Carnets olympiques

En ces temps de blues post-olympique, la présente compilation des comptes-rendus d’événements auxquels j’eus la chance de pouvoir me rendre se veut avant tout thérapeutique et vise à me soigner, moi. Les papiers sont présentés tels que publiés sur les réseaux sociaux au lendemain des épreuves concernées, avec leur lot de pronostics et observations plus ou moins foireux. C’est le jeu, ou plutôt, c’étaient les Jeux.

Jeudi 25 juillet

Il y a vraiment beaucoup d’attente à l’entrée, sans doute parce que les fouilles sont minutieuses. On est mercredi après-midi, mais c’est plein – de Français, surtout, à au moins 80%. L’Histoire retiendra qu’on entame sur Australie vs Samoa. Derrière nous prend place une vociférante famille d’Argentins. Un type en maillot d’Oyonnax les nargue d’un doigt rageur – souvent celui du milieu – en contrebas. Le stade siffle leur équipe, ce qui n’a pas l’air de beaucoup déranger les intéressés. La France arrache un nul poussif contre les Américains. Si ça se trouve, ils sont bons, les Américains. Je prends une assez bonne photo d’un essai français finalement refusé. Les animations restent inférieures à celles de Guazzini en fin de siècle dernier. Dans les couloirs, les volontaires en uniforme errent les bras ballants. La file d’attente pour un Coca tiède est presque aussi longue qu’à l’entrée. La France peine à vaincre un petit Uruguay en récoltant le seul carton jaune de la journée. Dans la foulée, les Fidji vaporisent les Américains en s’amusant comme à chat-bite. Si ça se trouve, on n’est pas vraiment bons. Pourtant le speaker est chauvin comme celui des vachettes pour l’équipe qui reçoit. Les Boks sont aussi méchants à 7 qu’à XV quand ils jouent les Blacks. Ils paument quand même. On est contents pour les Japonais, pas fanny après 40 points et autant de raffuts façon torgnoles de daron dégustés contre l’Irlande. Cette dernière a l’air bien au-dessus des Bleus, comme les Fidji, la Nouvelle-Zélande, l’Argentine et peut-être l’Australie. Si ça se trouve, c’était le trac. Mais si ça se trouve aussi, on n’aura pas de médaille. Cela dit, en 12 matchs, on a vu beaucoup de jeu. C’est à la fois fluide et bordélique à la sortie : il y a désormais tout plein de gares pour rentrer et fort peu de signalétique. Un volontaire brâme de vagues indications dans un mégaphone entre deux blagues du haut d’une chaise de maître-nageur.

C’était le premier jour des Jeux.

Essai français refusé (Saint-Denis, 2024)

Mardi 30 juillet

La Porte de Versailles, j’y vais surtout pour le salon des vignerons indépendants. Mais ce soir, pour l’alcool, macache : il en ira de même que sur les autres sites. Une règle de trois sur la base des tristes sandwiches disponibles permet d’estimer une pinte officielle fantôme à 12 euros. Ah, et on vide toujours des bouteilles en plastique dans des gobelets réutilisables, vivement Shadockville 2032. Mais enfin l’entrée était fluide, l’ambiance est guillerette au milieu des animations, et puis il y a la clim’. L’ascension des immenses et pentus gradins tubulaires montés dans le Hall 1 collerait la pétoche à tout individu sujet au vertige. À moi, donc, forcément. Bon, une fois installé, l’ensemble a de la gueule. En face, le kop de supporters de l’équipe de France donne déjà de la voix. Un speaker à l’ancienne ambiance le reste d’un public familial et très bleu, aidé d’un DJ porté sur le siècle dernier. Pédagogue, il explique les chorégraphies à executer sur un smash, un block, un ace, on est en plein camping des mimosas un 15 août mais l’ensemble aura son efficacité.

Adversaire du soir et aimable faire-valoir sur le papier, le Canada est discrètement évoqué. Les deux capitaines viennent tirer au sort l’engagement, c’est très cérémoniel mais le résultat ne nous est pas communiqué. Interminables dépendeurs d’andouilles, les joueurs des deux équipes entrent s’échauffer. Les nôtres ont la classe, le béotien reconnaît deux ou trois de Tokyo, et ils ont l’air confiant. Le match confirmera pourquoi. Au volleyball, ça n’arrête pas, on marque constamment des points, prétexte à d’incessantes célébrations coordonnées auxquelles le public se prête de si bonne grâce qu’on perd un peu le fil de ce qui se passe en contrebas. C’est dommage, d’ailleurs, parce que le match impressionne à défaut d’être âprement disputé. Citius, altius, fortius sur à peu près tous les points ; la performance athlétique fait mal aux mains rien qu’à la contempler, et puis que ces mecs sont adroits. Guère marri sur ce coup-là, Brizard aligne les aces qui claquent comme du 7.62. Patry marque à tous les coups quand il jaillit dans le fermé – oui, c’est rubystique, mais rappelez-vous que je n’y connais rien. Seul à jouer en manches longues, le capitaine Ngapeth semble presque ménager ses coudes et genoux mais reste plus fiable qu’un livret A.

