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Et bien je ne peux quand même pas passer le reste de ma vie à venir toutes les 10 minutes dans ce fichu appartement pour décortiquer les détails les plus insignifiants du moindre événement du quotidien !
Elaine Benes, The Bizarro Jerry
Voilà. Autant laisser le fardeau consistant à résumer les 180 épisodes de Seinfeld, diffusés entre 1989 et 1998, à l’une de ses quatre stars. Peuplée d’individus qui s’acharnaient à n’évoluer sur aucun plan, la sitcom reine de la fin du siècle dernier sur NBC fut couramment désignée par la formule « The show about nothing » après la diffusion de sa très méta saison 4, où deux de ses personnages tentaient de vendre au puissant network américain une série télévisée dans laquelle, justement, il n’eût été question de « rien ». Jerry Seinfeld, légende du stand-up newyorkais qui lui donna son nom, fut vite agacé par cette étiquette : non, Seinfeld n’était pas dénuée d’un propos. Il s’agissait au contraire de montrer comment l’observation du quotidien le plus banal nourrissait son travail de comique. Ainsi, chaque épisode fut longtemps introduit et clos par quelques secondes de sketches interprétés par Jerry sur la scène d’un comedy club, et inspirés par les aventures minuscules et foutraques vécues avec ses trois meilleurs amis et relatées dans le reste des 22 à 23 minutes d’antenne.
Jerry rigole avec nous
Lorsque commence Seinfeld, Jerry interprète son propre personnage, un trentenaire habitant l’Upper West Side (au 129 ouest de la 81e rue) et qui vit de son art ; sa petite célébrité lui vaut de passer à la télévision et de se produire aux quatre coins des États-Unis. Célibataire endurci, il enchaîne les conquêtes sans lendemain et traîne des habitudes tenaces : le bougre se nourrit essentiellement de céréales, s’intéresse à fort peu de choses en dehors des jolis minois, de Superman ou des franchises locales de sports collectifs, et son souci de l’hygiène confine à la maniaquerie. S’il vit indiscutablement en adolescent attardé, Jerry incarne souvent la — très sarcastique — voix de la raison auprès de ses proches, dont son appartement est le principal point de ralliement, le second étant un diner traditionnel nommé Monk’s. Récompensé en 1994 par le Golden Globe du meilleur acteur dans une série comique, Jerry Seinfeld n’est pourtant pas un immense comédien, en tout cas pas le meilleur du casting infernal et si complémentaire de la série. Pire, il semble souvent à deux doigts de rigoler, que la situation l’exige ou non. Comme il s’en justifia en interview, « si Kramer vous amuse à la télévision, imaginez-le donc littéralement à deux pas de vous ».

Ledit Kramer vit dans l’immeuble de Jerry — ils en habitent respectivement les appartements 5B et 5A —, et fut inspiré jusqu’à son patronyme par un certain Kenny Kramer, le propre voisin de Larry David, créateur et principal scénariste de Seinfeld durant les 7 premières saisons. Sans emploi connu, le personnage est parfaitement caractérisé par l’expression « hipster doofus », employée dans l’épisode The glasses : toujours à la pointe des modes et tendances newyorkaises, Kramer s’habille vintage, raffole des fruits frais et des cigares cubains, et enchaîne pour subsister des combines et projets d’une extravagante stupidité — citons en vrac la conception d’un soutien-gorge pour messieurs (The Doorman), le montage complexe d’une expédition en fourgonnette dans le Michigan, où les bouteilles vides sont consignées plus cher qu’à New York (The Bottle Deposit), ou l’écriture d’un livre de table basse consacré aux tables basses et pouvant lui-même faire office de table basse (The Fire). Dans les dernières saisons, Kramer tentera plusieurs fois de toucher le jackpot en attaquant en justice de grandes entreprises l’ayant prétendument lésé, faisant appel au savoureux Jackie Chiles, inspiré de l’avocat d’O.J. Simpson. Dans son cercle d’amis, il détonne par son souci régulier du bien-être d’autrui, ainsi que par une tendance irrépressible à lui dire ses quatre vérités, qu’il ait pris du poids (The Non-Fat Yogurt) ou mérite une rhinoplastie (The Nose Job). Le génie burlesque de son interprète Michael Richards a rendu légendaires les onomatopées, pantomimes et pertes d’équilibre de Kramer, ainsi que ses irruptions dans l’appartement de Jerry, qu’il considère comme une annexe du sien, ou l’inverse, en particulier son réfrigérateur.
