Le site (Antoine) /
- Il n’aura pas échappé à ceux qui ont suivi l’accouchement par le siège d’une première moitié de compte-rendu du Hellfest 2023 que la rédaction de la seconde partie risquait de prendre quelque temps elle aussi. Et cependant un nouveau papier fut posté cette semaine, la recension de Son odeur après la pluie, le récit profond et prenant de 13 ans d’existence auprès d’un bouvier bernois. De là à dire que le lectorat du présent blog est gâté en 2024, il n’y a qu’un pas que nous franchissons en sifflotant.

Il est temps de rallumer la littérature (Antoine) /
- Si la loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) de 2020 interdit la destruction des ouvrages invendus, l’industrie de l’édition peut toujours recourir légalement au pilon : il s’agit d’une pratique permettant le recyclage. Reste que transformer chaque année en pâte à papier 26300 tonnes de bouquins produits, distribués, commercialisés et retournés représente un coût environnemental dispensable (on parle tout de même de 13,2% de la production apportée aux points de vente), après quoi les ministères de la Culture et de la Transition écologique rappellent aux professionnels du livre que la pratique du don est encouragée, notamment via des incitations fiscales. *insérez ici une blague de votre choix sur les bouquins d’un auteur que vous n’aimez pas à donner ou mettre au pilon*
- Alors que s’est achevée l’édition 2024 du Festival d’Angoulême, deux mots sur un roman graphique decouvert en fin d’année : Ma déconversion, de Benjamin Taïeb, aux éditions Les Enfants Rouges. L’auteur y narre paradoxalement les très longues étapes qu’on lui imposa, gamin, pour intégrer une communauté de Juifs orthodoxes. C’était le vœu d’un père pourtant pas très mystique, auquel sa mère goy ne s’opposa pas, et qu’il finit par rejeter à l’âge de 18 ans pour n’en conserver qu’un « ersatz » de culture juive vécue au quotidien. Tout le livre en bichromie terne raconte les sentiments ambivalents du jeune Benjamin vis-à-vis de son apprentissage, alors qu’on lui impose toujours plus d’injonctions d’une logique déroutante, voir carrément humiliantes et anachroniques. D’un côté, il veut bien faire, satisfaire son paternel et faire partie d’un groupe ; de l’autre, il bride ses envies, se sent isolé du reste de l’humanité et souffre du regard condescendant porté par les siens sur sa semi-judaité, cause de l’aberrante quantité d’obstacles qu’il devra franchir jusqu’à sa bar-mitsvah tardive. Servi par un trait détaillé et précis alternant réalisme et vagabondages de l’imagination adolescente, signé Julien Martinière, le récit cerne avec délicatesse la question complexe entre toutes de l’identité, à la fois subie et choisie, aliénante et émancipatrice. Ceux qui déplorent la tentation contemporaine du repli identitaire trouveront dans Ma déconversion de quoi utilement alimenter leur réflexion.

- J’adorerais avoir un truc intéressant et utile à dire sur la cabale frappant la désignation de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des Poètes 2024, mais ce n’est pas le cas. Baptiste Beaulieu est contre Sylvain Tesson, Valeurs Actuelles est contre Baptiste Beaulieu, on tombe de nos chaises et le débat public national atteint de fait de nouveaux sommets. Constatons simplement la deuxième place de l’intéressé au palmarès français des meilleurs ventes de livres la semaine dernière avec Fées. « There is no such thing as bad publicity.« P.T. Barnum.
- À propos de nos guerres picrocholines où le bulletin de vote s’avère déterminant dans le choix de l’opprobre ou du soutien qu’on réserve à un auteur, le romancier Patrice Jean signe un essai intitulé Kafka au candy-shop – La littérature face au militantisme où il tente d’échapper à la dichotomie #TeamErnaux vs #TeamHouellebecq à l’heure de considérer toute œuvre littéraire, reflet d’une expérience individuelle non soluble dans les postures collectives. Un vent de fraîcheur, donc, édité chez Léo Scheer. Dans la collection Chez Naulleau. Et merde.
