Le site (Antoine) /
- Hors Punchlines, peu de papiers : tel semble être le pli pris cette année par 130livres.com, la faute à pas mal de flemme et un peu de travail. Il n’est toutefois pas exclu qu’un article à propos d’un bouquin sorti l’an dernier soit très prochainement publié sur le site. Je vous sens émoustillés.

Il est temps de rallumer la littérature (Antoine) /
- On dit du bien jusque sur Cnews des brèves de prétoire de l’ami Maxime DesGranges, intitulées À ceux qui nous ont offensés, et c’est mérité : Dieu sait si l’intéressé ne se prive pas brocarder Télé Bolloré sur les réseaux sociaux. La genèse de ce texte remonte au jour où il dut choisir entre une église et un tribunal pour s’abriter d’une averse. Les séances très théâtrales jouées quotidiennement au tribunal correctionnel finirent par happer son attention pour un fameux bout de temps, assez pour en extraire un premier livre publié. Maxime DesGranges rappelle l’absence de préméditation de l’entreprise dans une introduction brève mais indispensable où il est question de Balzac, de Daumier, du langage comme première victime d’audiences correctionnelles où tout va trop vite, d’une centralité obsédante de la misère humaine, et de moments de grâce que seule permet la résonance de cette misère entre prévenus et spectateurs. S’ensuivent des salves de saynètes reconstituées comme des dialogues de théâtre. L’avertissement initial le signifiait : il s’agit d’un objet littéraire. Difficile de battre Manu Carrère dans les descriptions – encore que l’auteur montre en préambule de quoi il est capable -, le propos sera donc resserré autour des perles entendues au tribunal.

- Leurs auteurs s’expriment dans une langue tour-à-tour rituelle, mécanique, cinglante, pauvre, rustique voire élémentaire. La chute souvent comique des bribes de justice présentées sans ordre apparent dont il est question fonctionne la plupart des fois, et l’on devine combien leur sélection fut délicate. Il aura fallu filtrer d’innombrables heures de débats tenus depuis 2018 pour en conserver l’essence, les moments qui font sens d’un coup et ajoutent parfois une gravité bienvenue à l’ensemble. Parfois l’auteur dut ajouter un élément de contexte au dialogue, ou préciser quand lui-même en fut un protagoniste, mais l’ensemble reste à chaque fois d’une concision extrême : on ne saurait résumer le propos en moins de signes qu’il fallut pour l’écrire. La misère, on l’a dit, est centrale dans les affaires dont il est question, et elle sidère au fil des pages. Misère économique et sociale, sexuelle, de l’entendement, de l’absence d’une empathie élémentaire, des addictions diverses et variées, des haines recuites, des effets de manche foireux, de la pudeur malmenée, du voyeurisme du public, de l’amour ou de l’absence d’amour, de la vérité quelle qu’elle soit, de l’orgueil mal placé, du déni omniprésent, de l’humour plus ou moins intentionnel, de l’isolement, de la jalousie, de la lâcheté, et fort souvent de la procédure pénale. Se croisent côté prévenus des paumés, des malchanceux et des salauds. Maxime DesGranges a déniché quelques trésors de lucidité dans l’océan de leurs postures, quand leur propos n’est pas desservi par une langue qui leur échappe. « C’est gris même quand il fait beau » affirme tristement un accusé au moment de décrire son quotidien.
- On rit, on soupire, on encaisse : les émotions sinusoïdales d’À ceux qui nous ont offensés ne s’oublieront pas de sitôt. Des juges récitent froidement les propos orduriers ou menaçant des prévenus, qui invoquent des excuses débiles – mon préféré reste le linguiste exigeant auteur d’un admirable «J’ai jamais dit ça, madame. « Je vais t’égorger » c’est pas du tout dans mon vocabulaire en matière de menaces de mort. » Des professionnels de la justice trouvent le temps long et voudraient être ailleurs. Des victimes euphémisent les faits parfois plus que leurs bourreaux. Des SDF préfèrent cent fois la prison à la liberté. Des prévenus savent pertinemment que leur incarcération ne pourra rien donner de bon. Des magistrats se leurrent sur la question, comme sur la vie dans la rue ou sur la vie tout court. Loin du livre à thèse, un shoot de réel intense et bienvenu.