Le grand, l’unique, le prodigieux George Costanza
Elaine Benes, l’ancienne petite amie de Jerry, est d’après le duo Seinfeld-David une sorte de synthèse de leurs ex respectives. Il s’agit de la seule membre du quatuor exerçant une profession « classique », l’occasion d’aborder par son truchement le filon inépuisable des misères bureaucratiques ; au commencement de la série, Elaine est correctrice pour Pendent Publishing. Montant peu à peu en responsabilités, elle est le seul personnage dont l’apparence évolue au fil des saisons, de jeune femme bohème portant perfecto, robes à fleurs et socquettes blanches à executive woman assumée. Bien qu’elle tienne rarement un discours féministe à proprement parler, elle est un modèle d’indépendance, revendiquant une vie sexuelle des plus libérées qu’elle évoque tout aussi explicitement que ses amis à chromosome Y — en particulier les lacunes et indélicatesses de ses amants. Un moment fondamental pour la compréhension du personnage intervient dans The Stand-In : la façon dont elle annonce « Et là, il l’a sortie » à un Jerry impatient de savoir comment s’est passé le rencard qu’il se targue d’avoir arrangé est drôle au possible, mais sans aucune équivoque sur le caractère inexcusable du geste. Indéniablement intelligente, Elaine développera pourtant sur le tard un faible pour le très viril et crétin David Puddy ; leur histoire cessera et reprendra à l’infini. Le comique d’Elaine repose sur une personnalité double, reflet des regards sexistes et injonctions contradictoires pesant sur les Newyorkaises de son temps. Si elle minaude volontiers, très attentive à son charme, Elaine est aussi la plus « alpha » du groupe d’amis, rancunière au possible lorsqu’on lui cause du tort et poussant régulièrement le goût du conflit jusqu’à l’intimidation physique… tout le talent de Julia Louis-Dreyfus étant de savoir jouer sur les deux registres. Comme Michael Richards, elle est capable d’admirables morceaux de bravoure muets, telle sa danse hilarante en soirée d’entreprise dans l’épisode The Little Kicks.

On l’aura compris, Elaine et Kramer, fondés sur le sens de l’observation des scénaristes, font de savoureux partenaires à Jerry, au point de souvent lui voler les répliques marquantes et rires tonitruants. Mais ils sont surpassés en perfection par le grand, l’unique, le prodigieux George Costanza, probable meilleur personnage de l’histoire des sitcoms. Si George doit son patronyme à un camarade de lycée de Jerry Seinfeld, il est directement inspiré de Larry David lui-même, un personnage dont on peut apprécier le caractère particulier dans la série Curb your enthusiasm — ou Larry et son nombril — dans laquelle il interprètera à son tour son propre rôle après Seinfeld. Pour faire simple, le petit, chauve et épais George Costanza est un condensé de névroses, largement héritées d’un couple de parents dysfonctionnels, qu’il a la particularité d’assumer tout à fait auprès de ses proches. Comment ne pas aimer un personnage affirmant dans The Pilot : « Je ne peux pas mourir dans la dignité. Je veux être la seule personne qui ne meure pas dans la dignité. Je vis ma vie entière dans la honte. Pourquoi devrais-je mourir dans la dignité ? »
Les pommes, les arbres, etc.
George ment sur tout, et tout le temps. « Ce n’est pas un mensonge si tu y crois » assène-t-il à Jerry tel un maître Jedi dans The Beard. Son fantasme absolu, apprend-on très tôt, est de passer pour un architecte (The Stake Out). George est paresseux, au point d’élaborer des stratagèmes parfois complexes pour faire croire qu’il travaille — “J’ai toujours l’air agacé. Et oui, quand tu as toujours l’air agacé, on croit que tu es occupé » révèle-t-il dans The Hot Tub — ou qu’il a lu un livre de moins de 100 pages — il s’incrustera à une soirée télé de la famille qui a loué Breakfast at Tiffany’s la veille de son club de lecture, dans The couch. Contraint au labeur, George installe un coin sieste tout équipé sous son bureau (The Nap), ou se choisit pour employeur la pire entreprise du monde, Kruger Industrial Smoothing (The Slicer). George est d’une lâcheté pathologique — « Ce n’est pas facile », confesse-t-il à un pompier lui demandant comment il peut se supporter lui-même dans The Fire —, sauf lorsqu’il s’agit d’aller jusqu’au bout d’un mensonge, auquel cas il osera littéralement secourir un mammifère marin en détresse (The Marine Biologist). George est pingre et très, très mesquin, ce qui lui vaut de se faire larguer par une petite amie stupéfaite qu’il ait tenu à faire savoir qu’il avait payé le déjeuner d’Elaine, et pas elle (The Big Salad). George n’a aucune confiance en lui ni en ses choix, ce en quoi il n’a pas entièrement tort : c’est lorsqu’il décide de faire tout le contraire de ce que lui dicte son instinct qu’il enchaîne les succès, ce qui nous aura valu l’extraordinaire The Opposite. George, c’est nous, s’il nous prenait l’envie et l’audace de nous assumer pleinement. Jason Alexander, seul acteur du quatuor à n’avoir jamais été récompensé pour son rôle, incarne pourtant divinement l’homme et le concept qu’est à la fois George Costanza.

