Punchlines du 30 septembre 2024

Le site (Antoine) /

  • Les Punchlines de 130livres.com sortent un lundi ? Réjouissez-vous qu’elles égayent ce début de semaine désespérément automnal.
« Trop chouette ! Les Punchlines un lundi ! »
  • Depuis la dernière édition des Punchlines, on notera la publication d’un article consacré à La Bonne nouvelle, troisième roman de Jean-Baptiste de Froment publié cette rentrée. On en reparle d’ailleurs tout de suite en rubrique « Littérature ».

Il est temps de rallumer la littérature (Antoine) /

  • Pour Jean-Baptiste de Froment, déjà auteur d’État de nature et Badroulboudour, la présentation d’un nouveau roman à la librairie Delamain, en face du Palais Royal, relève désormais de la tradition. Aujourd’hui édité chez Anne Carrière, il s’est prêté au jeu des questions-réponses en plus-si-jeune auteur rompu à l’exercice avec un libraire tatoué, ravi que je lui prenne Les Tortues de Loys Masson dix minutes plus tôt, donc forcément à la hauteur. On a d’abord parlé résurrection et spiritualité, deux thématiques au cœur de ce dernier opus. Pourquoi un tel choix ? « Je me suis dit en relisant l’Évangile : ça commence comme un roman policier. » Un tombeau vide, des rumeurs, une enquête, bref de quoi piquer la curiosité du lecteur. Il s’est donc agi de prendre un point de départ comparable en cherchant le mélange entre polar et surnaturel. Le mythe chrétien est évidemment très prégnant en Occident. Jean-Baptiste a choisi le point de vue d’une femme en deuil, la châtelaine Hermine de Larmencour, confrontée à des événements déroutants et menant ses propres investigations alors que les gendarmes se montrent vite dépassés. À mesure qu’elle lève le voile sur ce qu’elle ignorait du passé récent de son époux qu’il lui dissimulait, la très sceptique Hermine suit un cheminement personnel. Benjamin Spark, qui vient depuis le Vatican l’accompagner dans ses recherches, est une figure de détective indispensable au roman de genre, mi-Columbo mi-prêtre. Il est lui aussi désireux de mettre au jour une supercherie. Empathique, il reste difficile à cerner…
  • « Pourquoi l’action est-elle située dans lAllier ? » s’interroge le libraire, ainsi que les présents qui découvrent l’auteur, dont le premier roman se déroulait dans la Douvre, pendant romanesque du département voisin portant le numéro 23 (comme Michael Jordan en son temps). « Je m’y sens bien », répond-t-il – J-B de Froment, pas Michael Jordan -, « c’est important pour l’écriture ! Je passe mes vacances dans la région depuis mon enfance. » Si le propos de La Bonne nouvelle est volontiers humoristique et décalé, le roman soulève des questions profondes autour d’une mort. Il était ainsi utile d’ancrer l’action dans un lieu familier : la démarche n’ajoute pas au sens du livre, mais l’auteur s’est senti plus crédible en l’évoquant. Le caveau ouvert dans lequel reposait Paul de Larmencour décrit au tout début ressemble ainsi beaucoup au caveau familial de l’auteur. La situation du roman dans le temps est elle aussi évoquée : pourquoi 2025 ? Pour des questions de rythme : « On est en caméra embarquée, dans un flux de pensées à la première personne, pas dans une relation rétrospective. Et puis je ne veux pas que le temps de l’action soit révolu. Ça peut encore arriver ! » Il y aurait certes de quoi surprendre. J-B de Froment est alors invité à évoquer un personnage mineur mais important, la journaliste de l’Obs chargée de couvrir l’affaire bourbonnaise, et dont les articles sont reproduits tels quels dans le roman. « J’écris à la première personne, au cœur de l’action. C’est une tierce personne qui doit dresser le tableau d’ensemble. Il s’agit d’une ficelle narrative bien pratique mais c’est aussi un point de vue de plus – il importait d’en décliner plusieurs pour éviter le roman à thèse. Et puis son point de vue a une consistance, il est respectable, je me suis véritablement mis à sa place. »
J-B. de Froment répandant la Bonne Nouvelle (circa 2024)
  • La Bonne nouvelle ne défend certes pas une thèse en particulier, mais enfin on y parle parle beaucoup de bien et de mal, des notions qui tiraillent les personnages. « Le thème m’intéresse. Je me place dans le schéma classique du roman noir en inversant sa perspective, comme le roman de Balzac cité tard dans le texte. L’écueil était d’éviter d’emmerder le monde en parlant du bien, donc j’ai inversé les codes habituels, ajouté des rebondissements, etc. » Il est temps de prendre les questions de la salle. Un participant évoque le côté très 70s des personnages et modes de vie décrits dans le roman. L’auteur assume : si La Bonne nouvelle est moins ironique que ses deux livres précédents, le décalage des Larmencour et de leurs compatriotes creusois avec 2025 apporte « un peu de foutage de gueule, de décalage avec les centres d’intérêt contemporains. » Je lève la main pour suppléer les timides et demander enfin pourquoi Hermine est une transfuge de classe selon sa définition d’aujourd’hui. Aïe, j’y récolte un sourcil froncé pour – léger – divulgâchis, mais aussi une réponse élaborée : « Le questionnement sur la spiritualité est aussi social. Hermine est travaillée par ces enjeux. La résolution de La Bonne nouvelle n’est d’ailleurs pas un arrachement aux carcans sociaux mais autre chose, une posture qui échappe à la dualité habituelle progressisme vs conservatisme. » Lisez-donc le roman et ce sera lumineux.