- «Faute de mots, on sombre dans la violence et on ne peut pas accéder à sa pleine humanité, car l’homme est un être de langage.» Dans un entretien au site du Figaro, un auteur français contemporain appelle à une lecture rendue accessible à tous, soutenant qu’une meilleure maîtrise du langage permettrait de juguler la violence qui gangrène la société. Un vent de fraîcheur, donc. Signé Alexandre Jardin. Et merde.
- Polémique toujours, internationale cette fois : selon le site Actualitté, les Hugo Awards 2023, décernés lors de la 81e World Science Fiction Convention tenue en octobre dernier à Chengdu (Chine), ont bien probablement fait l’objet d’une censure. C’est ce que laisse supposer une consultation du site officiel des très prestigieuses récompenses attribuées aux littératures de l’imaginaire, dont Isaac Asimov, J.K. Rowling, George R.R. Martin ou Ray Bradbury furent lauréats : les noms de quantité de nominés des différentes catégories y sont suivis d’un astérisque signifiant « non éligible ». L’affaire se corse lorsqu’on sait que les critères d’éligibilité demeurent parfaitement inconnus. De là à croire que certains artistes figuraient sur une liste noire établie par Pékin, il n’y a qu’un (petit pas) qu’autoriserait à franchir un examen approfondi de leurs vies et œuvres. On s’abstiendra cette fois de siffloter en l’effectuant.
- Pour les 40 ans de la cultissime série de bande dessinée XIII, le scénariste Jean Van Hamme a écrit le 14e tome de la collection « XIII Mystery », dans laquelle il est question d’approfondir les origines et le destin des personnages apparus dans l’intrigue principale, intitulé Traquenards et sentiments et publié le 19 janvier dernier. C’était juste pour ajouter que ça ne me rajeunit pas.
Le cinéma est mort, la preuve : il bouge encore (Guillaume) /
- Parlons cinéma, parlons… d’Amazon, qui retrouve la première de couverture des réseaux pour les mauvaises raisons cette semaine avec ce qu’il convient désormais de nommer le « Road House Gate ».
- Souvenez-vous, c’était déjà sur 130 livres.com : il y a quelques mois, le légendaire producteur Joel Silver (L’arme Fatale, Die Hard, Matrix… : un genou à terre s’il vous plait) se faisait lourder de la plateforme et des projets sur lesquels il était en train de bosser, dont le remake de Road House. Sans être une saveur de l’année – pas plus en 1989 qu’aujourd’hui – le film original demeure une petite pastille d’époque qui rafraichit comme une paire de santiag au soleil avec feu Patrick Swayze en videur agrégé de philo qui la jouait maitre zen pour arracher les glottes à mains nues. Silver était déjà à la prod, et retour à l’envoyeur presque 35 ans plus tard pour la version Amazon réalisée par Doug Liman avec Jake Gyllenhaal dans le rôle de Swayze, tout va bien dans le meilleur des mondes. Sauf que patatras : Silver se fait virer en plein finalisation du montage. Officiellement, il aurait « verbally abused » le staff féminin de la Bezos team. Officieusement il aurait copieusement envoyé chier les execs de Road House qui l’aurait sommé de terminer le film avec une IA quand la grève des acteurs et des scénaristes battait son plein. On l’écrivait alors que les deux étaient probablement vrais, et les suites de l’affaire semblent donner raison au coup de gueule du producteur.
