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L’expression « bagel » désigne, en tennis, un set remporté sur le score sans appel de six jeux à zéro ; comme de juste, un « double bagel » s’utilise en cas de rouste mémorable – 6/0 6/0, pour ceux qui ont suivi. Selon cette logique, le succès d’Errol Spence Jr. sur Mikey Garcia, cette nuit à Arlington, est un double bagel unanime, puisqu’aucun des trois juges n’accorda le moindre round au challenger sur les 12 que compta le championnat du monde IBF des poids welters. Pire, Glenn Feldman, par son 120-107, estima qu’une reprise valait 10-8 pour Spence, un pointage rare en l’absence d’un knockdown. C’est dire à quel point Errol « The truth » Spence a survolé ce duel de texans invaincus.
Qu’avait donc vu Mikey Garcia ?
Je ne réécris pas l’histoire à mon avantage en rappelant ici la circonspection dans laquelle m’avait plongé l’annonce de ce combat. Certes talentueux, le champion plume, super-plume, léger et super-léger Mikey Garcia présentait fort peu d’atouts sur le papier par rapport à son cadet : Spence bénéficiait d’une taille et d’une allonge supérieures, d’une vitesse équivalente, d’un vécu plus important en welter, comme d’une puissance et d’un menton déjà éprouvés dans la catégorie. Réduite, la marge de Garcia se situait donc sur les plans technique – face à un gaucher loin d’être manchot dans le domaine -, psychologique, puisque la pression était tout entière sur un Spence en quête d’un premier succès de prestige, et tactique.
C’est sur ce dernier point que l’on attendait Garcia, boxeur doté d’une palette de coups très complète, à la fois intelligent et adaptable sur le ring. S’il avait accepté ce combat, c’était forcément, comme disent les fans de boxe, « parce qu’il avait vu quelque chose » à exploiter chez son adversaire qui lui permettrait de refaire le coup d’Hagler – Leonard. A posteriori, on peut imaginer que son pari était le suivant : confiant en ses moyens physiques, Spence se jetterait à l’attaque sans précautions, tel Golovkin face à Kell Brook, et s’ouvrirait ainsi aux contres milimétrés que permettent à Garcia son timing et sa précision coutumiers. Le punch de Mikey finirait par user Spence, et son menton lui permettrait de tenir la distance. Or, au grand dépit du camp Garcia, seul ce dernier point se vérifia hier soir. Si Mikey a une aussi grosse tête, c’est – heureusement pour lui – qu’il a le crâne épais.
Spence impose sa vérite
Dès le premier round, Spence indiqua clairement ses intentions : il s’appliqua à maîtriser la distance et travailler en jab, tenant Garcia et ses bras courts hors de sa zone de confort. Loin de chercher la bagarre, le champion en titre posait sa boxe. La reprise suivante fut elle aussi consacrée à l’observation, et c’est l’une des deux seules attribuables à Garcia – avec la 7e, où son adversaire s’octroya une pause -, qui parvint à placer deux bons crochets en contre. Tout le reste des débats, dont il faut saluer la grande propreté, fut un vrai récital de The Truth. Jab autoritaire, constant martèlement du gauche à la ceinture, larges crochets contournant la garde toujours haute de Garcia… Mikey avait beau lever le poing à l’issue de certains rounds, il ne faisait guère de doutes qu’il les avait perdus.
La moindre alerte vit Spence ajuster son jeu de jambes pour priver Garcia d’un bon angle d’attaque. Il s’imposa dans les échanges à distance comme dans les rares séquences épaule contre épaule. Notons que malgré le faible nombre de coups au but de son challenger, le visage du champion finit marqué : le punch de Mikey Garcia reste sans doute convenable en welters, comme l’est son menton, vu la quantité de coups qu’il encaissa sans jamais sembler sonné, de la part d’un adversaire dont le punch a pourtant fait ses preuves. Spence, qui parut lever le pied dans le dernier tiers du combat, avait dominé Garcia en boxe pure plutôt que sur ses – grandes – qualités physiques.
A qui le prochain double bagel ?
Peut-être gêné par la prise de poids, ce dernier sembla plutôt lent dans ses déplacements, et peu à son aise une fois obligé d’avancer. De quoi donner des idées à Vasyl Lomachenko au cas très hypothétique où les deux s’affronteraient enfin à 135 ou 140 livres. En welters, Garcia peut donner du fil à retordre à des cadors de moindre calibre que Spence, mais il y sera bien moins serein que dans les catégories inférieures. Il n’y a aucune honte à s’être incliné face à l’excellent boxeur qu’est aujourd’hui Errol Spence Jr. ; on peut même saluer le courage qu’il fallut à Garcia pour lui lancer un tel défi. En revanche, la clairvoyance de son camp est en question, vu le peu d’efficacité de la tactique choisie et l’écart béant à l’arrivée.
Son net vainqueur du soir tient, lui, son succès de référence, puisqu’il a surclassé en styliste un champion invaincu laissé sans solution. La planète boxe attend désormais le choc entre Spence et une autre sensation toujours vierge de défaites : le champion WBO Terence Crawford. Las, l’appartenance de celui-ci à l’hermétique écurie Top Rank rendra le combat aussi délicat à finaliser qu’un Garcia – Lomachenko. Les options les plus vraisemblables pour Spence consistent à viser la ceinture WBC de Shawn Porter – qu’on aimerait plutôt voir accorder une revanche méritée à Yordenis Ugas – ou le titre WBA « régulier » de Manny Pacquiao. Ce dernier était d’ailleurs présent la nuit dernière à Arlington, et y sembla favorable. En conférence d’après-combat, Errol Spence Jr. se dit tout aussi ouvert à l’idée d’aider le philippin à obtenir sa « prime de retraite ». Les inconditionnels du quadra Pacquiao – dont je suis – peuvent se préparer, dans le meilleur des cas, à un nouveau double bagel à la sauce texane…