Le cinéma est mort, la preuve : il bouge encore (Guillaume) /

  • Parlons cinéma parlons… de Francis Ford Coppola. Parce que son Megalopolis vient enfin de sortir en salles, et qu’il est temps que 130livres.com apporte son inestimable contribution au débat qui empêche les cinéphiles de dormir depuis la revue de presse qui a suivi la projection du film sur la Croisette en mai dernier : C’est mauvais à ce point ?
  • Alors non, mais c’est quand même pas ouf.
  • Petit rappel des faits, pour celles et ceux qui débarqueraient : il y a deux ans environ, Francis Ford nous fait une Coppola, et annonce avoir vendu pour 130 millions de vignobles afin de financer en toute autonomie Megalopolis, l’arlésienne qu’il poursuit depuis 30 ans. À 83 ans, le cinéaste déjà plus que familier du combat de trop remontait sur le ring pour offrir LE film de ses rêves à un monde qui ne croit plus aux utopies. Coppola est un grand cinéaste oui mais surtout un visionnaire, au sens propre : il poursuit une vision, et peu importe ce qu’il doit mettre en jeu pour y arriver. Sa santé, son argent, sa carrière… Ou le cinéma lui-même, véhicule parfois sacrifié sur l’autel du quoiqu’il en coûte investi par le réalisateur. C’est le problème de nature singulière de la quête : l’idée demeure desservie par l’exécution, même dans ses magnum opus. La preuve, Apocalypse Now : 45 ans et trois montages plus tard, le film continue de courir derrière un absolu hors de portée de la caméra. Comme si Sisyphe grimpait aussi haut qu’il le pouvait pour réaliser le plus grand film inachevé du monde, avant de redescendre au bas du col.
  • Dès lors et avant même de rentrer dans le vif du sujet, on comprend pourquoi Megalopolis. Pourquoi à 85 ans, Coppola ampute l’héritage de ses petits-enfants d’un billet dont il ne reverra jamais la couleur (comme prévu, les premiers retours du box-office sont catastrophiques), et courir le risque d’une lapidation en place publique sur la Croisette.
  • Parce que cette putain de cité perdue existe. Il l’a vu dans ses rêves, et il mourra en essayant de les partager.
« J’ai fait un rêve… Et c’était flou. »
  • C’est exactement comme ça que l’on peut définir Megalopolis : le rêve d’un étudiant en cinéma octogénaire, qui paye son long métrage de fin d’études au prix fort. N’attendez pas la démesure d’un artiste en pleine possession de ses moyens : le Coppola chef d’orchestre capable de bâtir une symphonie en pleine jungle équatoriale n’est plus. Aujourd’hui, on parle d’un laborantin qui fait de la musique avec ses tubes à essai. Megalopolis a l’allure d’un condensé de cinéma pour faire du cinéma ; entre surimpressions qui forcent la poésie, CGI rococos pour tapisser le New-York d’après-demain avec la Rome Antique d’il y a fort longtemps, hyper théâtralité et dialogues chargés de culture classique parce que « tragédie grecque tu comprends ».
  • Coppola ne réalise pas un film-monde mais son aquarelle. Il y a bien quelques scènes de foule pour rappeler à notre bon souvenir que l’ouverture du Parrain n’est pas un souvenir si lointain. Mais plus le film avance, plus Coppola semble aspirer à déréaliser son gigantisme dans le théâtre de marionnettes d’un spectacle forain en deux dimensions. Comme si son sujet était un prétexte à l’expérience, que sa Megalopolis ne l’intéressait pas tant que ça.
  • De fait, ce ne sont pas les motifs qui manquent pour tirer à vue sur cette ambulance d’art et d’essai à 130 millions de dollars, et bien d’autres s’en sont déjà chargés. Mais le talon d’Achille de Megalopolis, c’est Megalopolis elle-même au fond. Coppola ne montre rien ou si peu de la Cité parfaite bâtie contre vents et marées par le personnage d’Adam Driver. Le cinéaste fait le tour de son utopie au cours de discussions de salons plus ou moins inspirées qui n’accouchent jamais du résultat de leur (d)ébats à l’écran. On tchatche beaucoup de la ville, de son idéal philosophique et humaniste, mais on ne voit jamais (ou rarement) de quoi Megalopolis est fait. Coppola réalisait des films sur des gens qui faisaient (ou essayaient) de faire ce qu’ils disaient ; il réalise maintenant des films sur des gens qui parlent de ce qu’ils font hors champ, nous tenant ainsi soigneusement à l’écart du processus de création sur lequel il extrapole verbalement. Un comble, quand on souhaite offrir au public un cadeau comme le personnage de Driver souhaite offrir SA ville aux habitants de New York. Au final, Megalopolis est un film qui demande de lui signer un chèque en blanc, le même que Coppola s’est fait à lui-même. À l’ordre d’une utopie.

