Who killed Davey Moore ?

Je me rappelle avoir étudié cette chanson en cours d’anglais. Les jeunes y perdront peut-être un peu, quand Justin Bieber aura remplacé Bob Dylan au programme de seconde. Dans tous les cas, qu’un artiste comme le Prix Nobel de littérature 2016 embrasse le thème de la boxe anglaise – il le fit aussi avec Hurricane – montre l’ancrage de celle-ci dans la culture populaire américaine. Et, comme souvent, il pose les bonnes questions.

« Who Killed Davey Moore, (Qui a tué Davey Moore ?)
Why an what’s the reason for? (Pourquoi et pour quelle raison ?)

Not I, says the referee, (Pas moi, dit l’arbitre)
Dont point your finger at me. (Ne me montrez pas du doigt)
I couldve stopped it in the eighth (J’aurais pu l’arrêter au huitième)
An maybe kept him from his fate, (Et peut-être le sauver de son destin)
But the crowd wouldve booed, Im sure, (Mais la foule aurait hué, j’en suis sûr)
At not gettin their moneys worth. (À ne pas en avoir pour son argent)
Its too bad he had to go, (Dommage qu’il ait dû partir)
But there was a pressure on me too, you know. (Mais moi aussi j’avais la pression)
It wasnt me that made him fall. (Ce n’est pas moi qui l’ai fait tomber)
No, you cant blame me at all. (Non, vous ne pouvez rien me reprocher)

Who Killed Davey Moore,
Why an whats the reason for?

Not us, says the angry crowd, (Pas nous, dit la foule furieuse)
Whose screams filled the arena loud. (Dont les cris résonnaient dans la salle)
Its too bad he died that night (Dommage qu’il soit mort cette nuit)
But we just like to see a fight. (Mais on aime juste voir un combat)
We didnt mean for him to meet his death, (On ne voulait pas qu’il trouve la mort)
We just meant to see some sweat, (On voulait juste voir de la sueur)
There aint nothing wrong in that. (Il n’y aucun mal à ça)

Not me, says the gambling man, (Pas moi, dit le parieur)
With his ticket stub still in his hand. (Son bout de ticket toujours en main)
It wasnt me that knocked him down, (Ce n’est pas moi qui l’ai mis au tapis)
My hands never touched him none. (Ma main ne l’a jamais touché)
I didnt commit no ugly sin, (Je n’ai commis aucun péché)
Anyway, I put money on him to win. (De toute façon j’avais parié sur lui)
It wasnt me that made him fall. (Ce n’est pas moi qui l’ai fait tomber)
No, you cant blame me at all. (Non, vous ne pouvez rien me reprocher)

Who Killed Davey Moore,
Why an what’s the reason for?

Not me, says the boxing writer, (Pas moi, dit le journaliste sportif)
Pounding print on his old typewriter, (En tappant sur sa vieille machine)
Sayin’, « Boxing ain’t to blame, (Qui dit « La boxe n’est pas en cause)
There’s just as much danger in a football game. » (Il y a autant de danger dans un match de foot US »)
Sayin’, « Fist fighting is here to stay, (Qui dit « l’escrime de poings est là pour durer)
It’s just the old American way. (C’est juste la culture de l’Amérique)
It wasn’t me that made him fall. (Ce n’est pas moi qui l’ai fait tomber)
No, you can’t blame me at all. » (Non, vous ne pouvez rien me reprocher)

Not me, says the man whose fists (Pas moi, dit l’homme dont les poings)
Laid him low in a cloud of mist (L’ont fait rouler dans la poussière)
Who came here from Cuba’s door (Qui est venu depuis Cuba)
Where boxing ain’t allowed no more (Où l’on a plus le droit de boxer)
« I hit him, yes, it’s true (« Je l’ai frappé, oui, c’est vrai)
But that’s what I am paid to do (Mais c’est pour ça qu’on me paie)
Don’t say ‘murder,’ don’t say ‘kill’ (Ne dites pas ‘meurtre’, ne dites pas ‘tuer’)
It was destiny, it was God’s will » (C’était le destin, c’était la volonté de Dieu »)

Who killed Davey Moore
Why an’ what’s the reason for? »

It wasnt us that made him fall.
No, you cant blame us at all.

Who Killed Davey Moore,
Why an what’s the reason for?