- Doug Liman, réalisateur du remake du film de Rowdy Herrington, donc, boycotte l’avant-première de son film au festival SXSW pour protester contre la décision d’Amazon de ne pas le sortir en salles. Malgré les efforts du réalisateur et de sa star Jake Gyllenhaal, qui auraient quasiment forcé une invitation sur le yacht de Jeff Bezos pour le faire changer d’avis, et des promesses du studio en amont, Comme l’explique le réalisateur: « Contrairement à ce qu’ils ont publiquement raconté, Amazon ne soutient pas du tout le cinéma. Ils m’ont demandé, ainsi qu’à ma communauté, de leur faire confiance, et on a publié ensemble ce communiqué dans lequel ils disaient soutenir les sorties en salles, puis ils ont changé d’avis et maintenant ils utilisent Road House pour aider à vendre des outils de plomberie. »
- Il est vrai que les arguments pour la défense des plaignants ne manquent pas : les screen tests atteindraient des scores de satisfaction astronomiques, le film fait de l’œil à l’UFC et donc du pied à des spectateurs capables de s’engager financièrement sur un PPV à 70 dollars (et donc potentiellement une place de ciné), et il y a même Conor McGregor qui y effectue ses grands débuts. Sans compter que les succès de Top Gun : Maverick, Creed 3, ou plus récemment Beekeeper avec Jason Statham l’ont rappelé : n’en déplaise aux apôtres du monde d’après déconstruit et postgenré, les films de muscles et de couilles qui résolvent des problèmes avec les deux pieds dans la gueule LittleJohn, ÇA MARCHE. Car les gens continuent de lâcher leurs gros billets pour voir ça au cinéma.

- La bande-annonce, tombée cette semaine, promet tout ce qu’on peut attendre d’une production de cet acabit : une saine conscience de ce qu’elle est, de ce qu’elle a à offrir, des attentes soulevées et honorées dans un sens du spectacle qui sent le popcorn dans une salle King Size. Bref, « Je ne suis pas un contenu » écrit en grand écran à 24 i/secondes, mais il en faut plus pour battre l’algorithme. Liman enfonce le clou : « La réalité, c’est qu’il n’y a peut-être même pas de méchant humain dans cette histoire. C’est peut-être l’algorithme d’Amazon qui a décidé de cela. Ils vendront plus de grille-pains en ayant davantage d’abonnés, et pour augmenter les abonnés, ce sera plus facile si vous n’êtes plus en compétition avec les cinémas ? Mais un ordinateur pourrait très bien arriver à la conclusion que pour empêcher le réchauffement climatique, la meilleure solution serait de tuer tous les humains ! Un ordinateur ne sait pas ce que c’est d’apprécier un film dans une salle pleine, de rire et de pleurer en même temps dans l’obscurité d’un cinéma. Et si Amazon continue comme ça, le public du futur ne le saura pas non plus. »
- Bref, vous l’avez compris : regarder Road House, c’est un acte de cinéma. S’arranger pour ne PAS le regarder sur Prime, c’est un acte de résistance à Skynet. Comprenne qui pourra.
- Monkey Man, le premier film de l’acteur Dev Patel (Slumdog Millionnaire, The Green Kinght) connait un sort inverse. À l’origine prévu pour une diffusion sur Netflix, le long métrage aura les honneurs d’une sortie cinéma après que son producteur Jordan Peele a décidé que le film méritait mieux que le streaming. Tant mieux : s’il s’agissait effectivement d’un « John Wick à Mumbai » comme le clame la production, on le claquerait dans la liste « Mes favoris » qui contient déjà tout ce que vous aurez peut-être envie de regarder plus tard mais certainement pas maintenant. Or, la bande-annonce promet quelque chose d’infiniment plus ambitieux, à cheval entre plusieurs époques et plusieurs genres, entre actionner fantastique et le vigilante ésotérique. Watch it now :
- Il n’y a pas que les studios cinéma qui chient sur leurs propres créations, les plateformes ont elles aussi le cigare au bec. Cette fois ce n’est pas Warner mais Netflix qui met à la corbeille un film déjà tourné. En l’occurrence The Mothership, premier film de Matthew Charman (scénariste du Pont des Espions de Steven Spielberg), avec Halle Berry dans le rôle d’une mère découvrant un artefact extraterrestre sous sa ferme. Le N rouge aurait tout simplement décidé de couper le robinet à un film qui a terminé son tournage en 2022 mais dont la postproduction s’éterniserait depuis 2023. Deux solutions. Premièrement, le résultat s’avère à ce point mauvais et irrattrapable que le staff de la plateforme prend la bonne décision en préservant la décence commune d’une insulte audiovisuelle en majuscule. Séduisant mais au regard de la moyenne (basse, très basse) de finition des contenus maisons, on est en droit d’avoir un doute. Deuxièmement : Netflix ne dispose d’aucune personne compétente susceptible de tirer un film du bordel en postprod, et préfère l’annuler plutôt que d’aider à l’améliorer. Ce qui, au regard de la moyenne (basse, très basse) de finition des contenus maisons, se révèle nettement plus probable. Et l’art, dans tout ça ?