- Du réel au virtuel : d’après le site web du Figaro, Alexandre Jardin promeut l’utilisation de Youscrib.ai, plateforme de sa conception utilisant des outils d’intelligence artificielle pour aider les écrivains «à trouver [leur] sujet le plus profond, aller au sujet le plus profond de [leur] livre, ce dont il est vraiment question en termes de désir et de peur». Il aurait utilisé un tel dispositif pour l’écriture de son livre Des gens très bien, paru en 2011. En premier lieu, l’article annonçant la nouvelle est blindé de fautes, ce qui laisse imaginer une démarche furieusement méta consistant à l’écrire avec ChatGPT ou l’un de ses équivalents. Et puis on apprend la même semaine qu’une IA – celle de Google – continue en 2024 à donner la recette de la pizza à la colle. On imagine l’auteur de Fanfan y trouver en 2011 un digne collaborateur à son entreprise romanesque.
Le cinéma est mort, la preuve : il bouge encore (Guillaume) /
- Parlons cinéma, parlons de Netflix, qui continue de pincer les salles obscures par les tétons en récupérant des films qui leur sont naturellement destinés. Sélectionné à Venise, sorti en Italie, et réalisé par l’un des plus grands cinéastes européens actuels en la personne de Stefano Sollima (fils d’un grand Sergio), Adagio ne ressemble rien moins qu’aux contenus consommables et interchangeables qui font tourner la plate-forme entre deux films-vitrines.

- Ayant visiblement à cœur de montrer de quel bois il est fait après une commande US en prestation de services (Sans aucun Remords, d’après Tom Clancy et dispo chez le concurrent Amazon), Sollima sort le mégaphone pour hurler CINEMA en cinemascope dès son plan d’ouverture. Une vision aérienne et multichromatique de Rome en proie aux incendies, telle une toile de maitre qui métabolise les pulsations de l’empire à la synesthésie numérique. Clairement, on est dans la veine chorale et tragédienne d’un Suburra, plus que dans la sécheresse rectiligne d’un ACAB ou d’un Sicario 2. Bref, du cinéma d’auteur en grande pompe, qui renvoie à du Paolo Sorrentino mafieux dans sa volonté de faire scintiller l’image par tous les pores du 7éme Art. Et c’est justement là que le bât blesse : Adagio fait cinéma au détriment du récit, et s’assoie sur l’efficacité proverbiale qui a fait de Sollima le digne légataire du cinéma populaire italien notamment représenté par feu son père. Le film confond emphase et narration, transforme tout en balle de match, s’étale en déficit de timing dans le temps et l’espace à la poursuite du momentum et au détriment du timing du spectateur. Le style ne rattrape pas du tout et pourtant Sollima en a, indéniablement. Surtout avec deux des meilleurs acteurs italiens et mondiaux au casting (Pierfrancesco Favino et Toni Servillo, tous deux en mode concerto en ré majeur), et une réalisation qui suinte le service en première classe. Mais savoir-faire ne rime pas toujours avec savoir-être, à l’instar de son climax cousu à grosses ficelles pour faire du tout-petit De Palma.
- Faire cinéma n’est pas une fin en soi, on le savait déjà. Mais on aurait préféré une piqure de rappel de quelqu’un qui se garde bien d’habitude de tomber dans la confusion.
Ce qui reste de la boxe anglaise (Antoine) /
- Étrange format que celui du 5 vs 5 tenu hier soir à Riyad, où les vrais protagonistes du duel dont il fut question étaient assis au pied du ring à regarder leurs soldats en découdre et compter les points. Cet aspect-là du storytelling de la soirée DAZN devait d’autant plus être soigné qu’on avait affaire à un nouveau pay per view de la part d’un diffuseur ayant juré aux grands dieux que ledit modèle était mort et enterré, littéralement privé de sa tête d’affiche qui pis est. Au lieu du très attendu Beterbiev vs Bivol promis aux aficionados ce 1er juin – Beterbiev blessé, Bivol s’imposa face à Malik Zinad dans un sparring à peine amélioré -, ils auront ainsi eu droit à un Frank Warren vs Eddie Hearn en forme de correction sans appel infligée par Queensberry à Matchroom. Un résultat anecdotique dans l’absolu, tant les deux rivaux anglais firent une nouvelle fois sauter la banque saoudienne de concert, mais dont on imagine qu’il collera aux semelles du cadet jusqu’à ce qu’il prenne sa revanche, de préférence éclatante, à la sueur du front des autres. De nouvelles soirées du même type sont d’ailleurs annoncées. La confrontation commençait par un duel de mi-lourds encore peu connus du grand public, et la constance dans l’effort de Willy Hutchinson face à Craig Richards valut à Queensberry son premier point. Surnommé « Braveheart », l’Écossais est un embrouilleur de première, variant constamment sa garde et ses angles de frappe, et son activité supérieure lui valut d’empocher l’essentiel des rounds aux dépens d’un Richards lent au démarrage et incapable d’abréger l’affaire lorsqu’il emballa les échanges sur le tard.