Not me, says his manager, (Pas moi, dit son manager)
Puffing on a big cigar. (En têtant son gros cigare)
Its hard to say, its hard to tell, (C’est dur à savoir, c’est dur à dire)
I always thought that he was well. (J’ai toujours cru qu’il allait bien)
Its too bad for his wife an kids hes dead, (C’est dommage pour sa femme et ses gosses qu’il soit mort)
But if he was sick, he shouldve said. (Mais s’il allait mal, il aurait dû le dire)
It wasnt me that made him fall. (Ce n’est pas moi qui l’ai fait tomber)
No, you cant blame me at all. (Non, vous ne pouvez rien me reprocher)

Who Killed Davey Moore,
Why an whats the reason for?

Le texte raconte l’histoire vraie d’un champion populaire et pas manchot surnommé « The Springfield Rifle », au sommet des poids plumes depuis plusieurs années et au meilleur de ses capacités, qui a de plus en plus de mal à descendre à 126 livres et doit arriver à la pesée complètement déshydraté pour son prochain combat.

C’est qu’il boxe en ce mois de mars 1963 dans la plus grande réunion jamais montée à Los Angeles, 3 championnats du monde au programme, alors il doit vraiment faire le faire, ce poids. Son adversaire est Sugar Ramos, un jeune Cubain pas manchot non plus.

Juste un oeil tout rouge

Le combat commence doucement, et monte peu à peu en régime. Les deux hommes ont leurs moments. Il devient une guerre totale. Au 10eme round, Moore n’est pas au mieux. Le Cubain lui fait mettre un genou à terre mais il se reprend aussitôt, sans break ni compte de l’arbitre. Il remange. Il retombe. Son cou heurte une corde. Il se relève. Il tient jusqu’à la cloche. Puis il abandonne. Et participe à la conférence de presse. Amoché, mais pas tant que ça, juste un oeil tout rouge.

Il tombe dans le coma peu après, et meurt 2 jours plus tard. La polémique qui s’ensuit est d’autant plus énorme que Moore était un champion aimé des foules. On veut interdire la boxe en Californie, voire aux États-Unis. Et puis finalement, non.

Qu’ajouter à ce que dit Dylan, dont le réalisme cru frappe du début à la fin alors que l’arbitre, le public, le parieur, le journaliste, l’adversaire et le manager nient tour à tour leur responsabilité dans la tragédie ? Que la déshydratation d’un boxeur qui a du mal à faire le poids est un facteur de risque aggravant, parce qu’elle fragilise le métabolisme, ce qui s’est vérifié à de nombreuses reprises (handicapé à vie, un Gerald McClellan pourra le confirmer) et a poussé au décalage de la pesée à la veille des combats. Et que Davey Moore n’a franchement pas eu de bol, parce que son autopsie a montré que l’hémorragie interne qui l’a tué fut causée par le choc avec une corde du ring, et pas directement par un coup.

J’ai tué le prochain Davey Moore

Reste que c’est bien la faute de l’arbitre, du public, du parieur, du journaliste, de l’adversaire et du manager tous ensemble si un homme est mort le 23 mars 1963. C’est aussi celle de Moore lui-même, qui s’est mis en danger pour faire le poids et n’a pas voulu être compté lorsqu’il a mis un genou à terre la première fois, ni arrêter après le knockdown.

Ce genre de drame est inévitable à partir du moment où l’on autorise des hommes à gagner leur vie en s’infligeant des chocs répétés à la tête pendant de nombreuses années. Il est impossible de prétendre le contraire, quelles que soient les précautions prises (et il y en a beaucoup). C’est un tribut que nous devons choisir de payer ou non au spectacle total et à la soupape sociale que sont les disciplines sportives populaires et violentes. Mon choix à moi est fait, parce que la boxe anglaise est le plus exigeant, le plus inspirant et le plus beau des sports.

J’ajoute qu’en proportion les morts accidentelles y sont infiniment moins fréquentes qu’en Formule 1. J’ajoute aussi que mon argument est d’une hypocrisie sans bornes, parce que si les morts demeurent extrêmement rares en boxe anglaise, les maladies neurodégénératives précoces le sont beaucoup moins. Tant pis. J’ai tué le prochain Davey Moore. Et le pire, c’est que j’assumerai jusqu’à ce que plus personne n’accepte que le monde soit infoutu de tourner sans tous ceux qui meurent trop mal ou trop tôt.

N.B. : le Davey Moore dont on parle ici boxait dans les années 50-60, et n’a rien à voir avec son homonyme battu par Roberto Duran pour le titre des super welters, puis par Louis Acariès dans les années 80. Ce dernier est aussi mort jeune, tué par sa propre voiture dont il avait mal serré le frein à main. Il y a des noms prédestinés.

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