Le Canada a la gentillesse d’offrir une réplique plus digne que menaçante, juste assez pour faire en sorte que l’ambiance efface minute après minute les effets de la climatisation. Ils perdent inévitablement, sans un set de trop. Les Bleus auront profité de la séance de sparring sans bouder leur plaisir : on en vit carrément taper dans les mains au rythme de la sono jusque sur le terrain. Au coup de sifflet final, ils s’appliquent à dire merci, jusqu’à monter remercier le kop en tribune. Civils jusqu’au bout, les Canadiens saluent eux aussi avant de quitter la scène. Dans la discrétion, certes : aussi chauvin qu’au rugby, le speaker n’aura pas daigné suggérer qu’on y prête attention. Ça ressemble de plus en plus à un parti-pris guère olympique, mais au moins la sortie est fluide elle aussi et la signalétique pêche moins qu’à Saint-Denis. On sera rentrés pour éviter le début de Salamé sur France 2.

Mieux valait tenter de faire le tour.

Jeudi 1er août

Le Parc des expositions de Villepinte offre une bonne allégorie de l’enfer, haut lieu des salons professionnels franciliens qu’on atteint après 30 minutes de RER B à la climatisation souvent en panne. S’y rendre pour assister de la boxe olympique change la donne, clim’ ou pas, sachant qu’on se mêle de surcroît à un public plus divers qu’attendu : des jeunes en nombre, des filles parfois venues entre elles, tout un monde qu’on n’attend plus guère au chevet d’un sport de niche. À l’entrée, au son d’un très opportun Eye of the tiger, la file avance efficacement. Sans compatriote au programme, un Allemand esseulé arbore un maillot de la Mannschaft et un brassard « bier captain » de bon aloi. Connus pour leur goût du voyage, des supporters irlandais sont venus en nombre soutenir deux des leurs.

Quiconque a en tête les travées clairsemées des premiers tours lors des précédentes éditions sera agréablement surpris par le digne remplissage de la salle séquano-dionysienne. Quiconque a en tête les performances envahissantes et chauvines des speakers sur les autres sites ne le sera pas moins par la sobriété de celui-ci. Dans l’attente du premier combat, l’équipe de secouristes teste son dispositif d’intervention en cas de coup dur sur le ring. C’est qu’en dépit d’une assistance bon enfant et des gants rembourrés la boxe amateurs reste capable du pire.

L’ambiance monte illico dès l’annonce du premier combat, duel franco-irlandais en – 50kg. Un rien empruntée d’entrée face à une agressive schtroumpfette dublinoise, Wassila Lkhadiri règle la mire et impose sa boxe en ligne posée et cohérente pour finir par l’emporter. Les « 1, 2, 3, viva l’Algérie » ne sauvent pas Roumaysa Boualam d’un revers logique contre la gauchère philippine Aira Villegas, qui a manifestement grandi en regardant Pacquiao. En 1/4 de finale, Lkhadiri devra gérer sa mobilité et son timing très au point.

À défaut d’épater, le niveau général des 10 combats proposés n’a rien de déshonorant. En -66kg, la Chinoise Yang Liu offre carrément une prestation virtuose contre une Mozambicaine pourtant pas manchote. Dans la catégorie des -63,5kg de notre demi finaliste Sofiane Oumiha, Erislandy Alvarez présente des pieds plats et un goût de la bagarre de pub atypiques pour un Cubain. Il devrait être accessible s’il affronte le Français en finale. Son futur adversaire le Georgien Guruli aussi, pourvu qu’il ait récupéré d’une méchante coupure sur choc de tête qui le réveilla contre un Kazakh prévisible. De l’allonge et de la technique, certes, mais sans doute une moindre palette que celle de Sofiane. À propos de palette étendue, le -92kg ouzbek Mullojonov est un gaucher athlétique et mobile qui sait à peu prés tout faire et semble ravi comme tout d’échanger des parpaings. À suivre.