Ce qui reste de la boxe anglaise (Antoine) /

  • Le souhait de mon grand filleul d’aller voir de la boxe avec son parrain, sur lequel j’ai renchéri en combinant la promesse avec celle de découvrir Londres pour ses 20 ans, m’aura donc valu de fumer ma tirelire pour nous offrir des places à la Riyhad Session londonienne de Son Excellence Turki Alalshikh sise au stade de Wembley le 21 septembre dernier. Nous étions 96000 sur le papier, record battu pour un événement sportif, mais sensiblement moins à nous présenter à la station Wembley Park assez tôt pour assister au début de la sous-carte 100% britannique, préambule au choc anglo-anglais pour le titre IBF des poids lourds opposant Daniel Dubois à Anthony Joshua. Arpenter l’allée majestueuse menant au stade, bordée de bannières Under Armor à l’effigie d’AJ, rappelait combien le champion olympique de 2012 écrabouillait les débats en termes économiques et de notoriété. « Say less » disaient les affiches, un slogan pas complètement inopportun quand bien même il eût pu s’adresser aux sirènes du marketing. Mais n’anticipons pas. Les tribunes encaissées aux sièges écarlates étaient donc très clairsemées pour le duel de légers entre Mark Chamberlain et Josh Padley, ce dernier choisi avec soin, bien qu’invaincu, pour entretenir la hype autour du punch du premier. Las, si Chamberlain tape, le bougre désole par son absence totale de créativité et d’ajustements, se reposant exclusivement sur un 1-2 plus prévisible qu’un avis d’imposition. Padley pigea vite le truc, tournant comme il faut et choisissant bien ses moments pour approcher, distribuer et s’accrocher, se payant même le luxe d’un knockdown (rappelons ses 4 succès par KO sur 14 jusque-là) au round 8 sur un uppercut du droit doublé suivi un crochet gauche. Le succès mérité de Padley par décision devrait reléguer Chamberlain à des scènes autrement moins prestigieuses.
Fight of the Night : Buatsi vs Hutchinson
  • Alors qu’un type devant nous acceptait force selfies avec ses voisins sans qu’on eût une traître idée de qui il s’agissait, le second duel opposait Josh Kelly à Ishmael Davis, ce dernier remplaçant Lian Smith au pied levé. Il y a plus de boxe dans l’auriculaire gauche du droitier Kelly que dans le robuste Davis tout entier – enfin robuste du torse, juché sur des jambes d’échassier -, mais trois ans plus tard « Pretty Boy » restait échaudé par le vilain KO subi des mains de David Avanesyan alors qu’il s’obstinait à tourner garde basse, et surtout il reste un welter naturel peu susceptible de remporter une bagarre de saloon à 160 livres. Kelly s’employa donc à remporter round après round sans trop payer de sa personne, tournant habilement et anticipant la droite plongeante sur laquelle misait Davis. Bien qu’enfin secoué dans les dernières reprises, il remporta haut la main un combat peu emballant. Le temps d’attraper de nouvelles pintes de Bud à 7 livres 95, la dernière chance de retour au premier plan de Josh Warrington contre Anthony Cacace, tombeur surprise de Joe Cordina pour le titre IBF des 130 livres en mai dernier, démarrait sans que l’affluence soit beaucoup plus fournie. Le gaucher Cacace a le regard d’assassin et la silhouette efflanquée du chien de la casse titré sur le tard qui son défendra son os jusqu’au coma dépassé. Face à lui, Warrington réalisa une performance digne, mais la scie circulaire de Leeds se ressent des KOs punitifs subis des mains de Mauricio Lara et Leigh Wood ; il ne s’approche plus guère qu’avec circonspection pour délivrer les abrasives séries au corps sur lesquelles il construisit ses succès d’antan. Si Cacace peina à le cadrer à mi-distance avec régularité, il remporta logiquement une décision large et unanime. Alors que Warrigton déposait ses gants au centre du ring en signe de retraite méritée, on ne pouvait guère que regretter que Wembley sonne toujours aussi creux. La vérité du soir se rappelait ainsi crûment : entre les publics de passionnés entassés dans les petites salles britanniques qui sentent la friture et l’oignon et celui de Wembley un jour de superfight, il y a un monde, ou plutôt un fameux multiplicateur en termes de pouvoir d’achat. Dans ce dernier cas, l’événement reste social avant tout. Mais la nuit tombait, des petites familles posh aux fistons bien peignés s’installaient peu à peu autour de nous, les premiers signes d’ébriété devenaient perceptibles chez certains – mention à ma voisine de devant en jupe à sequins et T shirt Joshua -, et surtout la réunion allait s’emballer pour bon.
L’entrée de Dubois, tout en sobriété

