Punchlines du 12 mai 2024

Le site (Antoine) /

  • Pas de Punchlines la semaine passée, pour cause d’agapes basques et arrageoises.
La rédaction le week-end dernier (allégorie)

Il est temps de rallumer la littérature (Antoine) /

  • Bernard Pivot est mort. Beauté prévisible des réseaux sociaux, avant que sa dépouille eût tout à fait refroidi il apparut essentiel à certains de fustiger son odieux machisme – Virginie Despentes entra à l’Académie Goncourt sous sa présidence -, son mercantilisme sans scrupules – il refusa d’inviter Paul-Loup Sulitzer à Apostrophes, clamant à raison que le monsieur n’écrivait pas ses livres, et fit d’un obscur avant-gardiste comme Pierre Guyotat son invité régulier -, sa passion du consensus mou – cf. l’empoignade des Jean, Daniel et d’Ormesson, sur son plateau à propos du goulag, ou les échanges tendus entre Muhammad Ali et Jean Cau au sujet d’Israël -, sa mollesse d’intellectuel de salon – il interviewa clandestinement Lech Walesa en Pologne communiste -, sa complaisance vis-à-vis de Gabriel Matzneff – qui trouva lors de ses deux invitations à Apostrophes des contradictrices ne ménageant guère son prestige de dandy lettré, Jeanne Delais puis Denise Bombardier -, ou un supposé contresens sur Lolita lorsqu’il interviewa Vladimir Nabokov – toute l’émission était préparée, des questions faussement candides de Pivot aux réponses de l’auteur russo-américain, celui-ci s’affirmant incapable de réagir en direct. Les éloges, et c’est plutôt heureux, demeurent majoritaires.
« C’était rigolo, Twitter, mais ça ne me manquera pas. »
  • J’avoue pour ma part qu’Apostrophes et Bouillon de Culture le vendredi soir ne firent pas tout à fait partie de ma routine d’enfant, d’ado puis de jeune adulte. Un hasard surprenant me valut pourtant d’assister en direct, médusé, au démantèlement de Matzneff par Bombardier, mais il ne s’agit pas de mon souvenir le plus marquant de ces émissions. J’évoquerais plutôt un soir de 1985 où je dormais chez ma grand-mère, férue de jeux de cartes et de belles lectures. En pleine partie de « casse-tête » – sorte de rami simplifié – que j’imagine acharnée sur la table ronde du salon invariablement couverte d’un bulgomme et d’une nappe immaculée, nous entendions en arrière-plan un entretien passionné de Bernard Pivot avec l’Académicien Jean Guitton. Ce dernier publiait son Portrait de Marthe Robin, habitante de la Drôme qui vécut trente ans sans se nourrir d’autre chose que d’hosties consacrées. Catholique fervent, l’octogénaire s’enflammait sous le regard bienveillant de son hôte à propos de cette femme qui, rappela-t-il, « ne mangeait pas, ne buvait pas… », ce à quoi ma Bonne-Maman, mécréante revendiquée, se crut tenue d’ajouter « Mais elle baisait ! » avant d’éclater d’un rire tonitruant. J’avais dix ans, quatre ou cinq de cours de cathé et autant de messes dominicales, la sortie m’a complètement scié, j’ai tout cafardé à ma mère, et quatre décennies plus tard je chéris en pouffant ce souvenir précieux entre tous. Merci Bonne-Maman, et merci Bernard Pivot.
  • À propos de Matzneff, on a également appris la disparition de l’éditeur parisien Léo Scheer, auteur du choix qu’on dira contesté depuis de rééditer Les moins de 16 ans en 2005. Il faut reconnaître un certain éclectisme à l’ancien soixante-huitard et publicitaire descendant de Juifs polonais, né apatride dans un camp de réfugiés bavarois en 1947, puisqu’il comptait dans son catalogue des figures étiquetées progressistes, tels Coralie Delaume et Didier Eribon, et des auteurs réputés de l’autre bord comme Richard Millet ou (désormais) Éric Naulleau. On verra si le Fayard à la sauce Bolloré poursuit dans une voie comparable – spoiler : sans doute pas.
  • Après 19 ans à l’antenne de France Inter, La librairie francophone disparaîtra de la grille de rentrée. Dans ce cas comme dans d’autres, il ne m’apparaît pas malsain sur le principe que nul ne soit concessionnaire à perpétuité d’un créneau horaire sur les radios publiques, le succès fût-il toujours au rendez-vous. J’attendrai donc pour m’en offusquer de savoir comment l’émission consacrée aux livres la plus populaire de France radios et télés confondues sera remplacée. L’animateur et producteur Emmanuel Khérad a confié « sa sidération et son incompréhension » à l’annonce de la nouvelle, attendu qu’il considérait avoir fait le nécessaire pour que l’aventure continue. « On avait quasi la certitude d’une prochaine saison, par plusieurs choses, et finalement non » dit-il au site Actualité. Reste que si sa récente interview de la patronne de Radio France Sybile Veil pour son livre Au commencement était l’écoute figure parmi les « plusieurs choses » en question, on pourrait presque trouver ça rigolo.
  • Si La librairie francophone baisse son rideau, les librairies tout court se portent bien, en tout cas dans l’Hexagone. France Culture annonce qu’on dénombrait environ 140 ouvertures en 2021 et 2022, contre 80 en 2018 et 2019. Une cinquantaine de ces ouvertures annuelles correspondent à des reprises, ce qui atteste la bonne santé des commerces concernés, tandis que le nombre de fermetures est stable autour de 20. Certes France Cul honora sa réputation élitiste en insistant sur « le boom des librairies de province », noyant la bonne nouvelle sous une copieuse louche de condescendance intra-Périphérique, mais enfin il semble raisonnable de s’en réjouir. Quand on sait la faiblesse des marges réalisées sur les bouquins et le temps passé par tout libraire à en remuer de bien pesants cartons, on ne peut guère que s’émerveiller devant cette affluence de vocations. Loué soit le sacerdoce du dealer de belles lettres.