- Suite à cette convaincante mise en bouche, un premier championnat du monde opposa le tenant du titre WBA des plume Raymond Ford à Nick Ball, qui échoua d’un souffle à détrôner Rey Vargas en mars dernier. Le Liverpuldien de poche l’emporta cette fois par décision partagée à l’issue de 12 rounds cauchemardesques à pointer. D’un côté, le pressing de Ball, décidé à camper devant Ford et lui infliger à intervalles réguliers des séries de haute intensité des deux mains en cassant la distance. De l’autre, la boxe plus propre et posée entre deux assauts adverses d’un gaucher américain montant en puissance en seconde partie de combat, sans toutefois parvenir à reproduire le scénario dramatique qui lui valut son titre aux dépens d’Oleg Kholmatov. Vaincu deux juges à un au terme d’un combat de haut niveau, Ford ne se chercha pas d’excuses malgré l’étroitesse des scores et rendit hommage à son vainqueur avant d’évoquer une montée en poids. Mené deux victoires à rien, le team Matchroom devait alors compter sur le moyen américain invaincu Austin « Ammo » Williams pour revenir au score, et il faut reconnaître au massif gaucher de Houston qu’il secoua violemment son adversaire Hamzah Sheeraz au 2e round sur une gauche au menton, profitant de lacunes défensives certaines de la mante religieuse britannique. Sheeraz boxe mécaniquement et n’adore pas être agressé, mais ce grand dépendeur d’andouilles – 1m91 sous la toise à moins de 160 livres – tape fort des deux mains, et prit définitivement les commandes à la mi-combat par la grâce d’un travail en ligne simple et efficace. Le visage tuméfié, de plus en plus passif, Williams tenta un baroud d’honneur au 10e round pour se faire expédier au tapis d’un court crochet du droit, puis sagement arrêter dans la reprise suivante sur un enchaînement brutal des deux mains. Sheeraz est désormais challenger officiel pour la WBC et devrait trouver un défi plus à sa mesure en la personne du champion Carlos Adames.
- Dos au mur, Eddie Hearn promettait deux victoires par KO de ses derniers poulains Filip Hrgovic et Deontay Wilder. Invaincu jusque-là, Hrgovic avait la faveur des bookmakers contre Daniel Dubois, arrêté par Joe Joyce puis Olexandr Usyk. On misait donc sur le menton en tungstène du Croate pour franchir l’obstacle « DDD », aussi rude puncheur qu’il fût, et les premières minutes du combat confortèrent les observateurs. Très axial, Dubois encaissait systématiquement les droites précises de Hrgovic derrière un jab parfois doublé, et ses propres coups au but ne semblaient guère produite d’effets. Mais si Joyce lui fractura le plancher orbital et si Usyk l’éreinta par ses combos, on découvrit peu à peu que Dubois supportait les frappes lourdes donnés sans accélération comme Andy Ruiz gobe les Snickers à la chaîne. Inversement, Hrgovic n’aime ni reculer, ni s’abîmer les gants à contrer les coups adverses, et la puissance d’un Anglais résolument offensif – son cardio rapporté à la masse musculaire laisse rêveur – le mit sur la défensive avant de lui ouvrir une arcade, puis deux. Dubois sut faire preuve de vice dans le clinch en visant les coupures adverse de son crâne parfaitement lisse, comme il savait les trouver de son jab précis. Plus les rounds s’écoulaient et plus Hrgovic paraissait apathique, jamais sur le point de choir par la grâce d’un menton irréel mais toujours plus sanguinolent. Logique, la sanction médicale tomba au 8e round. Après Tony Yoka et Joe Joyce, le troisième super lourd médaillé à Rio 2016 subit une défaite qui laissera des traces. Dubois, lui, peut rêver d’un combat contre Anthony Joshua… puisque ce dernier n’a plus aucune espèce d’intérêt à affronter Deontay Wilder.

