Top 10 / n°4 et n°5 : Le tonnerre, ou l’éclair ? (Partie 2)

La suite d’une tentative de classement des plus grands poids lourds de l’histoire :

Les n°6 à 9 ne seraient probablement pas capables de battre ceux qui les précèdent dans ce classement au meilleur d’une trilogie. Ils restent malgré tout des champions aux accomplissements légendaires, ainsi que des athlètes magnifiques qui contribuèrent à faire progresser leur sport aux plans physique et technique. Quatre champions en noir et blanc et autant de surnoms mythiques : Jack Johnson, « The Galveston Giant », Rocky Marciano, « The Brockton Blockbuster », James Jeffries, « The Boilermaker », et Jack Dempsey, « The Manassa Mauler ».

n°9, Jack Dempsey est peut-être la première des superstars qu’ait connue la boxe, une sorte de Mike Tyson avant l’heure, dont le rayonnement dans les années 20 surpassa celui de bien de ses héritiers postérieurs à l’avènement de la télévision. Sa défense de titre contre le vétéran français de la première guerre mondiale Georges Carpentier, issu des mi-lourds, est entrée dans l’histoire comme ayant été à la fois le premier championnat à rapporter un million de dollars, et le premier à avoir été retransmis en direct à la radio. Dempsey avait un style caractérisé par une garde très ramassée et très mobile, et la capacité à accélérer brusquement en enchaînant des séries au corps et à la face avec une puissance inédite. Son style offensif est le modèle de bien des puncheurs de petit format lui ayant succédé, n’ayant pas son pareil pour réduire la distance grâce à un jeu de jambes en avance sur son temps, et son crochet du gauche n’a guère été surpassé que par celui de Joe Frazier après lui.

En plus de son exécution d’un courageux Carpentier qui eut la malchance de se casser un pouce au premier round, deux de ses combats sont entrés dans les annales de son sport par leur extrême brutalité : d’abord, la conquête du titre face au tombeur de Jack Johnson, Jess Willard, qu’il mit à terre 7 fois au premier round. Ce combat est un modèle de technique à l’usage de tout boxeur devant résoudre un problème d’allonge a priori insoluble. Willard finit dans un tel état, abandonnant à l’appel du 4e round, que les allégations de lestage de ses gants poursuivirent longtemps Jack Dempsey. Ensuite, son pugilat dantesque face à l’argentin Luis Firpo, qui rendit les armes après 7 knockdowns en 2 rounds, non sans en avoir lui-même scoré 2, dont un ayant littéralement projeté Dempsey hors du ring. La force brute d’un Dempsey entamant son déclin finit par rencontrer un obstacle insurmontable en la personne de Gene Tunney, ex-champion des mi-lourds. « The fighting marine », aussi analytique et calme que Dempsey était un cyclone sur le ring, emporta une première décision en 1926 en s’appuyant sur son art de l’accrochage et la précision de sa boxe à mi-distance. Après que Dempsey domina en 7 rounds leur futur successeur Jack Sharkey dans l’intervalle, Tunney remporta la revanche, non sans avoir bénéficié d’un répit de plusieurs secondes au delà des 10 réglementaires après avoir subi un knockdown au 7e round, et avoir lui-même envoyé Dempsey au tapis au 8e. Cette revanche entra dans les annales sous le nom de « The long count ». Qu’on aurait aimé voir Dempsey boxer un Jack Johnson ou un Sam Langford …

N°8, Jim Jeffries est le champion du début du 20e siècle dont le physique évoque le plus les poids lourds musculeux de ces dernières décennies, celui d’un athlète en avance sur son temps. Il est aussi le membre du Top 10 à compter le moins de combats professionnels (22), et probablement celui dont la carrière fut la plus dense puisqu’il affronta à 9 reprises d’autres membres du Boxing Hall of Fame. Ayant développé une silhouette massive en travaillant à la mine, Jeffries entama par hasard sa carrière pugilistique en triomphant d’un boxeur itinérant sans avoir jamais suivi de vrai entraînement au noble art. S’il finit par développer une technique efficace, en devenant notamment le sparring partner de l’ex-champion Jim Corbett, c’est plus un fréquent avantage d’allonge et de poids (surpassant la plupart de ses adversaires de 30 à 40 livres), la puissance explosive de son punch et un menton en granit qui lui valurent de briller autant face à des hommes autrement plus expérimentés, en commençant par le grand puncheur californien Joe Choynski qu’il poussa au match nul pour son 7e combat professionnel. Après des victoires sur le légendaire mais déclinant champion australien Peter Jackson et le grand bagarreur irlandais Tom Sharkey, il put défier pour son 13e combat l’anglais Bob Fitzsimmons, champion des lourds anciennement titré en moyens, et sans doute l’un des plus grands puncheurs de l’histoire. Comme souvent avec Jim Jeffries, le combat fut plus que sanglant et se solda par une victoire par KO. Jeffries défendit victorieusement son titre à 6 reprises, remportant notamment les revanches accordées à Fitzsimmons et Sharkey, ainsi qu’en stoppant 2 fois son ancien mentor Jim Corbett, et se retira invaincu en 1904.