- À l’heure où vous lirez ces lignes, il vous restera deux jours pour aller voir Godzilla : Minus One au cinéma, la dernière itération du plus célèbre des Kaijus ayant bénéficié d’une ressortie de deux semaines après le buzz engendré par son passage éclair sur les écrans français en décembre dernier. Soyons clairs : le film de Takashi Yamazaki est clairement le meilleur blockbuster de l’année dernière et possiblement de celle qui arrive. On aimerait en voir tous les jours des comme ça, des films de monstres à hauteur d’homme qui arriment leur créature à l’inconscient du personnage principal, comme Spielberg dans Les Dents de la mer.
- Minus one raconte comment en 1945, un kamikaze déchu qui a refusé la mort obligatoire et rencontré le monstre qui a décimé son unité essaye de reconstruire sa vie dans le Japon en ruines de l’après seconde guerre mondiale. Malgré la honte, la culpabilité du survivant, l’ostracisation sociale bref : avant d’être un film de monstre, Minus One est surtout un film d’outsider, un vrai. Un grand mélo romanesque sur le retour impossible du front, l’incapacité de vivre après avoir échappé à la mort et l’amour de l’autre quand on ne supporte pas son reflet dans le miroir. On a beaucoup et à juste titre parlé des Dents de la mer pour évoquer le dernier tiers de Godzilla : Minus One. Mais la filiation n’est pas qu’histoire de décorum : c’est dans ce que les images pensent tout bas sans le dire tout haut. Godzilla EST le héros, la part de lui-même qu’il n’ose pas affronter, la peur dont il essaie de se cacher. Le refoulé et l’impensé d’un homme et d’une nation dérangé par la poussière laissée sous le tapis. Ce qui est finalement l’essence même d’un monstre né des décombres d’Hiroshima et Nagasaki, mais qui prend ici les tournures d’un grand spectacle de l’intime absolument grisant. Jusque dans un retournement de situation qui rachète la suspension d’incrédulité du spectateur comme un Jim Cameron de la grande époque. On appelle ça maitriser ses refs.
- En outre, la démythification de l’héroïsme mâle japonais s’accompagne de la déconstruction du récit national et de l’ordre social. Ici, encore une fois, ce sont les outsdiers qui prennent la main. Ceux qui n’ont jamais voix au chapitre, prennent sur eux en silence, subissent les décisions d’en haut, corvéables à merci, les Karlouches les Arlbouches les manouches au regard louche, bref : le peuple. Ici unis sous l’égide de l’intelligence collective en action et en direct pour imposer LEURS idées et LEURS méthodes à l’incurie des officiels. « Tout est politique » disait Godard, qui aurait peut-être aimé connaitre le Kaiju-Eiga en gilet jaune avant de passer l’arme à gauche. C’est aussi une certaine définition du grand cinéma populaire : celui qui célèbre le peuple et sa capacité d’action. M’en contrefous que vous ayez aquagym, apero Detox pistache pamplemousse, ou même une réunion parents-profs : il faut aller voir Gozilla Minus One, et vous avez deux jours.