Vainqueur convainquant en février dernier d’un excitant championnat britannique des mi-lourds face à Dan Azeez à la Wembley Arena voisine, Joshua Buatsi devait relever un défi pas simple sur le papier en vue de confirmer sa stature mondiale en la personne de l’Écossais Willy Hutchinson. Gaucher et filou comme pas deux, ce dernier n’a pas son pareil pour trouver toute sorte d’angles ouverts et travailler en volume, autant dire chaparder des rounds par poignées, comme Craig Richards en avait fait l’expérience en juin. Mais en plus d’être un athlète impressionnant à 175 livres, Buatsi a fait marcher ce qu’il a entre les oreilles lors de sa préparation, et conclu à raison qu’adopter la posture de sniper qu’on lui connaît avait toutes les chances de laisser Hutchinson lui faire consciencieusement les poches. Il s’est donc appliqué à mettre la pression, capitalisant sur les mains souvent basses du « Hutch Train » et enchaînant longuement au corps et à la face. Après un bon départ de l’Écossais, l’Anglais s’imposa peu à peu en patron, obtenant un premier knockdown au 6e round et installant un sérieux doute sur ses chances de voir le 12 round. Il faut rendre cette justice à Hutchinson qu’il tint le choc malgré tout, offrant même une réplique façon Braveheart à Buatsi lors d’une 9e reprise d’anthologie où il finit hélas par concéder un second voyage au tapis – je me sentis alors un peu seul à m’époumoner pour remercier les protagonistes du spectacle offert. Nettement mené aux points par un homme supérieur physiquement en plus d’avoir fait preuve d’un QI boxe élevé, Hutchinson remporta malgré tout les deux derniers rounds au courage. Comme en témoigneraient les images de sa discussion avec Turki plus tard dans la soirée, son état d’esprit irréprochable devrait valoir au vaincu un prochain retour en Riyadh session. Quant à Buatsi, il est désormais légitime pour un tango avec les mi-lourds les plus craints de la planète. Après ce fight of the night, l’opposition suivante eut de franches allures de documentaire animalier : on livrait une méritante mais malheureuse fourmi ouvrière aux mandibules d’une authentique mante religieuse. Je parle bien sûr du 18e KO obtenu en carrière par le poids moyen Hamzah Sheeraz. Le champion EBU Tyler Denny, en plus de devoir trottiner un petit kilomètre pour se mettre à portée, n’avait ni le punch ni l’explosivité requis pour contrarier l’interminable puncheur de l’Essex, auteur d’un knockdown d’entrée et finissant le travail dès la 2e reprise. Pas sûr que le talentueux Tricolore Bruno Surace ait grand intérêt à défier le mi-lourd naturel Sheeraz, dont l’avenir est plutôt au niveau mondial.

