Top 10 / n°10 : Sugar Ray Leonard, le patron des « 4 Kings » (Partie 1)

On commence par un choix facile : il suffit de n’être pas né trop tard dans les années 70 pour se souvenir en live de Sugar Ray Leonard, l’un des compromis physique-technique les plus extraordinaires de l’histoire de ce sport. Même en France, où la boxe anglaise était déjà en voie de marginalisation, le retour de Sugar Ray contre Marvin Hagler en 1987 fut largement médiatisé. De fait, Ray Leonard prenait bien la lumière. Beau gosse, élégant dans la vie comme sur le ring (ses problèmes de cocaïne étaient finalement bien dans l’air du temps, et bien qu’on puisse considérer comme borderline ses aveux rétrospectifs de violence conjugale…), sachant créer l’évènement (super combats, retraites et come-backs), entretenant globalement une image glamour et de « good guy » se nourrissant du contraste avec les autres superstars de son temps, les 3 autres des « 4 Kings », tels qu’étaient surnommés les principaux protagonistes du dernier âge d’or de la boxe : Thomas Hearns le puncheur arrogant, Roberto Duran le bagarreur macho, et Marvin Hagler le destructeur froid.

Ce à quoi Ray Leonard doit essentiellement une place dans le Top 10, c’est que le « gentil » de l’histoire a battu les 3 méchants à une époque de leur carrière où tous étaient parés d’une aura d’invincibilité. Comme dans un film, et un sacrément bon film avec ça.

Nul besoin d’être devin pour se rendre compte très tôt dans sa carrière qu’il avait absolument tout pour devenir un grand de son sport : quasiment invaincu en amateurs, Leonard s’empara en 1976 du titre olympique des super-légers en gagnant ses 5 combats à l’unanimité, y compris contre l’épouvantail cubain de service en finale. Dès cette époque, le surnom de Sugar Ray, référence au grand Ray Robinson, lui collait à la peau.

Vitesse, coup d’oeil, déplacement latéral et frontal, esquives, capable de travailler à l’intérieur aussi bien qu’à distance, en jab, jab au corps en avançant comme un escrimeur, jab/cross, ou séries ultra rapides de crochets et uppercuts, ce droitier avait absolument tout. Il associait à un punch plus que respectable la précision et la répétition des coups. Imprévisible, intelligent, adaptable : un cauchemar à boxer, comme on peut le constater sur les images des JO.

Un avenir doré s’annonce à lui. Il passe professionnel après les Jeux, et entame tambour battant sa carrière en pro, choisi par la chaîne ABC comme nouvelle tête de gondole après l’amorce du déclin de Muhammad Ali. Programmé pour le succès, Ray Leonard ne décevra pas. Beaucoup d’experts s’accordent à dire qu’il ne fut jamais aussi fort qu’aux débuts de sa carrière pro. Voilà l’estocade portée à Peter Ranzany pour le titre nord-américain des welters en 79.

Que ça va vite.

Pour l’anecdote, il bat aussi le père de Floyd Mayweather, qui lui donne un certain fil à retordre, en route vers son premier titre mondial.

Qui sera loin d’être du tout cuit, parce que le tenant s’appelle Wilfred Benitez, un styliste portoricain de très grande classe, plus jeune détenteur d’un titre mondial à l’âge de 17 ans et 5 mois, aussi peu porté sur l’entraînement que très grand défenseur, et qui eut la déveine de boxer à la même époque que Leonard, Hearns, Hamsho… mais s’offrit tout de même des années plus tard un succès de prestige contre un certain Roberto Duran, dont on reparlera.

Le combat est excellent. Benitez ne lâche rien malgré une préparation tronquée et un knockdown subi à froid, mais Leonard s’impose par arrêt de l’arbitre à quelques secondes de la fin. Il menait nettement au score, et rendra à Benitez l’hommage suivant : « Personne, je dis bien personne, ne peut me faire manquer la cible comme ça ».

On peut tirer deux enseignements de ce combat qui resteront vrais toute sa carrière : d’abord, si Leonard est resté dans l’histoire comme un boxeur technique, c’était aussi un vrai guerrier. Ensuite, il était très doué défensivement, mais certainement pas du niveau des plus grands (Whitaker, Mayweather, Locche, etc.). Il pouvait être touché, et savait encaisser les coups.

Sa première défense le voit proprement sécher le malheureux rouquin anglais Dave Green, une nouvelle fois avec son crochet gauche.

Puis vient le premier superfight de sa carrière. Le meilleur boxeur du moment, Roberto Duran, couvert de gloire en légers, vient le défier pour le titre des welters WBC. C’est le « Brawl in Montreal ». Un monument de boxe obscure, de bagarre pied à pied, entre deux immenses champions. Le round est petit, ce qui a probablement empêché Leonard de boxer en reculant, en tournant et en contrant. Face à lui, Duran sort un très, très grand combat, lui coupant constamment la route et imposant un pressing de muerte. Leonard n’a pas à rougir de sa courte défaite aux points, lui qui finit par accepter la bagarre et donner une magnifique réplique à « Manos de piedra ».