Ce qui reste de la boxe anglaise (Antoine) /
- Je l’ai dit et répété ici : 2023 fut une année de grands champions en démonstration plutôt que de grands combats. Il semble que celle qui lui succède ait décidé de s’en démarquer, offrant dès mardi dernier aux afficionados un candidat sérieux au titre de Fight of the Year. On doit parfois les plus grands moments de boxe à des erreurs tactiques indignes de leurs protagonistes, celles qui font basculer l’escrime de poings la plus huilée en pure bagarre de saloon. Le champion WBA-WBC des mi-mouche Kenshiro Teraji dispose de tous les moyens pugilistiques pour jongler chaque adversaire comme un brelan de massues : il est rapide de bras, donne un jab et des combos d’école, entre et sort excellement de la zone de conflit grâce à des jambes sur coussin d’air, et ne se fatigue qu’après 15 rounds dans des combats prévus en 12. Seulement voilà : Teraji doit soigner un public aussi silencieux en bord de ring que passionné de guerres totales, dans un pays où la superstar Naoya Inoue confie finir ses adversaires pour faire plaisir aux fans. « The Amazing Boy » doit exister face au « Monster », boxeur de l’année 2023 selon The Ring et 130livres.com, qui l’a d’ailleurs battu du temps des amateurs. Ce 23 janvier, donc, Teraji nous a gratifiés de 36 minutes de pandémonium là où il aurait pu ciseler une nette victoire aux poings sur Carlos Canizales.
- Massif et réputé gros frappeur, le Vénézuélien prodigue en coups puissants a joué sa chance d’entrée. Le champion ne tarda pas à trouver le défaut dans la cuirasse ; dès la 2e reprise il remportait un échange de droites en touchant plein front, obligeant Canizales à (mal) maquiller un voyage au tapis en plaquage de Top 14. L’erreur de Teraji aura consisté à vouloir forcer la conclusion contre un adversaire toujours plein de gaz, et qui ne tarda pas à reprendre sa marche en avant. Il eût alors été plus avisé d’éviter un stationnement prolongé dans l’axe, surtout derrière une garde aussi haute que poreuse, au lieu de quoi le Japonais s’exposa à un méchant gauche-droite de forain. On était ainsi à un knockdown partout en fin de 3e round et les hostilités allaient durer bien plus longtemps qu’escompté, sur un rythme insensé, entre défenses également perméables. Si l’on sentait fumer le capot de Canizales après la mi-combat, il trouvait des ressources insoupçonnées et choisissait bien les moments où débrider sa puissance des deux mains, surtout dans les 30 dernières secondes de chaque round. La cloche sembla sauver Teraji plus d’une fois. Il dut d’ailleurs se résigner à enfourcher sa bicyclette pour la dernière reprise, définitivement vidé de son habituel venin. Après un combat serré comme un poing, nul scandale à le voir s’imposer sur une décision à la majorité. Il importera simplement de revoir danser ensemble ces deux épatants partenaires de tango ; on verra alors les traces qu’aura laissé ce 23 janvier 2024, et si Teraji se laissera happer dans une nouvelle guerre entre super-héros. On se le souhaiterait plutôt qu’à lui.

- « Shopworn » : se dit d’une machine qui fonctionne toujours, mais a subi l’usure générale d’une utilisation prolongée à l’usine. Chez nous, on pourrait dire « état d’usage ». Sur le ring, les Américains l’emploient pour qualifier un boxeur qui a amorcé son déclin tout en restant présentable – un cran avant « over the hill » et deux avant « shot ». Ceux-là, les promoteurs les affectionnent : ils représentent un risque modéré pour leurs poulains tout en constituant une bonne victoire sur un CV. Hier soir à Phoenix, John Ryder était exactement à ce stade de maturité, et Jaime Munguia en a profité pour signer son succès le plus impressionnant chez les super moyens. L’Anglais de 35 ans a visité 4 fois le tapis avant que son coin ne se montre avisé d’arrêter les frais au 9e round. En apparence, c’était bien le même « Gorilla » que d’ordinaire, massif, courageux, guère rapide ou actif mais au timing intelligent, barbant à boxer avec sa garde de gaucher et son aisance dans le clinch. Un boxeur qui avait dignement fait front contre un Saul « Canelo » Alvarez convalescent lors du dernier Cinco de Mayo, au point de s’attirer des commentaires élogieux sans avoir grapillé plus d’1 ou 2 rounds sur les 12. Opposé à un Munguia en difficulté face à l’antique Sergiy Derevyanchenko, on lui donnait une chance de créer la surprise, voire de subir une nouvelle décision très politique.
