux titres mondiaux. Il a aussi marqué l’histoire en remportant en 1923 au Mexique le dernier combat programmé sans limite de temps.
Sachant tout cela, il est évidemment plus que frustrant de n’avoir que très peu de films montrant Sam Langford dans ses oeuvres. Rares étaient les combats filmés, et plus encore sans titre mondial en jeu. Dans le cas de Langford, il y en eut donc peu. Voici son affrontement de mars 1910 avec Fireman Jim Flynn :
L’avantage de taille de Flynn est net. On voit dès le début un Langford combattant buste droit et tête haute, à l’aise dans le combat de près (notamment en crochet gauche), arrivant à travailler au corps entre deux accrochages et à toucher en crochets et en uppercuts dès que Flynn s’approche après un break. On s’aperçoit de sa longueur de bras quand il touche à distance en avançant son pied gauche (gros gauche-droite donné en « overhand » à 1:55), et on sent sa force physique quand Flynn vient s’accrocher et ne le pousse pas facilement en avançant, se faisant même repousser violemment plusieurs fois dans le combat. Le film devient terriblement sale après 2:10. On a surtout des accrochages (malgré sa taille, Flynn mange dès qu’il y a un peu de distance). Nouvelle séquence de près et l’on constate que l’arbitre laisse faire (il y a débat sur la nécessité ou non de demander le break sur accrochage, après tout prendre le meilleur sur un adversaire dans un « clinch » est aussi un vrai travail technique). Langford travaille très bien au corps.
Au 2e round, les choses deviennent très dures pour Flynn dans le clinch. Il agrippe tant qu’il peut le bras gauche de Langford mais continue à se faire punir de près. Le film redevient sale, mais on voit avec quelle facilité Langford enchaîne gauche-droite-crochet au corps et uppercut droit quand Flynn avance sur lui. Les images d’époque sont trompeuses, mais on devine une certaine vitesse de bras. Le round 5 est un nouveau festival de clinch où les deux boxeurs gardent leurs mêmes attitudes caractéristiques. Il est difficile de tout voir avec précision, mais on a de plus en plus l’impression que Flynn fatigue alors que Langford ne bouge pas. Désormais, Flynn encaisse directement une grosse droite après chaque break. Langford a les mains baissées, et il s’amuse presque. On le voit mobile de la tête et des épaules pour esquiver ce que tente Flynn. Au 7e, Flynn est repoussé de plus en plus facilement et Langford reproduit sa technique de destruction sur 2-3 coups entre chaque accrochage. Il repousse Flynn du bras avant, et le touche quasi systématiquement. Le 8e et dernier round voit Langford scorer le KO sur une série rapide de près qu’on voit hélas assez mal.
Le combat de 1911 contre l’australien Bill Lang est gagné par Langford par disqualification. L’image est malheureusement très mauvaise. Les choses que l’on devine, c’est que Langford boxe en avançant, garde baissée (mais la main remonte bien quand Lang tente quelque chose), fixe avec le jab et enchaîne sur la droite. L’australien se livre assez peu. On a l’impression que les gants de Langford sont plus gros que ceux de Lang, ce qui avait peut-être été convenu entre les parties pendant la négociation du contrat. Les choses s’animent au round 2, Lang est plus actif et on imagine ses coups assez peu puissants au regard de ceux de Langford. Lang tombe enfin sur une bonne droite ; il faut dire que sa garde s’ouvre comme une fleur, sur ce coup-là. Son mérite est de se relever.
Voilà enfin un ajout récent sur Youtube, un combat contre Joe Jeanette que je crois être celui du 20 décembre 1913, pour le titre « mondial » attribué par la fédération française de boxe (!). Langford s’imposera aux points. On voit à quel point Jeanette essaye de contrôler Langford avec son allonge, avant de s’accrocher dès que celui-ci arrive à distance. On le comprend, d’ailleurs, vu que c’est son 10e combat contre lui et qu’il est conscient du danger …
Beaucoup d’anecdotes courent sur Sam Langford. En plus d’être le boxeur que l’on sait, l’homme qui disait « je travaille au corps parce que la tête a des yeux » était visiblement doté d’un certain sens de l’humour. Au début d’un 8e round, il insista par exemple pour toucher le gant de son adversaire avant d’entamer la reprise, comme c’est l’usage en fin de combat. Au type d’en face médusé qui lui dit « Sam, c’est pas le dernier round », Langford répondit « c’est TON dernier round, fiston », ce qui fut le cas. Langford fut aussi capable de prévoir l’endroit précis du ring où il achèverait certains adversaires. Enfin, on peut retenir l’attention délicate du vieux Sam qui fit atterrir l’infortuné Fireman Jim Llynn sur les genoux d’un chroniqueur sportif ayant eu le culot de juger leur précédente rencontre en faveur de Flynn …
Pourquoi Sam Langford est-il l’un des 10 plus grands boxeurs de tous les temps ?