Trois candidats se détachent pour le titre de combat de la soirée : la Belge Deriew contre la Capverdienne Moreira en -66kg pour un joli comeback, le susnommé Alvarez face au Thaïlandais Sinsiri en -63,5kg pour une appréciable éruption de violence – un peu unilatérale, certes – et Jack Marley opposé au styliste tadjik Boltaev en -92kg pour le baroud d’honneur du frustre docker irlandais sous les vivats de ses supporters, hélas mal servis hier soir. À l’heure du bilan, pas de KOs, ce qui ne surprendra pas vraiment en amateurs, ni d’horribles défaillances côté juges ou arbitres, ce qui est moins attendu en pareil contexte. On dirait presque un bon moment.

En tout petit, un futur grand : l’Ouzbek Lazizbek Mullojonov (en rouge)

Vendredi 2 août

Maroc – États-Unis au Parc des Princes. Pas de recension, mais des mentions :

– Au rouge et vert du maillot marocain, décidément classieux en grand nombre

– Au supporter mexicain bruyant, esseulé et si joyeux de voir les Américains prendre une danse

– À mon voisin américain qui textait beaucoup à sa compagne en plein shopping chaussures et qui leva le camp au troisième but

– À l’impressionnante stridence des sifflets marocains à chaque mention de leurs adversaires par les speakers du Parc

– Au courageux et mignon petit couple américain agitant son drapeau en terrain pas si amical ; à leurs voisins chambreurs mais plutôt bienveillants

– À l’ami Frédéric qui m’accompagnait et qui a testé pour moi la 1664 à 0% – spoiler : c’est pas bon

– Au très vitaminé kop des Lions de l’Atlas côté Auteuil ; à la profondeur du répertoire de leurs supporters lambda

– Au craqueur de fumigène sur le premier but marocain qui parvint à parlementer longtemps avec la sécu avant de se faire calmement virer du stade

– Aux franches odeurs de cannabis dans l’espace réputé « fumeurs » à la mi-temps

J’ai aussi une photo mal cadrée du 2e but marocain.

Samedi 3 août

Le prix aberrant d’une journée d’athlétisme olympique est pour l’aficionado celui d’un bout d’Histoire, et l’Histoire, Kevin Mayer ou non, retiendra bien quelques bribes de ce qui se passa hier à Saint-Denis dans l’ambiance bouillante que permit un temps pas trop chaud. Il flottait d’ailleurs à torrent lorsque la reine du jour, Julien Alfred, écrabouilla la finale du 100 mètres en filant un centième plus vite que la meilleure Christine Arron – cette dernière ayant d’ailleurs frappé les trois coups de la séance du soir – pour rapporter à Sainte Lucie sa première médaille olympique. On parle d’un caillou peuplé comme une demi-Antille française. La gagnante coupait court aux habituelles chamailleries jamaïco-américaines, alors que l’épidémie de forfaits chez les Caribéennes devrait faire jaser un temps certain.

Au triple saut, Thea Lafond se faufila elle aussi entre Amérique et Jamaïque, ainsi qu’entre des gouttes qui compliquèrent la tâche de ses poursuivantes, record de Dominique – peuplée comme une demi-Sainte Lucie – à la clé. Côté poids masculin, force restait à la tradition, une explication entre colosses barbus étasuniens remportée par le plus galonné des trois. Le second relais 4×400 mixte olympique de l’Histoire satisfit les amateurs de remontadas lorsque les grands compas de la Hollandaise Femke Bol lui permirent d’avaler ses trois prédécesseuses dans la dernière ligne droite. Et puis faute de Mayer, le nouveau roi du décathlon est blondinet malgré tout : le champion du monde espoirs Norvégien Markus Rooth dut son titre à un record personnel battu de 20 centimètres à la perche. C’est lorsqu’il lançait le javelot que le Stade de France explosa à l’annonce du succès des judokas tricolores face au Japon dans une finale par équipes pourtant fort mal embarquée.