Ce carré d’as est, comme de juste, complété par une brochette de seconds rôles attachants, c’est-à-dire au moins aussi odieux qu’eux la plupart du temps. La palme revient au couple infernal que forment Estelle et Frank Costanza, pas-si-paisibles retraités du Queens. Acariâtre, la première répond « Vraiment ? Puis-je vous demander pourquoi ? » à celle qui lui annonce être amoureuse de son fils dans The Engagement, tandis que le second décide de reprendre la tradition familiale de son invention consistant à remplacer Noël par un sinistre règlement de comptes dans The Strike. Notons que Frank est interprété par Jerry Stiller, le père de Ben, et que sa diction particulière faisait hurler de rire ses partenaires sur le plateau. Les parents de Jerry, Helen et Morty Seinfeld, se sont installés en Floride à l’issue de la carrière de vendeur d’imperméables du papa. Sans atteindre le spectaculaire niveau de déglingue des Costanza, les Seinfeld cumulent les travers parentaux classiques : ils se lèvent avant l’aube, comptent le moindre cent et s’inquiètent sans raison pour les finances de leur fiston. Les quelques épisodes délocalisés en Floride (The Pen, The Cadillac, The Wizard notamment), où Morty complote pour conserver la présidence de leur résidence de seniors, valent leur pesant d’orange à jus.
« No soup for you ! »
Parmi les autres personnages récurrents, impossible de ne pas mentionner l’ignoble Newman, postier obèse à la fois lyrique, dépressif et machiavélique qui loge à l’étage de Kramer et Jerry, ami du premier et ennemi juré du second — Wayne Knight est aussi connu pour son rôle de méchant dans Jurassic Park. On y ajoutera l’Oncle Leo de Jerry, prototype pur et parfait du tonton pénible, ou le très théâtral et mégalomane Jacopo Peterman, patron d’Elaine lors des ultimes saisons, voire Kenny Bania, confrère raseur et peu talentueux de Jerry qui tient absolument à s’en faire un ami. Bryan Cranston, qui deviendra le Walter White de Breaking Bad, fait partie du lot : il tient le rôle de Tim Whatley, dentiste de Jerry et bref compagnon d’Elaine. Certains personnages mythiques de Seinfeld n’eurent besoin que d’une et une seule apparition pour entrer au panthéon des sitcoms. L’exemple quintessenciel porte le nom de Yev Kassem, cuisinier star surnommé le « Soup Nazi » dans l’épisode du même nom pour son caractère irascible et pointilleux vis-à-vis de sa clientèle, ce dont les protagonistes de Seinfeld feront les frais… jusqu’à ce qu’il trouve à qui parler en Elaine Benes.

Son « No soup for you ! », improvisé par l’acteur Larry Thomas, est aussi ancré dans la culture pop outre-Atlantique que le « Yada Yada » de l’épisode du même nom — sorte de « patin couffin » permettant une ellipse dans une discussion — ou « These pretzels are making me thirsty », unique réplique de Kramer engagé comme figurant sur un tournage de Woody Allen dans The Alternate Side. Enfin, à mesure que la série gagnait en notoriété, nombreuses furent les apparitions ou cameos de stars déjà établies interprétant leur propre personnage : le joueur de baseball Keith Hernandez, les acteurs Jon Voight, Bette Midler, Raquel Welsh ou Marisa Tomei, le chanteur Mel Tormé, voire le maire de New York Rudy Giuliani. Ce dernier apparaît dans The Non-Fat Yoghurt, diffusé juste après son succès à la municipale de 1993, dans une scène tournée le lendemain matin de son élection — le show en prévoyait une autre en cas de victoire du candidat sortant David Dinkins. Marisa Tomei et Keith Hernandez font d’ailleurs partie de la très longue liste des partenaires, soupirants et « targets » de nos quatre célibataires au long cours ; la drague et la vie de couple sont comme de juste des thèmes incontournables de la série.
Splendeurs et misères du « dating »
À proprement parler, aucun n’est un cadeau : Jerry a un cœur de pierre — l’unique fois où il éprouve des sentiments, dans The Serenity Now, le perturbe énormément —, George surinterprète chaque attitude saine d’esprit de ses partenaires ou leur impose ses lubies insanes, comme profiter des plaisirs du sexe, de la télévision et du sandwich au pastrami en simultané dans The Blood, Elaine ajoute à son attention exagérée au physique et aux manières des messieurs une certaine tendance au contrôle, au point de faire pression sur son compagnon pour qu’il adopte un prénom à son goût — il était certes l’homonyme du tueur en série Joel Rifkin (The Masseuse) —, tandis que Kramer est un sybarite qui croira un temps qu’il a la « Kavorka », la marque de la bête qui le rend irrésistible au beau sexe selon le rite orthodoxe lithuanien (The Conversion). La vérité oblige à dire qu’ils sont tous les quatre parfaitement immatures et tout à fait égoïstes. Les bougres sont capables du pire pour séduire : outre la conception d’une quantité abracadabrantesque de mensonges sophistiqués, Jerry demande ainsi l’aide de George pour planifier la transition ardue d’une partenaire à sa colocataire dans The Switch, comme on préparerait le braquage de Fort Knox, avant de mettre à profit avec Elaine, tels deux charognards, la toute fraîche rupture d’un mariage dont ils convoitaient chacun un époux… involontairement provoquée par George (The Wait Out). Une fois parvenus à leurs fins, nos héros cherchent rondement le motif de rupture le plus véniel possible, tel le fait de manger ses petits pois un par un, comme dans The Engagement, ou bien une utilisation trop parcimonieuse du point d’exclamation, ainsi que c’est le cas dans The Sniffing Accountant — dans ce dernier cas, il est vrai, Elaine aura techniquement poussé à bout l’écrivain Jake Jarmel.