Sacrée collision de semi-remorques, vu d’ici

Il fut alors question de spectacle, l’argentier saoudien ayant démontré lors de la Riyadh session californienne de juillet, concert d’Eminem à l’appui, son tropisme vers l’entertainement au sens global du terme. La prestation de Liam Gallagher, annoncée avant la reformation d’Oasis, pouvait difficilement mieux tomber qu’en pareil contexte. Coup de bol : mon filleul aime la musique vintage, c’est à dire celle que j’écoutais – ou subissais – à son âge d’aujourd’hui, et son intérêt pour le répertoire du rockeur mancunien compensa la (très) longue attente du combat vedette de la soirée. De quoi permettre à nos voisins d’achever de s’imbiber dans la joie, et aux organisateurs de forcer la dose de Sweet Caroline dans un stade enfin sonore à la hauteur de nos attentes. Reconnaissons que l’Anglais ivre, fût-il bourgeois, chante fort comme il faut. Mandaté pour annoncer le mini-concert et le main event, Michael Buffer apporta sa présence physique toujours plus spectrale mais une voix à la hauteur de sa légende. Il était temps de faire entrer les gladiateurs, en commençant par le champion Dubois – au mépris de son statut de champion, certes, mais il n’aurait vraisemblablement pas rempli 96000 sièges sur son nom à lui. Et puis le moins que l’on puisse dire et qu’il eut droit à une ringwalk d’anthologie, certainement pas moins spectaculaire que celle de son rival, à l’éclat rehaussé par la dominante rouge du son et lumière et de la pyrotechnie en rappel de son coin. L’arrivée sur fond bleu d’un Joshua au visage étrangement fixe parut presque froide en comparaison. L’ex triple champion du monde ne parut guère se réchauffer lors des hymnes, saoudien d’abord – une incongruité protocolaire de plus, sifflée par quantité de spectateurs, mais le pognon dirige la boxe plus sûrement encore que le monde qui l’entoure -, puis britannique, pour un moment au-delà du culte.

God save Dubois.
  • Le combat lui-même se passe d’une exégèse en trois volumes : entre deux puncheurs de classe mondiale dans la catégorie reine, le premier à toucher sévèrement a gagné. Qu’il se soit agi de Dubois n’est pas un hasard, lui qui sembla d’entrée plus incisif derrière un jab tranchant comme jamais. Face à lui, Joshua sembla dérouté par une agressivité pourtant prévisible – le débours d’allonge mettait « Dynamite » Dubois dans l’obligation d’avancer -, et commit l’erreur parfaitement inexcusable de reculer presque en ligne droite les mains basses alors qu’on le sait capable de tourner et donner son jab. Au terme de la reprise initiale, il encaissa ainsi une droite plongeante en plein sur le bouton « off », en l’occurrence la pointe du menton. En majorité pour Joshua, le public hurlait son dépit et prodiguait des conseils dispensables – mon préféré : « Knock him down ! »- alors qu’AJ passait un deuxième round à se faire secouer telle une poupée de chiffon accusant ses 252 livres, et visita de nouveau le tapis aux deux reprises suivantes. Notons à cet égard une manière de confusion chez un arbitre peu qualifié pour un événement pareil, mimant l’arrêt du combat avant de compter Joshua, confondant un knockdown avec une glissade et vice-versa… heureusement que ladite confusion n’eut guère d’incidence sur l’issue des débats. Sensiblement sonné très tôt dans le combat sur un uppercut droit, Dubois s’était en outre éreinté quatre rounds durant à attendrir un adversaire en quasi détresse vitale, et donnait déjà des signes de fatigue. Face à l’agressivité retrouvée d’AJ au 5e round, un aberrant retournement de situation n’était pas à exclure. On eut alors l’illustration des limites du cerveau humain après l’équivalent d’une bonne vingtaine de coups de marteau : il perd alors en lucidité. Deux cross du droit réussis positionnèrent Dubois au bout du fusil, piégé dans un coin du ring à attendre le coup de grâce. Dans l’esprit embrumé de Joshua, il devait prendre la forme d’un uppercut droit envoyé sans préparation la main gauche baissée. Le plus court chemin d’un point A à un point B demeurant la ligne droite, le cross de Dubois toucha le premier, assez brutalement pour endormir un rhinocéros adulte et climatiser Wembley.
Comme un générique de fin…
  • Que retenir d’un succès aussi inattendu que tonitruant ? D’une, que Dubois a appris de ses défaites précoces et travaillé comme il faut. À 27 ans, « Dynamite » est plus fort que jamais, il reste sur une épatante série Miller-Hrgovic-Joshua et la perspective de l’affronter ne fera sourire personne – ce qui pourrait d’ailleurs l’empêcher de toucher le superbanco face au vainqueur d’Usyk-Fury II. De deux, que Joshua est toujours capable d’erreurs de débutant lorsqu’il tente de clore les débats… mais aussi en début de combat, ce qui est presque plus inquiétant. Reste qu’il ne sera pas passé loin d’un comeback de légende après avoir semblé plus rôti que le poulet du dimanche en à peine 3 minutes chrono. De quoi nourrir encore quelque espoir de retour, quand bien même sa fortune est faite et son capital santé mérite une égale considération. La sortie de Wembley dans une ambiance un rien morne, le long de la même allée bordée des bannières a son effigie, avait de franches allures de générique de fin. De trois, que l’année 2024 d’Eddie Hearn face à Frank Warren a des allures de soirée en donjon BDSM. De quatre, que mon filleul s’est tricoté des souvenirs pour la vie, et ça valait bien le prix du billet.