Voilà pour ce qu’auront assimilé les archivistes de la chose sportive dont je fais un peu partie, ma présence sur place faisant foi, mais je me demande si je n’aurai pas retenu plus de moments de la session du matin, quand les anonymes sont de sortie, que les muscles ne sont pas chauds, que pèse le risque des pires loupés et que l’incandescence précoce du public des Jeux étonne les plus chevronnés des compétiteurs. Les sprinteurs des tours préliminaires du 100 mètres, qui viennent parfois améliorer un record national au-delà des 11 secondes. La vue de biais sur lesdits sprinters, qui apprend d’un coup combien leur peloton peut finir étiré sur une distance si courte. La Française Anaïs Bourgoin, policière dans le civil, qui remporte son repêchage du 800m sous des vivats de finale de 1998. La voix de Denis Brogniart officiant comme speaker qui apporte un étrange décalage télévisé à l’ensemble. La satisfaction dérisoire et pourtant bien réelle que l’on éprouve sur le moment à savoir qu’un concurrent éliminé en tour préliminaire a sorti sa meilleure performance de l’année. Le lancer du disque du décathlon, dont un Grenadien quasi homonyme de Vincent Lindon tapa le record olympique avant que l’Allemand Nikolas Kaul en fît autant au javelot.

Le sprinteur maltais carrément homonyme de Beppe Grillo. Le marsupilami Armand Duplantis, presque disgracieux à passer des barres de qualification si basses pour lui. Le perchiste tricolore Anthony Ammirati, éliminé d’entrée comme ses deux coéquipiers mais dont je n’apprendrai que plus tard quelle protubérance fit tomber sa dernière barre. L’autre concours de la perche, celui des décathloniens, qui dura bien plus longtemps qu’escompté dans un stade toujours aux trois quarts plein, tantôt bruyant comme les fêtes de Bayonne, tantôt silencieux telle une bibliothèque de moines trappistes selon le souhait des concurrents. Le bonheur de suivre lesdits décathloniens sans les éructations pavloviennes de Patrick Montel rappelant toutes les 180 secondes combien leur camaraderie inspire la sympathie. Ah, et puis je suis en mesure d’affirmer que parmi les bières à 12 balles proposées dans les bouis-bouis autour du Stade de France se déguste sans doute la pire que j’aie jamais bue. Bon courage aux suivants, se désaltérer par là-bas relève ainsi de la roulette russe. Ce souvenir-là non plus n’est pas parti pour s’effacer.

100 mètres aqueux

Mercredi 7 août

Méfions-nous des histoires déjà écrites. Celle de Sofiane Oumiha, admirable médaillé du Team solide en 2016, cruellement déçu par KO 4 ans plus tard puis favori pour l’or olympique à Paris du haut de 3 titres mondiaux en amateurs, était peut-être trop belle à raconter. Un très bon gars, le travail qui paye, une ascension sociale qui ravira petits et grands. Mais face à Erislandy Alvarez, deux récits également aimables s’affrontaient autant que deux styles. Parce que le gamin de 24 ans, lui, était la dernière chance de première place d’une île jadis aussi réputée en boxe anglaise que le Japon sur les tatamis. Au temps de la spécialisation sportive des nations communistes, les choses étaient plus simples et la concurrence moindre. Aujourd’hui, Cuba se fait raboter par ses anciens pays frères, républiques du Caucase en tête. La dernière chance de titre à Paris, c’étaient les – de 63,5kg.

Ce chiffre-là n’est pas neutre : pour réduire le nombre de catégories chez les garçons, on a monté le plafond des – de 60. Le Toulousain a concédé avoir mis du temps à s’y faire. Pur escrimeur de poings, il est naturellement efflanqué et ne tape pas, quand Alvarez s’avance tanké comme un plagiste et affiche volontiers sur le ring son goût de la baston. Au premier round, il empile les salves de crochets pesants. Oumiha fait d’ordinaire florès des offensives adverses, s’appliquant à finir chaque échange en remises pour impressionner les juges. Mais au premier round, il est submergé, incapable de répliquer ou bien inoffensif en comparaison. Son mérite sera de s’ajuster, c’est ce que font les très bons, régler la distance, glisser un uppercut ou deux, anticiper pour dérégler la machine adverse.

Alvarez a trop vite jeté sa gourme, il se fait moins pressant, mais au-delà des pas de danse sur place qu’il esquisse pour décourager son homme il fait lui aussi valoir une technique de patron. Le round 2 est à Oumiha, de peu, le 3e se jouera à rien. Au moment du verdict, l’antique supporter d’Alexis Vastine ne cracherait sur un authentique arbitrage à la maison. Las, donné battu, Sofiane tombe à genoux. L’histoire reste belle, soit, mais lui reste un champion au palmarès admirable dans un sport de niche dont la France se fout un peu. Il est le premier à le savoir, au bout de la belle histoire un « champion olympique » aurait tout changé. Alvarez, lui, part en salto arrière. Quand il lâchera la salle pour la fête havanaise, ce sera open bar à perpétuité.