Aux Etats-Unis, Leonard gagnera la revanche 6 mois plus tard par abandon, Duran lançant soi-disant le « No mas ! » qui est resté dans l’histoire. Sur un plus grand ring, Sugar Ray menait aux points et chambrait énormément. Il semble que Duran était blessé à la main, ou victime de crampes d’estomac, voire juste écoeuré, en tout cas il fut proprement surclassé… et dut s’en vouloir considérablement d’avoir accepté une revanche dans un délai aussi court, lui qui célébra sa victoire du Brawl in Montreal dans des agapes dantesques.

La revanche de Leonard sur Duran achève de faire de lui une superstar. Les fines bouches argumenteront que Duran n’était déjà plus au top après 75 combats, qu’il avait dû monter en poids, etc. D’autant plus que les 2 sorties suivantes de Leonard – dont un titre WBA des super-welters ravi à l’invaincu Ayub Kalule -, si elles sont des victoires incontestables, impressionnent peu. Le combat contre Kalule mértie le coup d’oeil : 9 rounds de chiens de la casse, où l’Ougandais gaucher au style classique tient courageusement la dragée haute à Leonard avant de succomber au punch supérieur de l’Américain. Qui, sur le coup, n’aura pas eu peur d’encaisser pour en donner.

Mais Ray Leonard a largement les moyens de consolider son nouveau statut, car un champion effrayant est en pleine ascension et détient désormais le titre WBA des welters : celui qui est encore surnommé le Motor City Cobra, Thomas Hearns.

On a dit que Ray Leonard était un cauchemar à boxer. Le fait est que les cauchemars existent dans toutes les tailles et tous les styles. Imaginez un welter (147 livres seulement) d’1m85 (Leonard faisait 1m78) doté de bras tentaculaires, d’une allonge à l’avenant, tout en combinant vitesse, précision, jab au laser et un punch qu’il a curieusement découvert après son passage en pros, lui valant 30 KOs sur les 32 victoires consécutives qui suivirent. Une équation impossible à résoudre, la grande faucheuse en gants de boxe. Autant les observateurs de l’époque respectaient énormément Leonard, autant on se demandait si Hearns était humainement battable par un welter.

Et bien on a vu, au terme d’un combat passionnant. Le début est lent, Hearns travaille en jab et jab/cross, il est à sa distance et Leonard est impuissant durant l’essentiel des 5 premières reprises.

Celui-ci finit progressivement par se rapprocher, travailler à l’intérieur et scorer à volonté aux rounds 6 et 7.

Fatigué, Hearns recule, reprend la distance, touche avec le marteau-pilon qu’il a en guise de droite, et blesse sérieusement Leonard à l’oeil gauche, qu’il s’était déjà ouvert à l’entraînement.

Hearns mène aux points (pointer les deux combattants à égalité aurait été tout sauf scandaleux), Leonard sait qu’il risque l’arrêt, ralentit, et la messe semble dite à la fin du 12e. C’est là que Sugar Ray montre un courage et une volonté de fou furieux. Après avoir touché en gauche/droite, il enchaîne corps/face comme le lapin Duracell, envoie un Hearns fatigué et usé à l’extérieur du ring au 13e, et boucle l’affaire au 14e en poussant l’arbitre à arrêter le massacre.

En bref, c’est à la machette plutôt qu’au fleuret que l’élégant Sugar Ray a découpé un tueur réputé invincible. Ce qui fait joli, sur un CV. Il reçoit d’ailleurs tous les honneurs possibles en cette fin d’année 1981.

Une défense pas inoubliable du titre désormais unifié des welters s’ensuit, puis Leonard choque le monde entier en annonçant sa retraite. Il affirme que son opération de la rétine à venir ne pose pas vraiment de problème, mais il est riche, heureux, et ne veut plus boxer. Beaucoup rêvaient de le voir se mesurer au champion des super-légers Aaron Pryor ou au peu charismatique mais archidominant Marvin Hagler, patron des poids moyens. Hagler le premier, d’ailleurs, toujours en mal de notoriété et de gros chèques malgré ses succès. Sugar Ray la lui aura authentiquement faite à l’envers, puisqu’il l’invite à un événement de charité à Baltimore, au milieu d’un parterre d’invités prestigieux, pour lui infliger l’annonce en direct… Le monde de la boxe est déçu, mais après tout Leonard s’en va en pleine gloire et tous les plus grands ne peuvent pas en dire autant.

A suivre…

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