Le cinéma est mort, la preuve : il bouge encore (Guillaume) /

  • Parlons cinéma, parlons de très bonnes nouvelles de salles obscures. Après quelques mois passés au régime sec à regarder le catalogue des plates-formes monopoliser l’actualité (celle à laquelle on est pas obligé d’adhérer pour avoir besoin d’en parler), le cinéma reprend la main sur son support de prédilection sur les films qui définissent le momentum. Ça changera pas le sens de rotation de la planète à long-terme, mais ça permet déjà de retoquer Steven Spielberg sur The Fabelmans (aka « Après moi le déluge » en phonème des images à 24/i secondes d’éternité) : oui il reste des choses à faire ; et oui le cinéma peut encore poser sur son époque des marqueurs de grande Toile destinés à rester.
  • Commençons par la pièce maîtresse, qui a littéralement pris votre serviteur de court un dimanche matin encore sous influences de la veille (la gueule de bois, c’est une ouverture des chakras en 70 MM, on ne le dira jamais assez) : Challengers de Luca Guadagnino. Avec Zendaya, nouvelle idole des djeuns qui met son statut au service d’un acte de contrebanderie filmique qui a dû faire grincer quelques dents. Vendu comme un épisode de télé-réalité faussement sulfureux capitalisant sur la promesse de scènes hot saucisses entre la belle, tenniswoman émérite de son état, et ses deux soupirants, tennismen/ fils à papa du leur, Challengers s’applique à tenir toutes ses promesses… En faisant tout à fait l’inverse de ce qui était attendu.
« Bon les gars, c’est lequel qui a pété ? »
  • Oui, le matériau est celui d’un épisode d’Amour, Gloire et Beauté pour la génération Tik Tok. Non, Guadagnino n’essaie jamais de maquiller le plomb en or, ou ne fait semblant d’avoir quelque chose de plus à raconter que ce qu’il y a à l’image, à savoir les problèmes de riches de jeunes et beaux qui ont que ça à foutre. Ça se renifle, ça se tourne autour, ça fait du surplace avec l’illusion d’avancer. D’un point de vue narratif, on est à l’os de la biscotte. N’importe quel cinéaste un tant soit peu censé aurait eu la bonne idée d’habiller le vide pour se mettre quelque chose sous la dent. Mais chez Guadagnino, what you see is what you got. A savoir des gens qui préfèrent se désirer plutôt que de passer à l’acte (on ne voit JAMAIS personne baiser), se chercher sans vraiment vouloir se trouver. À l’ère des réseaux sociaux, la parole est déjà un acte en soit et vouloir quelque chose ou quelqu’un, et l’envie ne se consume plus dans l’exécution, mais dans l’ellipse.
  • Chaque plan (on insiste) transpire le cul sans rien montrer (ou si peu), comme aux grandes heures du code Hays. On atteint le paroxysme de la métonymie par images en mouvement : Challengers est un grand film sur la frustration assouvie par sous-entendu et sous-regardé, à l’époque de la surexposition permanente à 180°c. Le film pirate nos synapses et introduit un ver dans le code source du médium. Y compris au sein d’une structure romanesque qui compte en décennies et soustrait en actes. Des histoires qui tournent en rond : c’est la définition même du soap de télévision, Guadagnino en fait la forme cinématographique de son temps.