- Il y aura beaucoup à dire sur le déclin du « Bronze Bomber », jadis croquemitaine un poil survendu de la catégorie reine et semblant tout sauf à sa place face à un Zhang Zhilei le dominant d’une trentaine de kilos, deux ou trois niveaux techniques et plus encore en matière de détermination. Je n’en rajouterai pas. Wilder choisit manifestement de durer, histoire de tester le cardio de grand-oncle cardiaque du monumental Chinois, optant pour la fuite d’un coin à l’autre du ring où il fut acculé comme dans des douches de prison. Quatre rounds durant, il parvint à lire les gauches téléphonées de Zhang et plonger aisément sous la plupart d’entre elles, distribuant allègrement les coups derrière la tête dans le clinch. Mais l’échassier de l’Alabama a perdu l’envie d’en découdre et la confiance en la colère de Dieu concentrée dans son gant droit. Les quelques bras arrières qui trouvèrent leur cible furent assénés sans guère de conviction et « Big Bang » Zhang les absorba tel un trou noir vorace. Restait à savoir quand tomberait le couperet : ce fut sur un crochet du droit punissant une tentative ouverte aux quatre vents. La réaction de Wilder fut alors symptomatique : il tourna carrément le dos à Zhang, comme s’il eût pu passer son chemin. Une dernière praline acheva la plaisanterie, en même temps que les ultimes espoirs du patron de Matchroom de ne pas embrasser Fanny. Déjà riche à millions et statufié dans sa ville natale de Tuscaloosa, Wilder aurait tout intérêt à cesser de dilapider un héritage pugilistique atypique, celui d’un athlète venu à la boxe sur le tard, et qui aura tiré le maximum de l’une des techniques les plus frustres jamais vues à ce niveau.
- La soirée du 25 mai dernier à la First Direct Arena de Leeds était placée sous le signe d’une double revanche : celle de Jack Catterall, vaincu sur décision partagée et contestable en février 2022 par un Josh Taylor méconnaissable pour le titre incontesté des super légers, et celle du public de ce premier affrontement de gauchers, gloubiboulga pugilistique riche en accrochages et imprécisions techniques. Force est de reconnaître que chacune des parties lésées put s’estimer dédommagée. Catterall le premier, qui l’emporta cette fois à l’unanimité des juges et 9 rounds à 3 selon deux d’entre eux, ce qui fit carrément monter sur le ring le très contrarié Bob Arum malgré ses 92 ans pour s’exclamer qu’il ne risquerait jamais l’un de ses poulains américains sur le ring du Yorkshire après l’injustice faite à l’Écossais Taylor. Comme « El Gato » Catterall, le public s’y retrouva largement, assistant à un combat de haute tenue au scénario passionnant. Le champion déchu des moins de 140 livres, toujours plus efflanqué pour respecter la limite de la catégorie, sembla d’abord dominé en puissance et en précision à mi-distance par un adversaire au jab lourd, aux contres cinglants du bras avant et aux enchaînements forcément sexys aux yeux des juges. Même si Catterall n’est pas un puncheur réputé, on s’inquiétait pour Taylor et sa capacité à tenir les 12 rounds. Il faut cependant reconnaître à la « Tartan Tornado » une résilience certaine et de la suite dans les idées. Alors que Catterall, fatigué, levait le pied vers la mi-combat, Taylor parvint à réduire régulièrement la distance et imposer un duel de près dans lequel il marquait les coups les plus nets, bien que son visage portât de plus en plus les stigmates du combat. Le mérite de Catterall fut de parvenir à arracher les deux dernières reprises pour s’assurer un succès qui ne souffre guère de contestations. Une trilogie britannique semble désormais inévitable, et l’on s’en félicite – à supposer que le dernier volet soit à la hauteur du second.

Le MMA va bien, merci pour lui (Guillaume) /
- Parlons MMA, parlons de Dustin Poirier. Hier soir, à l’UFC 302, le Louisianais nous a rappelé que les plus grands n’ont pas toujours besoin de gagner pour s’imposer comme des légendes. Que même lors des rendez-vous d’une vie, la victoire ne fait pas tout, et n’est même forcément pas une question de main levée à la fin. C’est toute la beauté, et le paradoxe du sport de haut niveau : l’instinct d’ultra-compétition est une condition sine qua non à l’excellence, mais pas suffisante aux grands récits qui forgent une mythologie.