Son come-back 6 années plus tard, alors que le temps avait sensiblement érodé ses qualités physiques, répondit à l’appel désespéré d’un public très majoritairement blanc, et excédé de voir son successeur afro-américain Jack Johnson triompher facilement de ses challengers caucasiens. L’écrivain Jack London lui écrivit : « L’homme blanc doit être secouru ». Jeffries releva le défi, et mal lui en prit : il subit dans une enceinte construite pour l’occasion une vraie leçon de boxe défensive, et visita le tapis pour la première fois avant d’achever sa carrière sur un KO technique. Si la victoire de Johnson fut accompagnée d’une vague de crimes et délits racistes un peu partout aux Etats-Unis, on peut rendre cette justice à Jim Jeffries qu’il assura après sa défaite qu’il « n’aurait jamais pu toucher Johnson en 1000 ans de combat », lui qui avait prétendu remettre les gants « dans l’unique but de prouver qu’un homme blanc est meilleur qu’un nègre ». Comme quoi une bonne correction remet parfois les idées en place.

n°7, Rocky Marciano, dont vous trouverez plus de détails sur la carrière dans la bio de Willie Pep, est l’une des icônes absolues de la boxe anglaise, aidé en cela par un palmarès incomparable de 49 victoires en autant de combats, dont 43 par KO. Marciano était un poids lourd de petit format, mais bénéficiait d’une préparation physique en avance sur son temps, ainsi que d’une résilience et d’un courage exceptionnels, en dépit d’une défense poreuse et d’une technique somme toute limitée (bien qu’elle n’exclût pas une certaine roublardise). Un courage et une endurance presque aussi rares en fait que la puissance de Suzie Q, sa terrible droite. Ce qui empêche Rocky Marciano de prétendre à un rang plus élevé tient à la qualité de son opposition, notamment en championnats du monde : parfois de grands noms, certes, mais d’un âge avancé et certainement au delà de leur meilleure époque (Ezzard Charles, « Jersey » Joe Walcott, Joe Louis, Archie Moore), voire issus d’une catégorie inférieure (Ezzard Charles, Archie Moore). Reste qu’il est difficile de lui reprocher d’avoir battu tous les hommes qui l’affrontèrent, et que son absence de défaites en carrière professionnelle en fait un cas à part dans la hiérarchie des champions incontestés des poids lourds.

Le n°6 n’est autre que Jack Johnson, également évoqué dans la bio de Sam Langford. Il serait abusif de faire de Johnson un grand boxeur du seul fait d’avoir été le premier noir à remporter le championnat du monde des poids lourds. Jamais avant lui un combattant de la catégorie reine ne combina des capacités physiques d’exception avec une approche défensive quasi scientifique. Johnson utilisait ses mains pour dévier les coups de ses adversaires, et attendait l’ouverture pour porter les attaques les plus décisives. Invaincu de 1905 à 1915, il conquit le titre mondial aux points en 1908 face au « petit » Tommy Burns (168 livres seulement), et le céda au géant Jess Willard en 1915 par KO au 26e round après l’avoir défendu 8 fois. Comme on l’a vu, il conserva notamment son titre contre l’ancien champion mythique et invaincu Jim Jeffries.

Détesté par une part importante de l’establishment et n’hésitant pas à s’afficher en compagnie de femmes blanches (il fut considéré comme délinquant pour avoir franchi les limites d’un Etat avec l’une d’elles, ce était assimilé à de la traite), il dut notamment s’exiler à Paris ou a Cuba pour disputer certains de ses championnats. Si l’on précise que, malgré le choix exclusif de challengers blancs une fois le titre en poche, il avait précédemment remporté ses combats face aux autres terreurs noires de son temps (Sam Langford, boxant certes en moyens, Sam McVea et Joe Jeanette) et contre les références Bob Fitzsimmons, Stanley Ketchel et « Fireman » Jim Flynn, Jack Johnson mérite une place de choix dans le gotha de sa catégorie.

