Fin 2005, les conditions semblent de nouveau réunies pour que Hopkins prenne une retraite méritée et rejoigne Marvin Hagler, Carlos Monzon, Harry Greb et Ray Robinson au panthéon des poids moyens. C’est pourtant mal connaître le bonhomme.
Puisqu’une revanche contre Roy Jones a perdu de son intérêt depuis ses défaites cruelles face à Tarver et Johnson, Hopkins prend 15 livres, passe en mi-lourds, et défie le meilleur de la catégorie, à savoir le gaucher Antonio Tarver. Celui-ci a perdu puis gagné aux points contre Glen Johnson, a donc battu deux fois Roy Jones, et s’il n’a pas la ceinture unifiée des fédérations les plus significatives (je ne détaillerai pas l’embrouille juridique), il est considéré comme la référence de la catégorie par le prestigieux magazine The Ring. On l’a dit, Hopkins a clairement la taille et la carrure pour être compétitif en mi-lourds, mais à 40 ans passés – et après 15 ans à boxer 7 kg plus bas – il est possible de douter de ce qu’il en sera de sa vitesse et de son menton contre un talentueux mi-lourds naturel. Tarver est nettement favori.
Le combat est édifiant : les 3 juges donnent 10 rounds sur 12 à Hopkins, qui se montre précis et rigoureusement intouchable, se payant le luxe d’envoyer Tarver au tapis sur un knock-down aussi peu clair que significatif de sa domination. Une nouvelle leçon de boxe du professeur Hopkins, roi déchu des moyens qui devient le meilleur mi-lourd de la planète à 41 ans.
Le knock-down :
Le 10e round, édifiant.
Hopkins n’est toujours pas saturé de boxe, et cherche désormais à briller contre des grands noms. Le suivant sur la liste est Ronald « Winky » Wright, un autre gaucher extrêmement fort défensivement, au jab précis et qui a connu de belles années en super-welters, envoyant Tito Trinidad à sa première retraite, battant 2 fois le redoutable Shane Mosley aux points, sortant d’un nul contre le tombeur de Hopkins et d’une victoire nette face à Ike « Bazooka » Quartey (un ancien adversaire de De La Hoya et Fernando Vargas ayant boxé une paire de fois en France). Le combat est négocié au poids de 170 livres. Ce qui ne correspond pas à une limite de catégorie officielle : les américains appellent ça un « catchweight », et c’est à un catchweight que Pacquiao a par exemple triomphé de Miguel Cotto. Fait amusant, Hopkins fait monter la température en donnant une petite claque à Wright pendant la pesée.
Visiblement moins à l’aise que Hopkins à un poids si élevé, le technicien Wright est lui aussi battu à l’issue d’un combat serré, mais clairement à l’avantage de Hopkins. Wright était invaincu depuis plus de 7 ans. Hopkins choisit intelligemment de le boxer en reculant, et Wright ne parvient pas à régler son déficit d’allonge face à un adversaire au timing pour une fois supérieur au sien.
Le combat suivant oppose Hopkins à un 3e gaucher d’affilée, le gallois Joe Calzaghe. Celui-ci battra Roy Jones lors de son combat suivant (ce dont nous avons déjà parlé). Calzaghe est moins vieux, et c’est un boxeur qui mise avant tout sur une cadence infernale depuis qu’il s’est régulièrement cassé des os de la main gauche en début de carrière. Invaincu, il a régné faute d’opposition sur les super-moyens pendant presque 10 ans, sans jamais venir se frotter aux références US du calibre de Hopkins (alors moyen) et Jones (alors mi-lourd). Son combat contre Hopkins arrive tard, mais reste digne d’intérêt. On va enfin savoir qui avait raison d’éviter qui. The Executioner, fidèle à son habitude, balance de grandes louches d’huile sur le feu pendant la préparation en répétant à l’envi qu’il ne serait jamais battu par un blanc.
