Ce papier ne concerne pas à proprement parler deux boxeurs obscurs, comme le titre de la rubrique semble le suggérer. Mais il faut bien reconnaître que l’américain Matthew Saad Muhammad, né Maxwell Antonio Leach puis rebaptisé Matthew Franklin dans un orphelinat de Philadelphie, a exercé sa domination sur la catégorie des mi-lourds à une époque dont les Four Horsemen Duran, Leonard, Hagler et Hearns drainent aujourd’hui l’essentiel de l’attention des passionnés.
Saad Muhammad a défendu victorieusement sa couronne WBC à 8 reprises, après sa conquête de 1979 contre Marvis Johnson. Cette belle série, ainsi que la qualité des quelques fameuses guerres de tranchées dans lesquelles il s’engagea, lui valurent une entrée au Hall of Fame aux côtés des plus grands mi-lourds de l’histoire de la boxe, les Gene Tunney, Ezzard Charles, Harry Greb, Archie Moore, Billy Conn et autres Michael Spinks, dont il fait sans doute partie des 15 à 20 premiers. Il était un prototype de champion américain dans ce qui est peut-être la plus « américaine » des catégories majeures du noble art. Dur au mal, actif, prenant l’initiative, techniquement complet, doté d’un bon jeu de jambes, capable de combinaisons et construisant ses succès sur un très beau jab, il s’empara du titre nord-américain des mi-lourds en 1978 contre le mexicain Yaqui Lopez par KO au 11e round.
Et c’est ce même Yaqui Lopez qui le challenge pour le titre WBC le 13 juillet 1980 au Great Gorge Playboy club de McAfee, New Jersey. Les mexicains qui ont brillé dans la catégorie sont infiniment plus rares que les américains, mais Yaqui Lopez est un adversaire à ne pas sous-estimer. Efflanqué, doté de longs segments, le visage taillé à coups de serpe, Lopez évoque une sorte de Carlos Monzon du pauvre, et s’il compte déjà 9 défaites le jour du combat, on peut affirmer que des juges partisans le privèrent d’au moins une décision sur ses 2 confrontations contre l’argentin Victor Galindez pour la ceinture WBA de la catégorie.
Les 3 premiers rounds montrent assez bien l’opposition de styles entre Saad Muhammad et Lopez. L’américain dirige les échanges à distance, son jab est plus rapide et il n’hésite pas à doubler, ou enchaîner sur la droite au corps, voire entamer l’échange avec la droite ou le crochet gauche. Face à lui, Lopez est d’abord prudent et un peu emprunté derrière une garde haute. Il s’en tient au jab, manque de timing et n’enchaîne pas. C’est quand la distance se réduit qu’il fait valoir une belle technique de près en crochets et uppercuts, servi par de très bons appuis.
Lopez cadre de mieux en mieux Saad Muhammad aux 5e et 6e rounds, alors que les échanges se durcissent et que les coups se font plus nets. Le combat est serré à l’issue du 6e, même si c’est le champion qui reste globalement le plus actif.
La fatigue prend son tribut sur les deux hommes, en particulier sur Saad Muhammad qui boxe désormais la bouche ouverte. Les deux hommes se rendent coup pour coup au 7e. Puis arrive la 8e reprise, et le combat devient dantesque. Saad Muhammad décide d’imposer l’épreuve de force de près sans laisser à Lopez le temps de s’organiser et de contrer. Il remporte d’abord un certain succès mais manque de précision avec sa droite plongeante en fin de combinaisons. Ouvert à l’arcade droite, Lopez laisse passer l’orage et parvient à cadrer. C’est Saad Muhammad qui subit alors une terrible série. Dur au mal, il se paye le luxe de chambrer son adversaire alors qu’on le sent au bord de la rupture… Mais épuisé par ses efforts, Lopez baisse le rythme, et la fin de ce round dément voit l’américain reprendre le dessus. Ce genre de reprises laisse des traces, et lors d’un 9e round moins intense Saad Muhammad reprend la main.
Saad Muhammad et Lopez partagent les 10e et 11e rounds, en poursuivant chacun dans leur style caractéristique, certes moins aériens qu’en début de combat. Et l’épreuve de force reprend au 12e, que Saad Muhammad emporte de justesse après que l’avantage a plusieurs fois changé de gants. Le plan de coupe sur les bunnies du Payboy Club local donne un certain cachet à la retransmission.
Après un 13e round à l’avantage du champion, le 14e est celui du dénouement, spectaculaire et dramatique. L’un des deux boxeurs est manifestement là pour en finir et ne pas attendre une décision risquée… et ça paye, face à un homme qui se relèvera tout de même 4 fois.
Ceux qui auront visionné l’intégralité de l’affrontement ne seront pas surpris d’apprendre qu’il fut désigné combat de l’année 1980 par le magazine The Ring.
Matthew Saad Muhammad s’offrira encore quelques victoires épiques avant de baisser pavillon contre le char d’assaut Dwight Muhammad Qawi, face auquel une certaine érosion ne pardonnait pas, et qui emportera leurs deux affrontements par KO. La fin de carrière de Saad Muhammad fut plutôt douloureuse, puisque qu’entre le premier combat face à Qawi et sa dernière apparition, l’homme enregistra 14 de ses 16 défaites, le tout en 22 sorties… Quant à Lopez, il perdit son combat suivant face à un jeune Michael Spinks, et n’emporta finalement aucun titre mondial en 4 tentatives.