Le MMA va bien, merci pour lui (Guillaume) /

  • Parlons MMA, parlons de l’UFC Paris, qui s’est déroulé ce samedi 28 septembre 2024 à l’Accor Arena pour la troisième année d’édition consécutive. Une édition sans Pay-Per-View – la faute sans doute à l’absence du plus si bankable Cyril Gane de la carte- mais avec une arène blindée de places parfois achetées au montant du panier de courses mensuel d’un Smicard pour remplir le frigo. La France est peut-être une terre de MMA en devenir, mais déjà un marché solidement implanté pour les organisations mondiales désireuses de capitaliser sur le budget loisir des CSP+ qui connaissent moins la crise que les autres. Mais on n’ira pas s’en plaindre : la soirée fut belle et tragique à la fois, comme ces événements sportifs qui marqueront ceux et celles qui l’ont vécu en direct, en présentiel ou non. Petit tour d’horizon pas très exhaustif.
  • Pour son deuxième tour de piste en terre franco-française, Morgan Charrière renoue avec la victoire face à un Gabriel Miranda qui a remplacé le contender initialement prévu au pied-levé. Jamais inquiété par les entrées anarchiques du brésilien en mode « Rien à perdre/ Tout pour le tout », Charrière est restée composed, refusant la bagarre pour maitriser les phases de grappling et faire parler son anglaise avec précision lors des échanges debout. Esquive, puissance et coup d’œil : il suffisait d’une erreur pour mettre fin aux débats, et celle-ci est survenue à l’entame du second round. Le brésilien offre son dos lors d’une sortie de corps-à-corps, et le « Dernier Pirate » accepte le cadeau d’un crochet bras avant plein menton suivi de quelques frappes au sol avant l’intervention de l’arbitre. De bon augure pour la suite, et une éventuelle entrée dans le top 15 featheweight.
  • Dans la même catégorie, William Gomis affrontait le brésilien Joanderson Brido dans une confrontation des plus âpres. Face à un pressure fighter qui n’a quasiment jamais baissé le volume sur les trois rounds, Gomis a opposé une stratégie de containment : jouer de son allonge, résister aux amenées au sol ultra-agressive de son adversaire, et entrer dans la mi-distance sans s’y attarder. L’exécution s’est heurtée à la détermination du brésilien, bien décidé à ne jamais concéder un pouce de terrain au français, qui a le mérite d’avoir pris la vague sans se noyer. La victoire aurait pu aller dans les deux sens, elle est revenue à celui qui jouait à domicile : rien d’illégitime là-dedans.
On prend les paris : and newwww….
  • Mais le clou de la soirée, c’était sans doute Nassourdine Imavov qui est en train de confirmer tous les espoirs que l’on avait raison de placer en lui depuis ses débuts. Dans et en dehors de la cage, le « Sniper » semble évoluer dans les meilleures dispositions de corps et d’esprit auxquelles un prétendant légitime à la ceinture actuellement détenue par Dricus du Plessis puisse rêver. Une sensation entérinée par la minute de récupération qui succède à un premier round en forme de scénario catastrophe. Car Imavov commence par subir le gameplan de l’Américain Brendan Allen, grappler chevronné bien décidé à garder la confrontation au sol. Ce qu’il fait durant un premier round à sens unique : Nassour s’en sort sans dommages mais le cardio entamé par les efforts fournis pour le lutteur de resserrer son étau. Ça commence à sentir le brulé, mais son coach Nicolas Ott sort la lance à incendie sans céder à la panique : les bons mots sur le bon ton, lucidité et sérénité pour prodiguer les ajustements techniques que le combattant met en place dès l’entame du second round. Et là, c’est la régalade.