  • Une preuve de tout ça ? Le match de tennis entre les deux rivaux, fil rouge de la narration conduit à l’hyperbole totale lors de sa conclusion.  » Le sport, c’est une métaphore du sexe« , comme le surligneront les plumitifs qui se vanteront d’avoir trouvé ça tout seul. « Ce n’est QUE du sexe » répond Guadagnino, qui transcende la mise en scène de l’effort à l’aune du désir enfin en train de s’assouvir. Le cinéaste déréalise jusqu’à l’abstraction et avec force CGI des personnages qui ne sont plus que les formes synestésiques de leur envie de pécho. La seule scène de cul de Challengers, c’est sur le court. Challengers réussit même l’exploit in fine de réinventer visuellement le thème de la rivalité sportive au cinéma. Ça vaut le coup de passer outre quelques 20 minutes de cabotinage superflu durant lesquels le film tire un peu trop sur la corde de son propre concept. Un autre signe de l’époque.
  • On continue sur la lancée avec un petit (gros) plaisir de salles qu’on aurait tort de bouder. The Fall guy, adapté de la série du même nom, et surtout histoire de film dans le film avec des gros morceaux de magie du cinéma en train de se faire à l’intérieur. On pense bien plus à La Nuit américaine de François Truffaut ou au Last Action Hero de John McTiernan qu’à l’actionner bourrin et bourru qui a été vendu par la promo. Et because karma is a bitch et que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement, la même erreur de jugement du côté marketing de la force qui avait coûté au film de McT sa carrière en salles il y a plus de 30 ans semble parti pour se répéter ici. Triste exemple de dissociation cognitive d’un studio qui ne vend pas le film pour lequel il a déboursé 130 millions de dollars (au moins) pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il pense que les gens veulent voir.
Working class hero
  • Il y a ainsi dans The Fall Guy un aspect surproduit (ce qui était d’ailleurs aussi le cas du McTiernan) qui se traduit dans 20 bonnes minutes de perdue à dépenser le pognon alloué plutôt qu’à mettre le temps du récit intelligemment à parti. David Leich à la réal oblige, on se gardera bien pourtant de tirer aveuglement sur l’ambulance. Le bonhomme n’est ni Truffaut et encore moins McT (loin, très loiiinnn s’en faut) derrière la caméra, mais une fois n’est pas coutume se transcende au contact de son sujet, qui résonne comme une mission sacrée pour l’ancien cascadeur. À savoir montrer les gens qui font le cinéma mais qu’on ne voit jamais à l’écran. Les petites mains du système, les cols bleus de l’entertainment, héros du quotidien mis à l’honneur comme rarement par un film qui leur donne tout et leur doit bien plus encore. La nature méta donne même raison aux travers habituels du réalisateur, notamment celui de démontrer (bruyamment, voir vulgairement) qu’il fait du cinéma avec force effets pour se légitimer derrière la caméra. Ça tombe bien, c’est exactement ce qu’il fallait faire ici pour brouiller les frontières du réel et la fiction, et ouvrir la parenthèse enchantée au spectateur. Le cinéaste se permet même de réactiver des formes anachroniques, comme la romance Ryan Gosling/Emily Blunt qui évoque le Hollywood de l’âge d’or mis à jour à l’aune de l’ère Me Too.
  • Il paraît que Steven Spielberg a adoré le film. David Leich qui redonne foi dans l’avenir du cinéma au réalisateur de The Fabelmans : si ça c’est pas une incitation à se priver de soleil pour passer son après-midi en salles, je m’appelle Antoine Faure et je ferme ce blog de suite.