« Come on now, Mr. Jeff. Let me see what you got. Do something, man. This is for the championship. » Jack Johnson, chambrant son adversaire en plein combat

Les n°3 à 5 sont des boxeurs ultra-dominants, des grands gabarits dont les outils au sommet de leur carrière leur auraient probablement permis de régner à n’importe quelle époque. Ils ont pour noms Larry Holmes, « The Easton Assassin », Lennox Lewis, et George Foreman.

n°5, George Foreman, comme on l’a vu dans la bio de Ray Leonard, a reconquis le titre de champion incontesté des poids lourds à 45 ans passés, 21 ans après l’avoir enlevé une première fois. Il est probablement l’un des 5 ou 6 plus grands puncheurs de l’histoire de la catégorie avec Earnie Shavers, Joe Louis, Rocky Marciano, Mike Tyson et Sonny Liston, ce qui lui permit de remporter par KO 68 de ses 76 succès. Pas spécialement réputé comme défenseur, Foreman connut de durs voyages au tapis, comme contre Ron Lyle et Jimmy Young, mais ne compte au final qu’une défaite avant la limite en 81 combats pros, subie des mains de Muhammad Ali. On retiendra de George Foreman son style quasi mécanique et un poil lent, servi par une puissance hors normes et une envergure de 2m08, son travail des deux mains pour dévier les coups de ses adversaires, sa façon d’ouvrir légèrement le poignet en frappant, donnant l’impression d’asséner de titanesques gifles, mais aussi sa manière d’enchaîner plusieurs droites au moment de conclure, un peu à la façon d’un marteau piqueur. Si sa défaite de Kinshasa face à Ali est son combat le plus fameux, il faut se rappeler la façon dont il écrasa les autres stars de l’époque Joe Frazier et Ken Norton comme de vulgaires insectes, et une victoire en 4 rounds contre Ron Lyle qui rappellerait un Hagler-Hearns en version XXL. Le vrai drame de George Foreman est finalement d’avoir boxé à la même époque qu’Ali, lui qui était taillé pour dominer toute une décennie et ne détint le titre que 25 mois en tout.

Ici, un best-of de sa première carrière, de 1969 à 1977.

Et un best-of centré sur son come-back, de 1987 à 1997, en particulier son combat face à Michael Moorer.

n°4, Lennox Lewis peut se targuer comme Rocky Marciano d’avoir battu tous ses adversaires, en vengeant les 3 accidents de l’Histoire que furent ses défaites par KO contre les outsiders Oliver McCall et Hasim Rahman, et un match nul généreusement accordé à Evander Holyfield lors de leur première confrontation. D’origine jamaïcaine, Lewis remporta l’or aux JO de Seoul en 1988 sous les couleurs du Canada, battant par KO l’américain Riddick Bowe en finale du tournoi. Autre star des lourds des années 90, Bowe préféra abandonner le titre WBC en 1992 plutôt qu’avoir à réaffronter celui qui devint citoyen britannique après son passage en pros. L’anglais invaincu Henry Akinwande fut lui disqualifié parce qu’il s’accrocha constamment à Lewis sans donner un coup. C’est peu dire que le britannique était intimidant : un regard de sphinx, une taille d’1m96, une envergure de 2m13 et un poids oscillant le plus souvent entre 240 et 250 livres. Sans oublier un excellent sens tactique, une grande patience sur le ring, et un arsenal s’appuyant sur une garde hermétique, un jab interminable et une droite magique, donnée le plus souvent en cross plongeant ou en uppercut pour finir un adversaire.

La liste de ses victimes raconte l’histoire de la boxe des années 90 au début des années 2000 : Donovan Ruddock (KO 2e), Tony Tucker (déc.), Franck Bruno (KO 7e), Tommy Morrisson (KO 6e), Ray Mercer (déc.), Oliver McCall (KO 5e), Henry Akinwande (DQ, 5e), Andy Golota (KO 5e), Shannon Briggs (KO 5e), Evander Holyfield (déc.), Michael Grant (KO 2e), François Botha (KO 2e), David Tua (déc.), Hasim Rahman (KO 4e), Mike Tyson (KO 8e). C’est un Lewis hors de forme et visiblement en déclin qui affronta le redoutable Vitali Klitschko en 2003, dans un dernier combat dont les fans de l’ukrainien clament qu’il le dominait outrageusement… oubliant un peu vite que l’aîné des Klitschko ressemblait à un tableau de Francis Bacon quand l’arbitre arrêta la boucherie au 6e round. Prototype du poids lourd moderne, vainqueur de 15 de ses 18 championnats du monde, Lennox Lewis avait pour unique faiblesse un menton moyen. Mais rares sont ceux qui purent le tester.