  • Debout un peu, où le menton en téflon renforcé d’Allen résiste à l’anglaise de qualité supérieure de son adversaire, mais au sol surtout. Imavov sprawle à 180° comme un danseur du Bolchoï et va au grappling pour surclasser le grappler comme s’il avait fait ça toute sa vie. Le Français n’a pas obtenu le KO, il a démontré mieux : une capacité à dominer l’imprévu, à se transcender dans la douleur, à « prendre la forme de l’eau » dans la tempête  contre un opposant increvable et vaillant jusqu’au bout. Il reste encore quelques marches à monter avant que Dana White ne lui passe la ceinture autour de la taille, mais le Sniper a d’ores et déjà les dimensions du précieux sésame. Plus que jamais, on met notre billet sur lui.
  • Et maintenant, la page sombre d’une histoire qui était déjà écrite vers les sommets de la catégorie il y a encore un an. On a pas forcément envie d’en rajouter sur ce qui a été dit et surtout montré du main event opposant Benoit Saint-Denis et Renato Moicano. On se gardera également bien de frapper un homme à terre : les images du Bayonnais défiguré à l’issue du combat parlent d’elles-mêmes, et le monde compte suffisamment de youtubers empressés de dessiner le cadavre à la craie blanche. Disons simplement que le combat de samedi soir déclassifie le KO pris contre Dustin Poirier en mars dernier et le narratif mis en place pour le justifier et complaisamment repris par le chauvinisme médiatique comme d’habitude imperméable aux red flags : non, le staphylocoque n’expliquait pas tout.
Climatisation automnale (Paris, 2024)
  • Ici, il n’expliquera pas l’obstination de Saint-Denis à ne pas temporiser le combat pris en main par Moicano dès le premier takedown. Il n’expliquera pas son menton à la fenêtre de la tête aux pieds debout ou au sol quand il ne roule pas unilatéralement sur son adversaire. Il n’expliquera pas non plus les conseils pour le moins lunaire de son coin pendant l’inter-round. « Énerve-toi Benoit, c’est ton moment !!! » : « God of war » ou pas, ça ne parait pas une façon de parler à un homme qui semble avoir piqué une tête dans un nid de frelons asiatiques. Il n’expliquera pas non plus cette vision terrible d’un BSD perdu dans la brume oculaire et tactique dans le second round, certes plus vaillant dans les échanges debout, mais maltraité par le jab d’adversaire qui n’avait plus qu’une épaule après le premier (!!) pour terminer le combat. Il n’expliquera pas non plus sa séparation avec son ancien coach Daniel Woirin, l’un des rares à avoir essayer de modérer l’enthousiasme délirant qui donnait BSD ultra-favori.
  • L’Hexagone ne sait décidément pas apprendre des leçons reçues, et le supporting aveugle et sans modération n’est pas forcément service rendu à l’athlète tributaire des attentes surproportionnés des « fans ». En l’occurrence, le piédestal sur lequel était juché BSD était haut, la chute n’en est que plus spectaculaire d’un point de vue pugilistique et difficile à regarder humainement parlant. Car ici il ne s’agit pas d’un top 5 deux fois contender à la ceinture, mais d’un solide gatekeeper qui a corrigé les aspirations de Saint-Denis à une baisse qu’il est difficile de mesurer actuellement. Autant que d’écouter son speech complètement barré après le combat, entre « Fuck Macron » et autopromotion « very very far right wing ». C’était décidément une soirée que l’on n’oubliera pas et pour le MMA français une belle page tachée du sang de l’un de ses plus valeureux fers de lance.

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