Ce qui reste de la boxe anglaise (Antoine) /

  • Il fallait une victoire convaincante à Saul « Canelo » Alvarez. Le champion incontesté des super moyens sortait d’une année compliquée enchaînée sur une autre passablement décevante. Pour celui qui – quoi qu’en dise Gervonta Bozo Davis – est toujours le visage de son sport, la série faisait désordre. En mai 2022, Canelo avait trouvé son maître en la personne de Dmitry Bivol, dont l’activité et la technique en mouvement à 175 livres font une équation insoluble pour le divin rouquin. Quatre mois plus tard, l’ombre quadragénaire de Gennady Golovkin s’offrait un (trop) digne baroud d’honneur dans les quatre derniers rounds d’une belle poussivement remportée par le Mexicain, opération de la main à la clé. Pour sa rentrée en mai 2023, son challenger officiel John Ryder fit un piètre succès sur le papier en dépit de son courage sur le ring. Et que dire du non-combat proposé par le patron des super-welters Jermall Charlo, venu toucher son chèque et survivre 12 rounds en septembre dernier ? Quand on ajoute au tableau un David Benavidez enfin décidé à joindre le geste à la parole, c’est à dire muscler son palmarès pour rendre incontournable un Canelo fight – ce qu’il fit en battant Caleb Plant et Demetrius Andrade l’an passé -, on obtient un souverain du noble art aux allures de roi fainéant.
  • Il fallait une victoire convaincante à Saul « Canelo » Alvarez. C’est alors que Jaime Munguia a fait le travail : lui qui n’avait guère impressionné depuis ses débuts à 154 livres, de courtes victoires en équarrissages de faire-valoir, a démonté Ryder en janvier dernier telle une tente Quechua. Certes Canelo avait fini d’éroder un gaucher londonien rompu aux guerres de tranchées, mais enfin Munguia réussit là où le taulier échoua avant lui, bouclant son affaire au 9e round. Pour le très populaire week-end pugilistique du Cinco de Mayo au sud du Rio Grande et faute d’une entente possible avec Benavidez, cet affrontement entre boxeurs du cru devenait d’un coup un plan B présentable. Après tout Munguia était invaincu et reconnu pour un tempérament entre 16 cordes fidèles aux stéréotypes mexicains. Pour peu qu’Alvarez fût bien sur la pente descendante, on pouvait même envisager un passage de témoin. Et si Munguia campa jusqu’au bout le rôle du jeune challenger admiratif et respectueux, on pouvait compter sur son promoteur Oscar de la Hoya pour satisfaire les amateurs de castagne prolongée hors du ring : entre un face-à-face tendu avec son ex-poulain Canelo en conférence de presse et le tordant T shirt « Eat more meat » arboré le jour de la pesée, il avait fait mieux que sa part.
Jacanelo a dit « Asseyez-vous ! »
(Crédit photo Getty Images via AFP)
  • Il fallait une victoire convaincante à Saul « Canelo » Alvarez. Et celle obtenue samedi dernier le fut. Canelo la doit avant tout à un Jaime Munguia à la hauteur dans son rôle d’agresseur iconoclaste. Comme on pouvait l’attendre, l’entraîneur Freddie Roach a discipliné sa boxe sans brider son envie naturelle d’en découdre ; il en résulta un début de combat où Munguia imposa son jab, très penché vers l’avant, soucieux d’exploiter son avantage d’allonge pour limiter les opportunités de contre d’Alvarez. Il se permit parfois d’enchaîner trois coups d’école, supportant quelques répliques de bûcheron au corps de Canelo, avant de passer la surmultipliée : l’avoinée qu’il passa à son aîné en fin de 3e round laissa ce dernier sans réponse. Le champion a beau être un diesel, on l’imaginait quelque peu noyé. Munguia, cependant, n’est pas Dmitry Bivol, et dans la reprise suivante il s’affranchit prématurément de quelques précautions élémentaires, dont la nécessité de rester hors de portée d’uppercut. La sanction tomba en sortie de corps-à-corps après un échange de droites pleines de venin, et celui qu’il prit plein fer le surprit plus qu’il ne l’assomma ; reste qu’avec un knockdown concédé il laissa Canelo reprendre la main aux pointages et dut lui-même se montrer un tantinet plus prudent. Jamais Munguia ne baissa les bras malgré sa déconvenue, dominé en précision par Canelo dans le duel à l’escrime de poings à mi-distance qui s’instaura à compter du 5e round. Face à lui, le champion gérait un plein d’essence qu’on sait restreint en limitant le volume de ses coups, excellent dans leur sélection et sortant le grand jeu défensivement parlant. Sa garde et ses esquives de la tête annihilèrent l’essentiel des initiatives de son cadet dépourvu d’un plan B.