Les splendeurs et misères du « dating » ne sont pas, tant s’en faut, les seuls codes sociaux décortiqués jusqu’à l’hilarité par les scénaristes de Seinfeld. Les règles tacites de l’amitié en font partie : Jerry essaye désespérément de rompre avec un ami ennuyeux (Male Unbonding), considère qu’aider Keith Hernandez à déménager serait franchir un cap de trop dans leur intimité (The Boyfriend), avant d’éviter comme il peut de laisser croire à un garçon de piscine qu’il pourrait devenir son ami (The Pool Boy). Tout ce qui donne lieu à l’achat d’un cadeau est prétexte à des quêtes épiques précédées de débats qui ne le sont pas moins, babka au chocolat et bouteille de vin pour un simple dîner (The Dinner Party) ou téléviseur grand écran pour une pendaison de crémaillère (The Handicap Spot). Les rituels autour de la parentalité ne sont pas oubliés, ainsi l’appartement de Jerry est-il le théâtre d’une baby shower qui part en torche dans l’épisode du même nom, et nos amis sont-ils invités à visiter un nouveau-né dont Kramer souligne la ressemblance à Lyndon Johnson — le mythique « You’ve gotta see the baby ! » de The Boyfriend — avant de carrément passer un week-end au vert tumultueux pour rencontrer son petit frère, qui s’avèrera hideux au possible (The Hamptons). Dans The Mom and Pop store, Jerry peine à établir s’il est lui aussi invité à la soirée où vont ses amis. The Kiss Hello voit Jerry entrer en dissidence dans son immeuble alors que tous ses habitants ont subitement décidé de se faire la bise, et perdre sévèrement en popularité. Elaine, elle, se révolte contre l’obligation de manger du gâteau à chaque pot improvisé dans son entreprise (The Frogger). Un point d’étiquette très précis est intensément débattu dans The implant, à savoir la possibilité de plonger ou non deux fois son nacho dans le guacamole… le tout à une veillée funèbre à laquelle assiste George.
New York, New York
Ces rituels du quotidien sont souvent typiquement newyorkais, et l’épisode le plus furieusement typique s’intitule The Maid. Elaine doit y changer de ligne téléphonique et se voit marquée du sceau de l’infâmie : elle récupère un indicatif de nouvel arrivant dont elle fera tout pour se débarrasser. Dans le même temps, Kramer entame une « long-distance relationship » puisque sa nouvelle conquête vit quelques 60 rues plus au sud, autant dire un monde… La Grosse Pomme est la ville où les tendances, tel le yahourt à 0% de l’épisode du même nom, se diffusent comme une trainée de poudre. Singeant l’employeur d’Elaine, George lance l’improbable mode consistant à manger son Snickers avec des couverts dans The Pledge Drive ; elle prend plus facilement que le port des chemises bouffantes façon pirate, que Jerry tente de lancer à son corps défendant dans The Puffy Shirt. Les franchises des ligues majeures dans les principaux sports collectifs américains sont très présentes tout au long des 9 saisons, des hockeyeurs des New York Rangers — Jerry et Kramer seront contraints de supporter leurs adversaires pour obtenir une place dans The Face Painter — aux baseballeurs des New Yorks Mets, dont Keith Hernandez fut une star, en passant par leurs rivaux mythiques des New York Yankees : Elaine parviendra à se faire expulser de la tribune présidentielle du Yankee Stadium pour avoir refusé d’ôter sa casquette de fan de Baltimore, tandis que George obtiendra par improbable un travail d’assistant du responsable « déplacements » dans l’organisation. Les protagonistes fréquentent régulièrement des lieux phares de la ville dans les 90s, le New York and Racquet club (The Jimmy, The Implant, The Contest), où Elaine est chargée par Jerry de vérifier si une poitrine splendide est bien d’origine, le vidéo club Champagne video (The Stake Out, The Smelly Car), où George est traumatisé de croiser son ex Susan en compagnie d’une fiancée, la bibliothèque municipale (The Library), dont un employé zélé poursuit Jerry pour un retard de 20 ans, la librairie Brentano’s (The Book Store) où George est mal avisé d’emporter aux toilettes un beau livre sur les impressionnistes, et le multiplex Paragon (The movie), où le quatuor passera une soirée improbable à se louper de salle en salle au temps lointain où les portables n’étaient guère répandus.