Technique : Sam Langford avait tous les coups de la boxe. Jab et cross directs ou en overhand, crochet, uppercut, à mi-distance, de près, etc. Il savait travailler en bagarreur à mi-distance aussi bien qu’en gratteur, alors qu’il rendait souvent pas mal de centimètres à ses adversaires. Langford comptait beaucoup sur son punch, et commençait ses combats tambour battant en mettant d’emblée beaucoup de poids dans ses frappes, y compris dans son jab. Il avait le grand timing des meilleurs puncheurs de ce sport, et finissait souvent ses combats sur un crochet ou un cross court. Ses coups au corps affaiblissaient terriblement l’opposition. Il était capable d’enchaîner des séries, de près comme de loin. C’était aussi un expert de la feinte, souvent meurtrière quand elle est couplée à un énorme punch. Défensivement, Langford aimait boxer mains baissées, en utilisant son sens de l’esquive et sa maîtrise du roulement de l’épaule avant pour éviter ou accompagner les coups. Dans le clinch, il savait parfaitement bloquer les bras de son vis-à-vis. Tous les observateurs de l’époque louent ses qualités défensives, souvent sous-estimées chez un puncheur aussi dévastateur que l’était Sam Langford.
Physique : Sa taille le pénalisait clairement sur le papier, même s’il en souffrit peu dans les faits. Ses longs bras lui autorisaient la variété qu’il mettait dans ses coups. Offensivement, c’était d’abord un puncheur. Langford frappait extrêmement dur, de l’avis des observateurs et des adversaires, et la force qu’il tirait d’une musculature des bras et du dos dense et apparente lui servait à s’imposer dans les clinchs et à repousser son adversaire là où il le souhaitait. Toujours d’après les observateurs, Langford était très endurant et continuait son pressing jusqu’à la fin des combats (qui pouvaient durer 20 rounds et plus à l’époque). Il a affronté énormément de poids lourds très dangereux jusqu’à 43 ans et n’a été mis KO que 9 fois en 267 combats, une statistique qui laisse deviner un menton très solide et une résistance physique à l’avenant. Dernier point, sa vitesse avait peu d’équivalents chez les lourds. Il lui arriva de s’entraîner avec le champion du monde des coqs Jimmy Walsh, et semblait n’avoir pas grand-chose à lui envier en vitesse de bras.
Intelligence : En plus d’imposer assez facilement un pressing très dur, Langford maîtrisait parfaitement le rythme et l’allure d’un combat, savait ralentir quand il avait besoin de souffler ou de récupérer après avoir été touché, et repartir très brusquement à l’offensive après avoir concédé du terrain. Sam Langford savait parfaitement gérer un déficit d’allonge, ce qui témoigne d’une vraie science de la boxe. Mike Silver résume ainsi : « A son meilleur, il était rarement dominé tactiquement, dominé dans l’activité ou dominé tout court ».
Tronche : Sam Langford a beaucoup combattu et a redemandé tout le monde, y compris les rares à lui poser des problèmes (tel Harry Wills). Il a encaissé des coups d’hommes plus lourds de 40 à 50 livres sans tomber ni broncher. Quand il était mis en difficulté, il était très difficile à finir (rappelons-le : 9 KOs subis en 267 combats, majoritairement en lourds). Une fois l’adversaire touché, Langford finissait très bien le travail, à la manière d’un Joe Louis ou d’un Roberto Duran. Il est difficile d’imaginer un boxeur plus courageux et concentré sur son objectif que Sam Langford.
Palmarès : C’est rapide. Sam Langford n’a jamais pu disputer une seule ceinture mondiale. Il s’est contenté de titres mineurs, comme celui de « champion du monde de couleur » cédé à Harry Wills, ou de « champion du Mexique ». A l’exception de ce même Wills, il est sorti victorieux de très longues séries contre de très grands boxeurs. Un total monumental de 180 victoires dont 127 KOs. Il a perdu plus de 30 fois ? Si Ray Leonard, Roberto Duran, Tommy Hearns et Marvin Hagler s’étaient tous boxés 10 fois entre eux, ils auraient tous 15 défaites de plus. Ca va vite.