n°3, Larry Holmes est placé au panthéon des poids lourds par les spécialistes, mais n’a jamais pu jouir d’une popularité digne de son rang. La faute à l’ombre envahissante de Muhammad Ali, dont il fut d’abord le sparring partner avant d’en être le fossoyeur en 1980, puis de souffrir plus ou moins justement de la comparaison pendant les 7 années de son règne. La faute aussi à un caractère passablement détestable, rendu pire encore par la frustration de n’être pas reconnu, et qui le poussa à empiler les déclarations peu amènes comme : « Techniquement, Marciano ne pourrait même pas porter ma coquille ». Holmes n’avait certes pas la moitié du charisme de Muhammad Ali, mais il est probablement le poids lourd le plus complet qu’ait connu le noble art. En plus de posséder l’un des meilleurs jabs de l’histoire toutes catégories confondues (il le surnommait son « chien »), Holmes avait l’allonge, le punch, la condition physique et l’intelligence de combat des plus grands. Il savait boxer en avançant et en reculant, de près comme à distance, et bénéficiait en prime d’un menton en granit, comme le montra sa capacité incroyable à se relever après le coup le plus destructeur jamais vu sur un ring : la droite d’Ernie Shavers lancée à pleine puissance et qu’il encaissa garde basse, en plein menton lors de leur revanche.

Seul le mi-lourds naturel Michael Spinks empêcha Holmes d’arriver aux mythiques 49 victoires de rang de Rocky Marciano, après 20 défenses de titre victorieuses et à l’issue d’une décision controversée. Battu lors de la revanche, il revint d’une première retraite 2 ans plus tard pour une défaite face à un Tyson à son sommet, la seule de sa carrière par KO, à l’âge de 39 ans. Sa 2e carrière le vit échouer deux nouvelles fois pour un titre face à Evander Holyfield et Oliver McCall, mais aussi donner une vraie leçon de boxe au dur Ray Mercer, de 12 ans son cadet. Au total, Holmes a battu une palanquée de boxeurs majeurs en presque 30 ans de carrière (Ken Norton, Ossie Occasio, Ernie Shavers x2, Ali, Mike Weaver, Trevor Berbick, Bonecrusher Smith, Renaldo Snipes, Leon Spinks, Jerry Cooney, Randall Cobb, Tim Witherspoon, Ray Mercer), et il est le meilleur des lourds à être monté sur un ring … après les deux plus grands.

Pour la bonne bouche, la mythique droite de Shavers dont il se releva est à 2’19 :

Enfin, les deux premiers de cette liste sont les deux poids lourds à avoir accompli le plus en carrière, à des époques et dans des styles extrêmement différents. Peut-on vraiment hiérarchiser Joe Louis et Muhammad Ali ? Question paradoxale, pour qui a démontré que l’essence même de la catégorie des lourds est de disposer d’un patron. Le dilemme reste malgré tout très difficile à trancher. Immenses, ils le furent tous les deux. Ali régna sur ce qui fut probablement la plus grande époque de la catégorie, et regagna 2 fois le titre incontesté. Joe Louis, lui, conserva ce même titre plus de 11 années consécutives, un record pour l’éternité. Et s’ils furent les plus grands et parmi les plus populaires des poids lourds jamais vus sur un ring, il est difficile d’imaginer des champions plus dissemblables.

Joe Louis fut l’une des icônes des années 30 et 40, où une Amérique sortie de la crise acheva d’affirmer sa puissance et ses certitudes aux yeux du monde à l’issue de la seconde guerre mondiale. Ali fut le roi des années 60 et 70, qui virent ce même pays s’embourber dans la guerre du Vietnam et une génération entière contester son modèle de société.

Joe Louis s’enrôla dans l’US Army en 1942, et devint un symbole de l’intégration réussie du peuple noir américain et de sa contribution à l’effort de guerre, aussi populaire auprès des noirs que des blancs et largement utilisé dans la communication de l’Etat. Ali refusa la conscription et paya de ses titres olympique et mondial sa contestation d’une guerre du Vietnam dont il estimait qu’elle était celle des blancs, puis embrassa la cause des Black Muslims.

Joe Louis était un homme charismatique, capable de petites phrases d’intimidation de pré-combat, et s’essaya au music hall après sa retraite sportive, mais qui ne versait pas dans l’outrance ou dans l’excès. Ali était un séducteur, un prêcheur, un poète, un agitateur né et un maître absolu de ce que la presse sportive américaine appelle de nos jours le « thrash talking » vis-à-vis de ses adversaires.

Quant à évoquer leur allure sur un ring, il n’y avait rien de commun entre le puncheur Joe Louis et le danseur puis le survivant Muhammad Ali. Rien, sauf le talent.

A suivre…

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