Tenter de glisser un dîner au restaurant chinois avant une séance est d’ailleurs l’objet d’un des épisodes les plus marquants de Seinfeld, The Chinese Restaurant, dont Elaine, Jerry et George passent l’intégralité à espérer une table promise dans « 5 à 10 minutes ». Le « show about nothing » révélait ainsi au monde ébahi la toute-puissance de son concept dès le 11e épisode de sa saison 2. Plus agaçant encore que les restaurants où l’on attend trop longtemps sa réservation, selon les auteurs de la série : les teinturiers de la ville, tantôt coupables d’abîmer les vêtements et peinant à l’admettre (The Stock Tip) — « This dry cleaner will have to come clean », huhuhu — tantôt carrément coupables de porter les vêtements de leurs clients dans The Secretary. Mais LA nuisance des nuisances concerne le parking, obsession newyorkaise parfaitement traduite dans quantité d’épisodes. Trouver une place pas chère à l’année revient à faire de votre voiture l’alcôve préférentielle d’un groupe de prostituées (The Wig Master). Charger un voiturier de garer votre guimbarde revient à risquer de subir à jamais ses odeurs de dessous de bras (The Smelly Car), ou bien de créer une pagaille abominable dans le quartier si ledit voiturier n’est autre que George (The Alternate Side). Tenter d’usurper une place pour handicapés expose votre tacot à la vindicte populaire, en particulier si elle ne vous appartient pas (The Handicap Spot). Se disputer pour une place peut littéralement durer des heures et passionner tout un quartier (The Parking Space). Visiter un centre commercial géant revient à passer tout un épisode à tenter de retrouver votre bagnole (The Parking Garage). Bref, le parking est l’ennemi. En regardant le très épique The Subway, où nos quatre compères connaissent des fortunes diverses en empruntant le métro, on comprend néanmoins leur attachement ordinaire à la voiture.
Le shiks-appeal d’Elaine Benes
Une autre thématique régulièrement abordée dans Seinfeld est la judaïté que partagent Jerry et George — sur le papier, ce dernier est censé être italo-américain, concession faite à NBC qui voulait « déjudaïser » le concept initial, mais rigoureusement personne n’est dupe. Si aucun des deux n’est pratiquant, ils ne rejettent pas non plus cet héritage, et leurs parents se chargent de le leur rappeler douloureusement de manière explicite ou par leur seule attitude. Dans The Raincoats, Helen et Morty recommandent chaleureusement à Jerry La liste de Schindler… et tombent de haut en s’apercevant que leur fiston, qui les héberge et manque d’intimité, a profité de la séance en compagnie de sa bonne amie du moment, mais très peu du film. George est lui-même prêt à quelques concessions s’il s’agit de conclure : dans The Limo, pris pour un responsable du parti nazi américain, il est prêt à pousser l’imposture jusqu’au bout pour les beaux yeux d’une Aryenne très dévouée, tandis que dans The Conversion il envisage de changer de foi pour une autre, au grand désespoir d’Estelle et Frank. Jerry moque volontiers ceux qui surjouent la judaïté. Quand l’oncle Leo attribue l’excès de cuisson d’un burger à l’antisémitisme du cuisinier dans The Shower Head, le neveu enchaîne : « Ce que je voulais te dire avant que Goebbels prépare ton hamburger… » Plus tard dans l’épisode, Leo blâme la compagne qui vient de le quitter du même sentiment anti-juif, et Jerry de rebondir : « Peut-on vraiment lui en vouloir ? »

Les sarcasmes de l’humoriste atteignent leur paroxysme quand Tim Whatley décide de se convertir au judaïsme : Jerry le soupçonne d’appropriation culturelle avant l’heure, puisque le dentiste enchaîne désormais les blagues juives… ce qui serait la seule motivation de Tim et offense Jerry non pas en tant que Juif, mais en tant que comique. Sa diatribe contre Whatley lui vaut d’être traité par Kramer d’« antidentite ». Ce dernier n’est d’ailleurs ni juif, ni dentiste. Elaine non plus, en dépit du patronyme caractéristique de son interprète. Selon George, sa non-judaïté expliquerait d’ailleurs pourquoi elle provoque les premiers émois d’homme fait du gamin qui lui roule un patin le jour de sa bar-mitzvah (The Serenity Now)… et pourquoi son père M.Lipman, ancien patron d’Elaine, finit lui aussi par tenter sa chance. « Tu as du shiks-appeal », référence directe à l’obsession du Portnoy de Philip Roth pour les shiksas ou femmes des goys, est l’une des meilleures répliques de George tous épisodes confondus. Enfin, il convient de citer l’épisode de la saison 5 centré sur la circoncision d’un bébé dont Jerry et Elaine sont choisis pour être les parrain et marraine, The Bris. Elaine a choisi le mohel, ou préposé à la découpe, et le monsieur passablement caractériel ne rassure personne sur la sûreté de sa gestuelle.
Très supérieur à Michel Leeb
On le pressent à la lecture de ce qui précède : Seinfeld n’hésitait pas à s’aventurer sur le terrain du politiquement incorrect, s’agissant en particulier des stéréotypes raciaux. Être programmée après 21h permettait certaines libertés, y compris sur le très corseté network NBC. Vu de 2024, la série s’avère carrément trash, sans s’autoriser de mots polémiques pour autant. Imaginez que The Contest, largement reconnu comme LE meilleur épisode de Seinfeld toutes saisons confondues, pour ne pas dire de l’histoire des sitcoms US, évoque la masturbation sans jamais que le mot soit prononcé. Il s’agit littéralement d’un concours entre nos protagonistes dont le vainqueur se sera montré capable de ne pas se toucher le plus longtemps des quatre… et tous seront bien sûr soumis à d’inhumaines tentations. En résulta la très emblématique interrogation : « Es-tu toujours maître de ton domaine ? » Imaginez le séisme — et l’hilarité générale — en 1992. Seinfeld brisera un autre tabou de sitcom en abordant à plusieurs reprises la question épineuse du cunnilingus : penaud, George confie à Jerry dans The Mango qu’il se fit tapoter l’épaule en plein effort — l’équivalent d’un joueur se faisant sortir du terrain par son coach. Dans The Rye, Elaine obtient enfin ladite gratification de son amant saxophoniste juste avant une audition… que sa mâchoire fatiguée lui fait louper dans les grandes largeurs.