Alors oui, j’ai vu un Français boxer en finale olympique à Paris, sur un court Philippe Chatrier transformé en discothèque couverte des années 90. À propos de boîte de nuit, j’ai vu son compatriote + de 92kg Djamili Aboudou sonner la révolte des videurs disgracieux sur les beaux gosses qui commandent des bouteilles, lui qu’on eût cru sur le parking du Macumba quand il envoya sur les fesses l’Espagnol Ayoub Ghadfa ; pas assez pour s’imposer contre meilleur que lui, soit, mais un rare plaisir cocardier malgré tout, et puis le bronze n’était pas gagné sur le papier. J’ai vu l’une des rares stars de la boxe amateurs, l’Ouzbek Bakhodir Jalolov, 2m01 pour 115kg, dérouler sa boxe impeccablement fluide de poids moyen plus court d’une tête. J’ai vu une extraordinaire finale des – de 80kg remportée par l’Ukrainien à propulsion nucléaire Oleksandr Khyzhniak, auteur d’un possible record du monde des combos de 3 à 6 coups expédiés en 9 minutes. J’ai vu le comble de la branchitude, une demi-finale des -57kg remportée par l’une des viriles boxeuses dont l’on parle bien plus que de leur sport si beau. J’ai vu une très, très belle soirée de boxe olympique à Roland Garros. J’aurais juste aimé voir l’histoire déjà écrite.

Oumiha met un jab.

Jeudi 8 août

Ce qu’on appelle ces temps-ci l’Arena Champ-de-Mars, c’est le Grand Palais Ephémère, dans lequel il fait déjà trop chaud chaque année aux dates printanières du Festival du Livre de Paris. Il faut reconnaître que question climatisation l’organisation a mis les moyens. C’est que la lutte, qui succède au judo dans l’enceinte rendue aveugle en configuration olympique, est un sport universitaire très prisé des Américains, et qu’on les sait sensibles au froid polaire en plein été. En cette fin d’après-midi, trois des leurs concourent pour une médaille, autant dire que le contingent est fourni. Il y a match avec les Iraniens et les Japonais, plus quantité de petites factions regroupées derrière des bannières du Caucase dont on ignorait l’existence, le tout dans une ambiance bon enfant.

Le souvenir de l’interminable attente du premier jour est prégnant : bombardé de SMS automatiques à J-1 et H-3 m’invitant à la prudence, je m’emploie à toujours arriver bien en avance sans qu’il en soit vraiment besoin. C’est l’occasion de vivre ici une expérience assez troublante, payer sa pinte de 1664 en terrasse à côté de l’Ecole Militaire moins cher que la blonde d’origine incertaine qu’on extrait des tireuses installées devant les bouis-bouis autour du Stade de France. À côté de nous, deux types aux mines burinées de cavaliers des steppes sirotent du café frappé ; on les imagine ici pour le même motif que nous, mais avec un bagage technique supérieur. En tout cas boire un coup avant une compétition à laquelle on entravera quedchi n’est pas la pire des idées.

Car je dois bien concéder une ignorance à peu près totale des règles de la lutte, quand bien même son prestige historique m’a fait bondir sur les billets proposés par l’algorithme de l’application officielle – bon, c’est aussi parce qu’il refusait obstinément de lâcher quoi que ce soit en escrime et en judo. Le vague regain d’intérêt français en la matière date de Pékin 2008, où Steeve Guénot avait remporté l’or en moins de 66kg. C’est d’ailleurs lui qui frappe les trois coups de la session du jour. Il concourait en gréco-romaine, qui contrairement à la lutte libre n’autorise pas qu’on saisisse les jambes, et c’est à peu près tout ce que sais de la discipline. Pour résumer l’impression produite sur le béotien par une quinzaine d’assauts, je dirais qu’il s’agit d’un étrange compromis entre un jeu ultra enfantin – j’ai en tête tout du long la centaine de photos prises il y a 10 ans de mon grand filleul et son petit frère s’empoignant gaiement sur un canapé rouge – et des tas de postures pas innocentes du tout une fois atteint l’âge adulte, surtout que les justaucorps font aux lutteurs un boule des plus avantageux – insérez ici un rire bien gras.