Le problème d’un tel combat sur le papier, c’est que si Hopkins ne met pas Calzaghe KO (ce qui n’est jamais arrivé, donc), ses chances de gagner aux points contre une mitrailleuse de ce style sont très réduites. A 42 ans, Hopkins ne peut pas rivaliser en termes de rythme, et le problème se sentira nettement pendant le combat. Hopkins fait tout pour gagner avec ses moyens : il casse l’activité de Calzaghe, de façon licite (esquives, gardes, accrochages) ou moins licite (un très fourbe usage de ses coudes et de sa tête, des plaintes pour coups bas fort peu justifiées) et mise tout sur sa droite. Ce qui ne marche qu’un temps : Hopkins score un knock-down en début de combat, on peut dire qu’il a mis les coups les plus nets, mais il s’incline in fine logiquement aux points, tout en faisant bien meilleure figure que Jones quelques mois plus tard.
Retraite, donc ? Bah non. S’il est devenu difficile à Hopkins de maîtriser les grands qui vont vite, il se rabat sur le nouveau roi des moyens, brutal double vainqueur de Jermain Taylor, l’homme qui lui prit ses ceintures en 2005. C’est l’invaincu américain Kelly Pavlik, un pur bagarreur doté d’un sacré punch, avec lequel un combat est programmé au catchweight de 170 livres. 43 ans contre 26, la prise de risques est de nouveau incontestable, mais l’expérience va s’avérer une fois de plus incroyablement décisive. Pendant les 12 rounds, Hopkins montre un meilleur timing, se montre plus actif que face à Calzaghe et fait preuve d’une vitesse étonnante, il contre Pavlik en crochet et uppercut à chaque fois que celui-ci avance, l’éreinte en travaillant au corps et à la face, montre à quel point Pavlik ne sait pas bouger latéralement … Un massacre pugilistique, du très grand art. Pavlik sortira du combat tuméfié et surclassé aux points, jugeant sagement que quelques années de plus en moyens ne lui feraient pas de mal.
Dans le même temps, Jones a perdu largement contre Calzaghe. Sa cote pugilistique est au plus bas, et c’est pourtant là que se signe enfin la revanche entre ces deux monuments de la boxe des années 90-2000. Il est alors convenu que les deux hommes feront un combat chacun de leur côté en 2009 et s’affronteront début 2010, à respectivement 45 et 41 ans.
Les deux combats préparatoires ont bien lieu fin 2009, le même soir. De son côté, Hopkins surclasse un second rôle mexicain, dans un combat où les observateurs n’ont pas manqué de remarquer qu’il avait tout de même encaissé pas mal de coups qui ne l’auraient pas touché 2 à 3 ans auparavant.
Du sien, Jones poursuit sa descente aux enfers face au rugueux australien Danny Green, un boxeur de qualité, gros puncheur et dur au mal mais qui n’aurait rien pu rêver toucher d’autre que l’ombre de Jones pendant ses meilleures années. Le résultat se passe de commentaires. Simplement, il fait mal. Sale jour pour la boxe, un de plus.
Putain de sport. Une revanche qui aurait pu être le combat d’une décennie 6 à 7 ans plus tôt sera finalement un freak show douteux, et qui aurait pu laisser Jones trépané pour le compte. J’espérais de tout mon coeur que Jones – Hopkins II resterait à jamais l’un des plus grands combats de ce sport à ne jamais se faire. Il a eu lieu. Le résultat appelle peu d’autres commentaires que de dire qu’une certaine logique a été respectée, et ce malgré la différence d’âge. Et que le Bernard Hopkins au top de la manipulation arbitrale l’a donc emporté sur un Roy Jones de moins en moins reconnaissable. Sans qu’aucun des deux ne gagne grand-chose d’autre de cette masquarade qu’un joli chèque de plus.
L’été indien de Bernard Hopkins s’est poursuivi avec un nouveau titre en mi-lourds arraché au valable mais limité Jean Pascal, avant qu’on ne le voie faire enfin son âge face au valable mais limité Chad Dawson. Le bougre a trouvé le moyen de battre son propre record d’ancienneté en reprenant une ceinture mondiale au non moins limité Tavoris Cloud, à 48 ans. Le temps aura finalement eu raison de lui, avec deux dures défaites contre Sergey Kovalev puis le Joe Smith Jr et une retraite en 2016. Au moins n’aura-t-il pas connu les errements de Roy Jones, qui enchaîna de nombreux adversaires de troisième zone jusqu’à début 2018.
C’est tout pour la saga Jones – Hopkins, les enfants.