Les thématiques sexuelles plus ou moins subtiles ne manquent pas. Dans The Gymnast, les promesses érotiques induites par la souplesse d’une médaillée olympique roumaine ne sont pas tenues. The Mango est aussi l’occasion pour Elaine d’avouer triomphalement à Jerry qu’elle a tout simulé dans ses bras, 4 ans après la minute immortelle de Meg Ryan chez Katz’s dans Quand Harry rencontre Sally. Face à la pénurie annoncée de son contraceptif préféré dans The Sponge, Elaine se demande si chaque partenaire potentiel est bien « spongeworthy », au point de faire passer de véritables entretiens de recrutement. The Fusilli Jerry est l’occasion pour Seinfeld de reprocher à David Puddy de reproduire sans autorisation une technique sexuelle complexe qu’il croyait avoir brevetée tout en la lui confiant, avant de la révéler à son ami George… lequel s’écrira une antisèche dans la main pour espérer la reproduire avec succès. On a parlé des stéréotypes juifs : la série exploitera abondamment le filon s’agissant d’autres minorités ethniques. Jerry accumulera les gaffes auprès d’une amie d’Elaine aux racines Native American qu’il souhaitera conquérir dans The cigar store Indian, Elaine s’interrogera tout un épisode sur les possibles origines afro-américaines de son petit ami Darryl dans The Wizard, qu’une certaine Donna Chang s’avère caucasienne perturbera beaucoup l’essentiel du casting dans The Chinese Woman, George se cherchera longtemps un ami noir pour complaire à son patron dans The Diplomat’s Club, The English Patient jouera sur la confusion autour d’une livraison de Cubains à Kramer, en fait des réfugiés politiques et pas des cigares, un Jerry très condescendant tout en se croyant serviable conduira l’aimable Pakistanais Babu Bhatt à la ruine puis à l’expulsion du territoire américain dans The Cafe et The Visa, et Kramer logera littéralement des touristes japonais désargentés de petit format dans les tiroirs de sa commode dans The Checks. Inenvisageables aujourd’hui, ces blagounettes surpassaient d’assez loin en qualité le travail d’un Michel Leeb.
Rire de tout, en bonne compagnie
La série trouve aussi matière à rire dans les situations de handicap, ce qui peut à nul doute être considéré comme clivant mais fonctionne ici de manière systématique. Danny Woodburn, comédien de petite taille, interpréta plusieurs fois le personnage de Mickey, un acteur ami de Kramer. Voir se castagner à de multiples reprises un schtroumpf et un grand échalas, dont un soir de double date au restaurant (The Yada Yada), est toujours un succès. Lorsque Jerry sort avec une juge de ligne sourde de l’US Open dans The Lip Reader, George en profite pour tenter d’utiliser ses compétences en lecture labiale en vue de comprendre ce que son ex raconte sur son compte à une soirée. L’acteur comique Rob Schneider fait une apparition dans The Friars Club : il est un nouveau collègue d’Elaine que celle-ci soupçonne de feindre des problèmes auditifs pour éviter qu’on lui confie des dossiers. Dans The Handicap Spot, la légendaire pingrerie de George aboutit à ce que Kramer offre un fauteuil roulant d’occasion à une femme qui lui a tapé dans l’oeil… et ses freins sont hélas un tantinet fatigués. Acheteur d’une nouvelle paire de lunettes très féminine dans The Glasses — « Je ne sais pas quoi dire, Elton », répond Jerry quand son avis est sollicité — George finit par échanger sa monture avec celle d’un aveugle.

