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Toute la boxe anglaise est résumée ici : au lendemain d’un superbe combat, sanctionné par un résultat globalement cohérent, ce qui fait du bruit dans le Landerneau pugilistique est le pointage – certes incompréhensible – rendu par la juge Adelaide Byrd. Les décisions controversées sont à la boxe anglaise ce que les bastons sont au hockey sur glace américain : une plaie théoriquement inacceptable, difficile à éviter en pratique, devenue au fil du temps un plaisir coupable pour les observateurs et à laquelle il ne sera sans doute jamais remédié.
Que le plaisir de la polémique ne détourne pas les fans du souvenir des 36 minutes d’adrénaline pure offertes par les duettistes « GGG » et « Canelo ». J’avais pointé 5 matchs dans le match à l’approche de l’événement, et chacun a livré son lot d’enseignements.
1- GGG vs Father time : Papy Golovkin va bien, merci. Le menton en tungstène rappelle toujours celui de Marvin Hagler, le jab crépite comme une mitrailleuse, les jambes restent agiles et calées sur la marche avant. Le millésime 2017 de « GGG » est mieux conservé physiquement que le « Marvelous » Hagler de trente ans plus tôt face à Sugar Ray. Alvarez est le second adversaire de rang du Kazakh à tenir les 12 rounds, sans que la puissance de celui-ci ait semblé particulièrement érodée. La faute incombe en bonne partie au jeu défensif exceptionnel d’Alvarez, mais pas seulement.
2- Menton de Canelo vs Punch de Golovkin : Car « Canelo », même s’il revisite toujours plus brillamment le rôle de Neo dans Matrix en esquivant ou accompagnant les rafales adverses, a démontré qu’il avait un sacré menton. Après un premier tiers du combat à son avantage, l’élusif rouquin mexicain a goûté au mortier tartare, qui l’a fait reculer, certes, mais sans jamais sembler proche de l’étourdissement passager ou du voyage au tapis. Aucun doute n’est plus permis : celui qui fut un grand super welter est désormais un vrai poids moyen. Et un robuste, avec ça.
3- Jab de GGG vs Contres de Canelo : Ce duel-là aura fasciné tout au long du combat, et il se solde sur un match nul que reflète le résultat final. Le jab de « GGG » a fonctionné comme un piston, lui permettant à la fois de scorer – il termina en avance en coups portés et réussis – et d’avancer, tout en paliant la relative inefficacité de sa droite. Comme Jacobs avant lui, « Canelo » a su lire celle-ci et souvent l’esquiver ou en atténuer les effets. Inversement, c’est lui qui a marqué les coups puissants les plus remarquables, grâce à de nombreux contres au timing parfait. Mais Golovkin est bien plus que la caricature de puncheur unidimensionnel qu’en font ses détracteurs, et son gauche lui a suffi à entraîner le Mexicain dans le long combat front contre front auquel il aspirait. Jamais mis dans le vent par un technicien de premier plan, il a lui aussi réussi son test.
4- Canelo vs Les cordes : Alvarez a entamé le combat en virevoltant, par la grâce d’un jeu de jambes inhabituel chez lui qui dura 3 à 4 rounds, le temps que le rouleau compresseur Golovkin se mette en branle. Il passa beaucoup de la portion médiane du combat le dos aux cordes, précisément là où souhaitait l’emmener « GGG ». Et force est de lui reconnaître une capacité de survie très inhabituelle en milieu si hostile. Rares furent les moments d’alerte, quand bien même les coups pleuvaient. On pouvait craindre pour le cardio de « Canelo », manifestement émoussé au 8eme round. Le second souffle qu’il montra au 10eme pour finir le combat en trombe, luttant pied à pied au centre du ring, a clairement surpris et suggère que le Mexicain en avait délibérément conservé sous la semelle. Ce qui nécessite, contre la machine adverse, autant de préparation que de sang-froid.
5- Corps vs Corps : Entre ces deux amateurs d’abats patentés, c’est d’Alvarez qu’est venu le travail au corps le plus convaincant. Peut-être a-t-il facilité le retour de « Canelo » au centre du ring à la fin du combat en ralentissant imperceptiblement le Kazakh. Toujours est-il que « GGG » s’en voudra peut-être d’avoir pour une fois négligé ce secteur, lui qui semblait avoir son adversaire à sa main aux deux tiers du combat.
Le résultat :
En supposant que le combat aille à son terme, il suffisait de ne sous-estimer aucun des deux hommes pour prédire un résultat serré : chacun disposait d’atouts permettant d’exploiter les faiblesses de l’autre. Dans ce cas, un rapide coup d’oeil à l’historique de pointages douteux en faveur de « Canelo » laissait peu de place à l’hypothèse d’une décision favorable à « GGG ». J’aurais donné ce dernier gagnant d’un ou deux points, mais un nul relfète bien la physionomie de ce duel intense et passionnant de bout en bout, sans doute le meilleur championnat du monde des poids moyens que j’aie eu la chance de voir en direct. Une victoire d’Alvarez aurait été d’autant moins compréhensible que Danny Jacobs était mieux parvenu à sortir Golovkin de sa zone de confort, sans se voir attribuer la décision pour autant.
Une revanche est inévitable. Gageons que « Canelo », d’une amertume d’enfant gâté à l’annonce du verdict des juges, aura encore progressé et affiné son approche tactique. Alors que « GGG », qui mérite amplement le chèque à huit chiffres synonyme d’un second superfight, aura poursuivi un combat perdu d’avance contre « Father Time ». De quoi faire d’Alvarez un favori logique, toute considération politique prise par ailleurs, en gardant à l’esprit qu’un Golovkin plus concentré sur le bodywork sera toujours un adversaire redoutable.
Une nouvelle grande affiche a tenu toutes ses promesses, alors qu’un duel inédit entre doubles champions olympiques – Vasyl Lomachenko vs Guillermo Rigondeaux – est officialisé pour le 9 décembre en super-plumes, et que la perspective d’un choc de lourds opposant Deontay Wilder et Luis Ortiz en fin d’année se fait chaque jour plus concrète. Honnêtement, entre fans : que pèse vraiment une scorecard fantaisiste dans une année 2017 bien partie pour marquer l’Histoire de la boxe anglaise ?