- Pourtant, Dieu sait que l’on voulait voir Poirier réussir l’impossible hier soir face à Islam Makhachev, héritier désigné de Khabib Nurmagomedov en taulier des -70 kg. Dieu sait que l’on voulait voir Poirier écrire ce qui aurait été collectivement paraphé comme la plus belle histoire du MMA de mémoire d’UFC. À savoir décrocher enfin la ceinture dans la catégorie la plus chiante de l’orga à l’âge canonique de 35 ans, contre le numéro 1 pound for pound. Islam Makhachev, donc, élève de celui qui a annihila Poirier lors de son premier title-shot et annihilateur de celui qui fit tomber le pensionnaire de l’ATT à sa deuxième tentative. L’histoire était trop belle pour ne pas s’imprimer, ensemble tout (re)devient possible : à lui seul, Poirier pouvait racheter un slogan de campagne présidentielle dévoyé en réalité à portée de tous. Le genre de trajectoire qui transforme le moindre biscuit chinois en prophétie universelle.
- Et Dieu sait que c’est pas passé loin. Dieu sait que Poirier a failli le faire, hier soir. Passé un premier round à quasiment 4 minutes sur le dos à défendre contre le grappling de l’enfer du Daghestanais, Poirier affirme son style. Non il ne répéterait pas les mêmes erreurs. Non, la lutte des montagnes du Caucase ne fermerait pas les portes aux ambitions de l’Américain porté sur le striking à mi-distance. Non, Poirier ne se laisserait pas griser par ses succès, au point de provoquer sa propre chute aux marches du pouvoir. Non, le finisseur de Conor McGregor et Benoit Saint Denis ne fera pas le sparring partner du scénario du vainqueur. Au deuxième round, il réussit à contrer les takedowns d’un Makhachev déjà partiellement diminué. Dans sa zone de confort, Poirier échange et touche contre un adversaire qui lui tient la dragée haute debout. Indiscutablement, ce que Makhachev fait mieux que Khabib, c’est le pieds-poings. Peu nombreux sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir tenu la distance avec Poirier dans l’exercice, mais Makhachev fait plus que valider sa feuille de stage. Et ce malgré un clinch hasardeux qui ouvre les portes au travail au corps du second. De quoi redevenir raisonnable et reprendre l’initiative en lutte au round suivant, même si là encore Poirier refuse de faire la victime. 4eme round, la fatigue (et sans doute le cutting) rendent Makhachev moins incisif au sol, et dégage de l’espace à Poirier pour scorer en anglaise, même sa précision habituelle lui fait défaut.

- Au 5eme round, il n’y a plus que des pronostics valables, sauf ceux qui voyaient le Daghestanais rouler sans décence sur Poirier. Les deux hommes nagent à contre-sens dans un marécage que la plupart d’entre nous ne connaîtrons jamais. Celui où l’organisme pompe dans la réserve de sa réserve d’énergie, où le mental tient le corps à bout de doigts le corps au-dessus du vide métabolique. À ce stade, Poirier a déjà tout éclaté : et ses faiblesses, et les oiseaux de mauvais augure qui ne voyaient que ça. Il se tient déjà en contre-plongée de lui-même, il est devenu le héros de son histoire. C’est pourquoi, lorsqu’il finit par taper l’abandon suite à une guillotine de son adversaire – soit la même prise qui lui avait coûté ses deux précédentes tentatives de ceinture – on ne reconnaît qu’à peine l’emprise du karma. Parce que c’est un Makhachev à bout de forces qui puise dans ce qu’il n’a plus pour se téléporter jusqu’à Poirier, et lui arracher le genre de tour de magie qui n’appartient qu’aux grapplers de très haut niveau. Oui Poirier échoue aux portes de la gloire, une nouvelle – et sans doute dernière – fois. À 35 ans, il a encore beaucoup à donner, mais plus rien à prouver. C’est un homme d’affaires prospère qui n’a plus besoin de se mettre sur la ligne de feu pour vivre. Il l’a fait pour la legacy, pour le sport, pour son nom propre. À l’instar d’un Shawn Porter en anglaise, Poirier est peut-être devenu ce soir le gatekeeper ultime : celui qui repousse ses limites dans leurs retranchements pour extirper le meilleur des tout-meilleurs, et contraindre au sacrifice celui qui était promis à une victoire facile. Pour le narratif du palmarès sans défaites et sans risques imposé par Floyd Mayweather, c’est peut-être pas grand-chose. Pour la grande histoire du sport, c’est inestimable. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Ce soir, Makhachev a triomphé du péril. Celui-ci se nommait Dustin Poirier, et sa légende résiste au résultat. Il y a des rois qui n’ont pas besoin de couronne pour être validé. Dustin Poirier peut se retirer tranquille et serein, si tel est son souhait : ce soir, il a fait mieux que mettre la ceinture à sa taille.