The finale, ultime épisode de la série qu’on divulgâchera le moins possible, voit nos héros moquer un obèse victime d’un délit… au risque d’un fameux retour de karma. Bref : nulle compassion excessive chez les auteurs de Seinfeld, dont la férocité s’étend d’ailleurs aux victimes de maladies. Toujours hors champ, l’enfant-bulle que Jerry consent — à regret — à venir saluer dans The Bubble Boy, et qui finira juste par rencontrer George, s’avère tout à fait insupportable. Kramer et Jerry font littéralement tomber un bonbon dans la plaie d’un ex d’Elaine en condition critique alors qu’ils assistent à son opération (The Junior Mint). Dans The Scofflaw, Jerry et George percent à jour un ami mythomane et prétendument cancéreux qui ne l’emportera pas au Paradis. La pathologie mentale n’est pas oubliée : l’ex conseiller du maire Dinkins jugé responsable de son échec électoral dans The Non-Fat Yoghurt, Lloyd Braun, est longtemps hospitalisé en psychiatrie : dans The Gum, Kramer le prend sous son aile à sa sortie et veille à ce que rien ne lui rappelle son état, après quoi Jerry est contraint à toute sorte d’excentricités pour qu’il se sente normal. George soupçonne sa compagne mannequin d’être boulimique et impliquera la mère de Kramer, dame-pipi de son état, dans sa combine pour la démasquer : c’est dans cet épisode intitulé The Switch qu’on apprendra enfin le prénom de Kramer. Même tenter d’en finir est matière à rigolade : The Suicide met en scène un voisin de Jerry dans le coma après avoir tenté d’attenter à ses jours, et dont la compagne n’a aucun scrupule à le séduire alors qu’ils sont tous deux à son chevet. Et puis comment ne pas évoquer l’inoubliable The Jimmy, lorsqu’un Kramer paralysé du visage et portant d’amusantes chaussures de basketball au sortir de chez le dentiste se retrouve invité d’honneur d’un dîner de bienfaisance en faveur des adultes handicapés mentaux…
Mangez tout, c’est du bon gras
Si les 90s furent la décennie d’une reconnaissance de l’homosexualité dans l’entertainment en général et les sitcoms en particulier, Seinfeld conserva de fait un regard sarcastique sur la thématique. Dans The Outing, l’un des épisodes les plus fameux de la série, la rédactrice d’une feuille de chou de la New York University interprète mal une plaisanterie et affirme dans son papier que Jerry vit en couple avec George. La réplique « Mais il n’y a rien de mal à ça ! » entre dans la légende de la télévision américaine. Un être aussi bourré de complexes que George Costanza, capable de marteler à la cantonade le concept de « shrinkage » ou « rétrécissement » après qu’une femme l’a vu tout nu au sortir d’une piscine (The Hamptons), était voué à s’interroger tôt ou tard sur sa nature profonde ; ce sera le cas dans The Note, lorsqu’un certain Raymond aura remplacé sa masseuse habituelle et qu’il racontera, terrifié, la séance à Jerry : « Je crois qu’elle a bougé ! » Il y a peu d’individus ouvertement gays dans l’imposant casting de Seinfeld — plus d’un millier de personnages en 9 saisons —, mais ils ne collent bien sûr pas aux stéréotypes attendus. Cedric et Bob composent ainsi un duo de bullies qui menacent et malmènent Kramer dans 3 épisodes des dernières saisons (The Soup Nazi, The Sponge et The Puerto Rican Day). La Kavorka incontrôlable de Kramer le conduit à séduire une professeure de golf lesbienne prénommée Mona dans The Smelly Car. Mais quand Elaine joue la petite amie d’un bel homosexuel qui doit se rendre à l’opéra avec son patron conservateur dans The Beard, et qu’elle croit un temps l’avoir « converti »… ce sera en pure perte.

Pour en finir avec l’humour borderline de Seinfeld, on fera à peine allusion à une fin de saison 7 hallucinante de noirceur assumée (The Envelopes). Il faut aussi saluer la faculté de la série à déraper dans le franchement scabreux tout en demeurant irrésistible. George est obsédé par les toilettes confortables : il tient une cartographie mentale très précise des meilleures de Manhattan (The Busboy), démissionne de rage quand son patron lui interdit les siennes (The Revenge) et s’accroche à un emploi où il est haï pour la qualité des gogues réservées aux handicapés auxquelles son contrat lui garantit l’accès (The Voice). The Fusilli Jerry tourne tout entier autour du thème de la proctologie ; Kramer y récupère des plaques d’immatriculation libellées « ASSMAN » qui ne lui étaient pas destinées et Frank Costanza y finit malencontreusement par se faire extraire un très improbable corps étranger du fondement. The Stall voit Elaine poursuivre d’une impitoyable vendetta la voisine de toilettes qui refusa de la dépanner d’une feuille ou deux. The Pothole est l’occasion de voir Jerry faire tomber la brosse à dents de sa petite amie Jenna — interprétée par Kristin Davis, star de Sex in the City — dans la cuvette des WC, ce qui rendra illico la malheureuse infréquentable pour ce grand malade de la propreté ; rassurez-vous, elle se vengera. The Pick donne lieu à un débat peu ragoûtant sur la différence fondamentale entre se tripoter le nez en vue d’un scratch — soit un gratouillis standard — ou un pick — soit un curetage en bonne et due forme. Ne faites même pas semblant de froncer le sourcil face à toute cette trivialité : elle fait mouche à chaque fois.