  • Il fallait une victoire convaincante à Saul « Canelo » Alvarez. Le public, toutefois, attend plus de lui : la foule était étonnamment partagée autour du ring de la T-Mobile Arena, traduisant son impatience de voir le taulier honorer son statut ou bien passer la main. Battre Munguia, fût-ce sur décision aussi unanime qu’indiscutable, ne remplace pas un duel avec David Benavidez. Les rumeurs de l’après-combat prêtaient à Eddie Hearn l’intention d’opposer à Canelo le poussif Boricua à grande bouche Edgar Berlanga en septembre, un choix d’un intérêt à peu près nul malgré la rivalité Mexique vs Puerto Rico… sauf à considérer qu’il garantirait la disponibilité de Canelo pour le superfight contre Terence Crawford dont on prête à l’argentier saoudien Turki Al Sheikh l’intention de l’organiser en décembre ou janvier. Croisons les doigts pour que Son Excellence opte plutôt pour Canelo vs Benavidez, un combat que PBC ne semble plus avoir les moyens d’organiser, moins bling mais autrement plus pertinent au plan sportif. Benavidez a le châssis d’un lourd léger et un mélange de volume, puissance et précision sans équivalent à 168 livres. Canelo aurait à lui opposer une expérience de l’élite très supérieure, un travail au corps et des contres inédits pour l’Américain et une certaine confiance en son menton et sa défense. On en salive d’avance, et depuis un fameux bail.
  • Le Naoya Inoue vs Luis Nery programmé lundi au Tokyo Dome avait tout du sacrifice rituel. Pour les plus de 40000 spectateurs présents, il s’agissait de voir le boxeur de l’année 2023 pourfendre un authentique ennemi de la nation : songez qu’après son double succès entaché de dopage puis d’excès de poids sur la légende des coq Shinsuke Yamanaka, la fédération locale avait suspendu à vie Luis Nery au pays du soleil levant. La montée du « Monster » Inoue en super coq et le manque d’adversaires de valeur aura changé la donne. Si Nery fut finalement rétabli dans ses droits de boxeur visiteur, c’était pour être immolé par l’idole locale. Les dieux de la boxe, hélas, se rient souvent de leurs adorateurs : très à l’aise dans le rôle du méchant, « Pantera » Nery était venu pour gâcher la fête. Sans doute le gaucher avait-il noté la tendance d’Inoue à baisser la main opposée en posant son appui pour délivrer un coup puissant, en tout cas il cueillit le champion d’un parfait contre en sortie de corps à corps dès la première reprise. Inoue pirouetta carrément sous la puissance du crochet gauche, rendant plus mémorable encore son premier voyage au tapis en carrière. Dans le contexte si particulier de ce 6 mai, sur l’exact même ring que Mike Tyson vs Buster Douglas, on était à deux doigts de l’une des plus spectaculaires climatisations pugilistiques de l’Histoire.
« Saint Naoya terrassant la panthère » (circa 2024)
  • Inoue, cependant, est fait d’un bois particulier. Il survécut au round sans frayeur supplémentaire, avant d’exploiter à son tour semblable erreur lors du suivant : alors que Nery se ruait en avant, sans doute trop confiant, il encaissa un autre crochet gauche à décorner les bœufs. Un knockdown partout après 6 minutes, le sacrifice humain annoncé relevait plutôt de la guerre totale. Une guerre qui vira vite à la démonstration, Inoue ayant recouvré ses (énormes) moyens, en particulier sa vitesse de pieds et de bras. On peut reconnaître à Nery un état d’esprit irréprochable, tentant avec vaillance de rendre les coups d’un Inoue chambreur comme rarement après avoir subi les 3e et 4e rounds. Le Mexicain n’en fit qu’un plus bel estoqué, d’abord renvoyé au sol au 5e, un nouveau crochet gauche punissant une charge désordonnée de plus, puis proprement fini au 6e après une droite venimeuse suivi d’un rare et létal combo uppercut-cross du droit. Inoue pouvait toiser d’un regard plus froid que les cœurs de toutes nos ex l’adversaire répandu sur la première corde : Yamanaka était vengé, tandis que The Monster engrangeait l’une de ses plus belles victoires en carrière.
  • L’industrie musicale d’antan les appelait les « one-hit wonders », ces artistes dont la carrière au premier plan était réductible à un unique succès surprise, tel Patrick Hernandez et son Born to be alive. George Kambosos est de leurs (nombreux) pendants pugilistiques. Il aura donc capitalisé sur sa victoire face à un Teofimo Lopez en pleine dépression nerveuse et drainé à 135 livres pour pouvoir jouer les faire-valoir lors d’un troisième main event largement hors de sa portée. Après les deux démonstrations tranquilles infligées par Devin Haney, Kambosos a subi le retour en forme de Vasyl Lomachenko cette nuit à la RAC Arena de Perth. Face au vétéran ukrainien absent un an des rings, « Ferocious » George n’aura guère existé que par un travail au corps qui s’avéra insuffisant, et se montra surtout incapable de sortir Loma de sa filière préférentielle, la boxe dynamique déclinée en avançant connue des fans depuis sa carrière en amateurs. À 36 printemps, « Hi-Tech » a géré son effort au cours des premières reprises, mais il s’est cette fois assuré que la proverbiale partialité des juges en terre australienne n’entre pas en ligne de compte pour s’approprier la ceinture IBF vacante des moins de 135 livres. Son démantèlement systématique de Kambosos, jusqu’au 11e round fatidique où ce dernier prit la gauche au corps de trop, rappelle ses meilleures années en à peine moins rapide. Si Bob Arum semble désireux de l’opposer à Shakur Stevenson à l’automne pour une unification WBC-IBF, ce Lomachenko-là donnerait sans doute du fil a retordre à un Gervonta Davis… en supposant que « Tank » accepte de prendre le risque, après 8 années de grande discrétion à l’évocation de la star ukrainienne.