Qualité de l’opposition : Il faut sans doute éviter de tomber dans la glorification pure et simple, parce que le manque d’images filmées et le caractère hagiographique des récits de l’époque doivent tempérer l’ensemble, mais les faits sont têtus. Sam Langford a vaincu des grands noms dans toutes les grandes catégories. Il a croisé une palanquée de Hall of famers, dont 11 furent défaits, en commençant par une montée en poids depuis les légers (Joe Gans) aux welters (Barbados Joe Walcott, qui fut heureux d’obtenir le nul), puis aux moyens (Dixie Kid, Stanley Ketchel, Tiger Flowers), mi-lourds (Kid Norfolk, Philadelphia Jack O’Brien) et lourds (Wills, Jeanette, McVey, Flynn, etc.). Toutes les victoires qui suivent, obtenues en lourds, sont jugées « significatives » par un passionné habitué d’un forum de discussions U.S. :
Joe Gans / Larry Temple (x3) (Moyen d’origine, mais valable en lourds. 1 fois sur 3 à son meilleur) / Joe Jeannette (x8) (A son meilleur 7 fois sur 8) / Jim Barry (x7) (A son meilleur les 5 premières fois) / Sandy Ferguson / John Wille (x2) / Tony Ross (x2) / Fireman Jim Flynn (x5) (A son meilleur les 2 premières fois) / Morris Harris (x2) / Al Kubiak (x2) / John Klondike Haines (x2) / Mike Schreck (Plus à son meilleur) / Stanley Ketchel (Moyen) / Battling Jim Johnson (x9) / Bill Lang / Bill Watkins (x3) (2 fois à son meilleur) / George ‘Kid’ Cotton (x2) / Colin Bell / Jeff Clark (x5) (Mi-lourd, les 3 premières fois à son meilleur) / Philadelphia Jack O’Brien (Mi-lourd, plus à son meilleur) / Sam McVea (x6) (Plus à son meilleur la dernière fois) / Porky Dan Flynn (x2) / John Lester Johnson / Tom McMahon / Harry Wills (x2) / Gunboat Smith / Jack Thompson (x4) / Bill Tate (x4) / Bob Devere (x2) (Plus à son meilleur la dernière fois) / Andre Anderson / Kid Norfolk (mi-lourd) / Tiny Jim Herman / Frank Farmer (mi-lourd) / George Godfrey (x2) / Lee Anderson (x2) / Bearcat Wright (x3) / Tut Jackson (x2) / Tiger Flowers (poids moyen, pas encore à son meilleur)
Ces victoires innombrables compensent largement les défaites subies par Langford contre des adversaires de qualité. Au total, c’est peut-être le boxeur de l’histoire qui disputa le plus de combats de très haut niveau. Voici un panorama de ses principales défaites :
Larry Temple (Langford pas encore à son meilleur) / Joe Jeannette (x3) (un des deux hommes a avoir mis KO le meilleur Langford) / Jack Johnson (qui était Lourd, Langford étant Moyen) / Jim Barry / Sam McVea (x2) / Gunboat Smith / Harry Wills (x13) (Langford à son meilleur les 5 premières fois) / Jeff Clark (x2) (Langford plus à son meilleur la 2e fois) / Bill Tate (x4) (Langford à son meilleur la 1ere fois) / Fred Fulton (x2) (Langford plus à son meilleur)
In fine, malgré l’absence de titre mondial à son palmarès, il est presque logique de mettre Sam Langford devant Roberto Duran. Ce que ce dernier a fait entre les légers et les moyens, Langford l’a accompli sur quasiment toutes les catégories de poids : il a dominé TOUTE la boxe de son époque, ne butant que sur les épreuves qu’on lui refusa. On a vu à quel point Sam Langford souffrit longtemps du manque d’adversaires de valeur disposés à l’affronter. Il est souvent considéré comme le boxeur le plus évité de tous les temps. Non seulement certains combats lui furent refusés à cause de sa couleur de peau, mais sa réputation était si terrible que pas mal d’adversaires n’acceptèrent un combat que contre la garantie que Langford ne se donnerait pas à 100%, en plus de l’exigence de gants plus gros que l’habitude de l’époque. Il est plus que probable qu’il se retenait régulièrement, pour pouvoir obtenir de nouveaux combats contre chaque boxeur qu’il n’aurait pas humilié lors d’un premier affrontement.
Sa revanche sur le sort, plus de 80 ans après sa fin de carrière, est de faire partie du top 5 ou 10 des meilleurs spécialistes … et d’être bien souvent classé plus haut que Jack Johnson, le champion qui le fuit pendant tant d’années. Le magazine The Ring inscrivit cet homme d’à peine 1m70 parmi les 10 meilleurs poids lourds et mi-lourds de tous les temps, et surtout le n°2 des puncheurs toutes catégories confondues derrière l’intouchable Joe Louis. ESPN lui décerna le titre surprenant de « meilleur combattant que personne ne connaisse ». Mais l’hommage le plus marquant est probablement celui de Jack Dempsey, champion du monde des lourds de 1919 à 1926 (comme rappelé plus haut, il conquit le titre face au tombeur de Jack Johnson), le « Manassa Mauler » (ou Destructeur de Manassa), un des plus grand intimidateurs qu’ait connu le noble art :
“Foutaises, que je n’avais peur de personne. Il y en a un que je ne voulais pas combattre parce que je savais qu’il m’aplatirait. J’avais peur de Sam Langford » – Jack Dempsey