Pour 4 milliards de dollars de plus…
Drôle, Seinfeld l’est à l’extrême, et dans une multitude de registres, mais l’humour estampillé Seinfeld-David ne doit pas faire oublier un sens du récit particulièrement affûté. Un épisode typique de la sitcom fait s’entrelacer avec fluidité les arcs narratifs des quatre stars, et rehausse chaque éclat de rire final d’un sentiment d’accomplissement après qu’on en a suivi pas à pas la construction rigoureuse. Le défi n’est pas mince en 23 minutes — voire 45 dans la huitaine de cas où l’on eut affaire à un diptyque. On remarquera à ce propos que la grande majorité du show est conçue en épisodes largement indépendants, exception faite de deux intrigues au long court : la conception du « show about nothing » évoquée plus haut en saison 4, et de bien étonnantes fiançailles en saison 7. Si Seinfeld fit preuve d’une audace croissante en matière d’humour osé et de situations abracadabrantesques, la narration suivit jusqu’au bout sa recette éprouvée. Il convient toutefois de mentionner le surprenant The Betrayal, monté à l’envers et qui raconte un mariage auquel assistent Elaine, Jerry et George en Inde, ainsi que les formidables pastiches de films celèbres qu’on discerne dans certains épisodes : dans The Boyfriend, Jerry décortique une anecdote de crachat à la sortie du stade des New York Mets pour reconstituer l’impossible trajectoire d’un « glaviot magique » ouvrant la voie à l’hypothèse d’un « second cracheur », tel Kevin Costner dans JFK, dans The Chicken Roaster Elaine va retrouver son patron J.Peterman au fin fond de la jungle birmane pour lui faire signer une note de frais, réminiscence de Martin Sheen et Marlon Brando dans Apocalypse Now, et dans The Cadillac un Morty Seinfeld en disgrâce quitte sa résidence floridienne sous les acclamations de ses derniers fidèles comme Richard Nixon dans le film qui porte son nom.

The Cadillac est d’ailleurs l’ultime (double) épisode que Jerry Seinfeld cosigna en tant qu’auteur, au milieu de la septième saison, à l’issue de laquelle Larry David jeta lui aussi l’éponge — il continuerait néanmoins à faire la voix du (véritable) patron des New York Yankees George Steinbrenner et reviendrait pour signer l’épisode final. Notons que la qualité générale du show ne s’en est pas véritablement ressentie, les saisons 8 et 9 recelant de purs joyaux d’écriture ; Jerry y conservait un droit de regard sur les textes finaux. C’est donc sur cette dernière — et un ultime pied de nez qui divisa inévitablement les fans de l’époque — que s’acheva la saga Seinfeld, malgré les 5 millions de dollars par épisode proposés au principal intéressé par NBC pour poursuivre. Interviewé dans la foulée par Larry King sur CNN, ce dernier supporta mal que son hôte suggérât une éviction subie. Il enchaîna sur un retour au stand up et des projets de moindre importance dont Comedians in cars getting coffee, Julia Louis-Dreyfus brilla de mille feux sur HBO dans Veep, 6 fois récompensée par un Emmy Award entre 2012 et 2019, alors que Jason Alexander poursuivait une carrière d’acteur plus discrète, souvent comme doublure voix, et que Michael Richards échouait à établir un show à son nom avant de voir sa carrière de comique interrompue par une saillie raciste adressée à des spectateurs bruyants lors d’un spectacle donné à Los Angeles en 2006. Les quatre fantastiques se sont retrouvés en 2009 dans leur propre rôle autour de Larry David pour la 9e saison de Curb your enthusiasm, où il était question d’une reprise de Seinfeld qui n’eut d’ailleurs jamais lieu. En 2017, les rediffusions de la sitcom avaient rapporté plus de 4 milliards de dollars à ses ayants droit successifs… dont Steve Bannon, le très polémique conseiller de Donald Trump.
Une sorte d’anti-Friends ?
Pour décrire Seinfeld au public français qui l’ignora largement au temps de sa diffusion confidentielle sur Canal Jimmy, on peut évoquer une sorte d’anti-Friends. La sitcom de Marta Kauffman et David Crane décrivait elle aussi la vie de célibataires newyorkais, et les deux se chevauchèrent de 1994 à 1998 sur NBC. Courtney Cox fit même une apparition dans The Wife quelques mois avant ses premiers pas dans le célébrissime rôle de Monica Geller ; elle y interprète l’une des innombrables conquêtes de Jerry et tient à se faire passer pour son épouse afin de bénéficier des 25% de remise que lui accorde son teinturier. Bien connue chez nous comme dans le reste du monde, Friends suivait des adulescents au cœur d’or dans le cocon d’une ville où tout était possible, à une époque — certes marquée par le 11 septembre — où New York recouvrait son pouvoir d’attraction universel. Elle y était décrite comme la ville des possibles, celle des carrières réussies, des amitiés inaltérables et des amours qui durent. En comparaison, Seinfeld montrait les Newyorkais comme les percevaient le reste des Américains : des snobs névrosés et fondamentalement odieux. Nul hasard à ce que les audiences de Seinfeld aient surpassé celles de Friends sur leur marché domestique alors que la seconde triomphait partout ailleurs. En 10 saisons, les héros de Friends ont mûri et stabilisé leurs situations professionnelles, se sont mariés — parfois plusieurs fois — et ont fait des enfants. En 9, ceux de Seinfeld n’ont rien appris. « No learning, no hugging » : ni leçons, ni câlins, telle fut la devise affichée dans la salle de réunion des auteurs de Seinfeld pendant toute la durée de la série. Elaine, Jerry, George et Kramer sont restés égoïstes et immatures jusqu’au bout, au moins l’un d’entre eux terminant chaque épisode en fâcheuse posture. Dans The Bizarro Jerry, dont est extraite la citation initiale, Elaine est à deux doigts d’échanger ses trois meilleurs amis contre un brelan de garçons responsables, bienveillants, et d’une remarquable curiosité intellectuelle. Elle se ravise. Comme on la comprend.