Le MMA va bien, merci pour lui (Guillaume) /

  • Parlons MMA, parlons de Derrick Lewis. 1,91m pour plus de 120 kg de masse plus ou musculaire, la grâce et la finesse d’un conteneur sur des patins à roulettes, le cardio d’un morse atteint d’emphysème… Et l’un des combattants les plus excitants de la division poids lourds, capable de se faire rouler dessus pendant 24,40 et de voler le match avec un KO venu d’ailleurs dans les dix dernières secondes. Derrick Lewis n’est pas et ne sera jamais au niveau élite des tauliers de la caté, et n’en a d’ailleurs pas besoin : il lui suffit d’être lui-même. C’est-à-dire bouger comme un paquebot de plaisance, défier les lois de sa physionomie avec deux ou trois cissor-kicks sortis de nulle part, faire mentir tous ceux qui commettraient l’erreur de trop le sous-estimer sur le plan technique… Et terminer les débats avec un overhand de tractopelle suivi d’une célébration post fight dont il a le secret. C‘est exactement ce qui s‘est passé hier soir à l’UFC Saint-Louis contre le brésilien Rodriguo Nascimento. Face à un adversaire qui essaie d’emmener le combat au sol pour asphyxier le bestiau, Lewis tente un peu d’anti lui-même en jouant le jeu de son opposant dans les phases de clinch et en lutte. Le duel ne tourne évidemment pas à son avantage, même si les échanges debout lui permettent de scorer avec ses parpaings habituels. Puis, le « Black Beast » décide qu’il en a marre, et termine la partie sur un overhand droit bien sonore suivi d’une grêle de coup au sol avant que Jason Herzog ne vienne mettre fin aux débats. Suite à quoi Lewis enlève son short, ventile de l’air avec à son adversaire inconscient au sol, et jette sa coquille dans le public.
« Pourquoi ? Parce que ? »
  • Il y a des gens à qui on pardonne tout, parce qu’ils ont quelque chose que les autres n’ont pas. C’est une question de magie, la puissance de la funk : on l’a ou on l’a pas. Derrick Lewis l’a, et plutôt deux fois qu’une. 
  • Conor McGregor, bientôt de retour contre Michael Chandler dans quelques semaines et contre les pronostics de votre serviteur, muscle sa préparation. Il s’est fait ainsi photographier dans un… studio de musique, en cabine d’enregistrement, les écouteurs aux oreilles et le micro devant le claque-merde. Les spéculations vont bon train : McGregor s’apprête-t-il à sortir un album de rap ? L’affaire Kendrick Lamar/ Drake (LE clash qui secoue actuellement les réseaux et le rap game, pour les boomers qui composent l’essentiel du lectorat de 130livres.com) a-t-elle donné des idées au « Notorious », dont celle de trash-talker en diss-track contre son futur adversaire ? Est-ce qu’on peut revenir aux choses sérieuses, bordel de merde ?

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