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Comme son créateur Jo Nesbø, l’enquêteur Harry Hole – prononcer ‘Harrry Houle’ – est norvégien, quinquagénaire, aime le vieux rock, arbore un visage buriné et pose un regard acerbe sur les failles de son ancien pays de pêcheurs incultes, devenu grâce au pétrole une social-démocratie aussi riche qu’à la mode. Si le personnage principal de La soif reste à ce point attachant à sa onzième sortie, en dépit d’un goût pour l’autodestruction né d’une inaptitude au bonheur ruminée à longueur de pages, c’est que l’on ressent en permanence la profonde empathie de l’auteur.
Pour avoir eu la chance de l’entendre à Paris il y a quelques semaines, Nesbø est un écrivain rare, vendu à des dizaines de millions d’exemplaires, qui conserve un équilibre épatant entre chaleur et timidité dans la posture, profondeur et humilité de ses réponses, plaisir manifeste de vivre de sa passion et évidentes zones d’ombre dans son rapport à l’écriture – presque fataliste dans sa façon d’en parler, il rappelle son héros accro malgré lui à la chasse aux criminels. Jusque dans l’exercice promotionnel le plus convenu, l’apparente sincérité du bonhomme impressionne. On en a vu cabotiner beaucoup plus et vendre infiniment moins.
Sans doute est-ce l’humanité de Jo Nesbø qui élève ses polars parmi les tous meilleurs du siècle. Qu’on ne s’y méprenne pas : il est avant tout un gros bosseur qui maîtrise toutes les figures imposées du thriller. Chaque intrigue est dense, fondée sur un imposant travail de recherche, quantité de fausses pistes, illuminations et scènes d’action au cordeau, sans oublier de touchantes pointes de lyrisme (NB : manifestement réalisée avec les pieds, la récente adaptation éponyme au cinéma du Bonhomme de neige ne rend pas justice à leur créateur). Le commentaire historique et social est acéré, et l’humour à froid parfaitement dosé, tandis que presque aucun des nombreux détails ne reste anodin jusqu’au bout.
Mais l’on revient sans cesse à la série pour la grande justesse des personnages, qu’ils soient récurrents – Harry, sa compagne Rakel et son beau-fils Oleg, et les flics plus ou moins à l’aise dans le moule, estimables, arrivistes ou mesquins – ou nouveaux venus – ici, des suspects délicieusement ambigus jusqu’au bout, une jolie brochette de victimes débusquées sur Tinder, et une journaliste bien en phase avec l’ère de l’instantanéité reine.
Une fois de plus, Harry Hole endosse avec talent le rôle de guide d’une bande de ‘misfits’ chargée de préserver le sommeil des bonnes gens. Désormais prof de fac et époux comblé, Harry doit reprendre du service à son corps défendant pour arrêter un psychopathe vampiriste qui terrorise Oslo, alors que Rakel semble atteinte d’un mal mystérieux. L’occasion pour l’enquêteur de récolter une nouvelle brassée de cicatrices et bleus à l’âme, tester sa capacité à préserver les siens, et résister encore à l’appel lancinant du Jim Beam.
Je ne saurais trop recommander aux débutants de commencer la série à ses débuts – L’homme chauve-souris – tant la trajectoire d’Harry Hole et de ses proches importe autant que ses exploits de super flic. Dans le pire des cas, La soif est un livre qu’appréciera n’importe quel amateur de polars complexes et fouillés, et qui réconcilie sans peine avec les best-sellers.