Toute plaisanterie fine prise par ailleurs, la débauche de puissance et de souplesse proposée par les protagonistes est bluffante de bout en bout à défaut d’en comprendre tout à fait les tenants et aboutissants. J’avoue de surcroît que mon attention aura été parasitée par le rafraîchissement frénétique du live du Monde pour suivre le hand filles puis le basket garçons. C’est aussi le cas des spectateurs alentours, dont un couple de sexagénaires français qui supportent la Mannschaft. Bien fait pour eux. Le monsieur poussera son rare esprit de contradiction jusqu’à souvent scander le nom du pays adverse à chaque salve d’encouragements. Devant nous, deux gros types enthousiastes portent des T shirts du fan club de Spencer Lee (né en 1998 à Denver) et seront barrés une fois le dernier Américain au programme sorti du tapis. Notons toujours à propos de l’ambiance que les speakers local et anglophone n’ont pas besoin d’en rajouter autant que quantité de leurs homologues olympiques.

Le public est chaud comme tout lors d’un duel de générations entre une jeune japonaise et une blonde américaine galonnée, où l’on apprend que « USA » se scande naturellement plus fort que « Nippon », ce qui n’empêche pas la benjamine d’imprimer sa rivale dans le tapis avec application. Le France-Chine du matin au ping-pong ne m’a pas exactement rendu sinophile et je regarde non sans plaisir une Moldave enchaîner les grands écarts latéraux pour échapper à l’étreinte d’une Chinoise avant d’immobiliser cette dernière pour le compte tel un piège à taupes. L’émotion gagne le public au moment où un médaillé de bronze ukrainien ôte ses chaussures au milieu du tapis, geste synonyme de retraite sportive. On avait d’abord découvert avec amusement la coutume consistant pour le coach d’un lutteur primé à venir écraser celui-ci d’une souplesse affectueuse à l’annonce du résultat, puis frémi lorsque ce fut le tour d’un entraîneur bulgare gros comme trois fois son poulain. « Je préfère ça à la boxe » me dit mon épouse, cruelle et sincère à la fois, en guise de bilan. Entre le rythme soutenu des assauts, les projections spectaculaires et les justaucorps tendus, j’admets comprendre à défaut de souscrire. Et puis il y a la clim’.

I believe I can fly

Vendredi 9 août

Dernier événement olympique et rebelote chez les lutteurs. On m’entend expliquer deux ou trois vérités approximatives apprises la veille à mon voisin et me voilà devenu référent de la tribune, détaillant en français et en anglais, sans guère de certitudes, le pourquoi d’un nombre de points marqué ou d’un départage en cas d’égalité. Nul ne sait combien d’organisations périclitèrent à cause de ce type de méprise.

Mes voisins indiens sourient sans discontinuer. Ils assistent aux épreuves depuis 5 jours et me félicitent pour la bonne organisation de l’ensemble. La veille, ils étaient à Saint Denis pour le lancer du javelot et semblent même sincères quand ils affirment ne pas être déçus qu’un Pakistanais ait vaincu leur champion pour l’or – les deux sont même copains, affirme le monsieur, rare message d’espoir pour l’Occidental angoissé qui imagine un conflit nucléaire sur le point d’éclater dans cette partie du monde pourvu que le mauvais colonel se soit levé du pied gauche.

À quelques sièges de nous, un supporter ouzbek s’avère particulièrement volubile et bruyant. Dieu que le mec vit son combat. Il s’agit en définitive d’en entraîneur expulsé du bord des tapis, qu’on applaudit à la victoire de son poulain. Les 125kg du Caucase s’affrontent tels des ours des montagnes, impressionnants dans le paysage mais peu portés sur les cabrioles de ceux qui pèsent moitié moins lourd. Une Norvégienne mène aux points avant de subir l’équivalent d’un ippon. Elle s’effondre, inconsolable, ses supporters au torse peint avec elle. Une Américaine infligera la même punition à sa rivale Canadienne en 26 secondes à peine pour toucher du bronze. La Moldave de la veille réitère en finale ses impressionnants grands écarts latéraux, cette fois sans succès.

Hommes et femmes, les Japonais ont le triomphe modeste et fréquent. Comme ce Bulgare vainqueur en finale d’un crack iranien au patronyme imprononçable et auquel il aura fallu remboiter trois fois l’épaule avant qu’il se résigne à couper son effort ; pour qu’il n’ait pas à abandonner, son adversaire laissera s’égrainer les ultimes secondes sans plus rien tenter, sous les acclamations d’une foule consciente de la joliesse du geste. Devant nous, un Américain exulte bruyamment. La trêve olympique est une paix bien précaire.

Vainqueur : l’ours bleu

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