- Las, la dernière guerre de John Ryder l’aura laissé un poil plus lent, statique et friable qu’il ne le fut ; c’était sûrement le pari d’Oscar de la Hoya en organisant le combat et il faut saluer l’oeil du professionnel consommé. Jaime Munguia put ainsi faire prévaloir sa vitesse de bras supérieure et sa capacité à enchaîner les coups puissants derrière un jab dominant. Il put sans risque dicter le rythme du combat, choisir ses moments pour récupérer autant que pour accélérer, et finalement cueillir à répétition un adversaire aux réflexes et au menton émoussés. Golden Boy Promotions a maintenant une belle histoire à raconter, celle d’un puncheur invaincu qui disposa de John Ryder plus facilement que Canelo et mérite donc son ticket d’or pour un superfight Tijuana vs Guadalajara, idéal pour la prochaine fête nationale mexicaine. Avouons-le : même si Munguia s’y ferait casser la bouche qu’il garde si grande ouverte sur le ring, la perspective reste plus sexy qu’un affreux Canelo vs Jermall Charlo. Ryder aura bien mérité notre gratitude à tous, ainsi qu’une boîte de chocolats d’Oscar de la Hoya pour Noël prochain.
Le MMA va bien, merci pour lui (Guillaume) /
- Parlons succinctement de MMA, reparlons de…. Cédric Doumbé. La star française a officialisé la semaine passée son combat contre Baysangour « Baki » Chamsoudinov au PFL pour mars prochain. Les hostilités ont déjà commencé par trash talking interposé, mais le précédent adversaire de Doumbé, Jordan Zébo, s’est invité dans la mêlée. Le combattant du MMA Factory a jeté un sacré pavé dans la mare en évoquant sa vie après le KO de 9 secondes que lui a infligé « The Best » en septembre passé. Les humiliations dans la rue et sur les réseaux, les « Jordan t’es mort » repris à tue-tête en pleine rue et en face de ses proches… Un homme ça pleure pas et un combattant encore moins, mais même le monde du pugilat n’est pas imperméable à la libération de la parole. On l’a vu avec l’histoire de Tyson Fury, les larmes de Deontay Wilder, les confessions de Mike Tyson.

- Jordan Zébo a été le bouc émissaire d’un moment d’Histoire majuscule du MMA français. La Piñata d’une mise à mort publique à laquelle a pris part son propre coach, le sacrifice humain au culte Doumbé qui marionnetisait la foule comme Lord Humungus dans Mad Max 2. Jordan Zembo s’est fait exécuter et bizuté sur l’autel de l’entertainment décomplexé. Il y avait encore voici quelques temps dans nos contrées ce reste de réserve très Vieille-Europe qui nous préservait de jouir sans manières comme les ploucs du Nouveau Monde. La digue a sauté, et maintenant la France rattrape son retard sur les États-Unis qui eux, aimeraient bien grandir un peu.
- Pas la peine de verser des larmes de crocodiles ici. J’étais devant mon écran quand Doumbé a passé son KO à Zébo, et comme tout le monde je suis monté dans le TGV de la hype sans manifester plus de remords que nécessaire quant au sort du perdant. Après tout, il souriait toujours, l’ancien champion du Glory lui a manifesté son soutien, on a applaudi à cette belle démonstration d’esprit sportif, et soyons francs on kiffait trop pour faire les comptes. Mais ce que Jordan Zébo a subi ce soir-là, c’est un concert de haters réunis pour une séance de harcèlement collectif. On ne parle des quolibets du camp d’en face ici : c’est le jeu, ça existe depuis que le sport est sport et ça continuera bien après. Non là, c’était pratiquement comme regarder David Beckham se faire maltraiter par tous les stades anglais après son carton rouge imbécile lors de la coupe du monde 1998. Même pire, car Zébo n’a pas provoqué la disqualification ni le discrédit de son équipe nationale, non. Il affrontait juste un combattant hors pair et ultra populaire qui ressemblait à un gourou de secte ce soir-là
- Je ne juge pas Doumbé, ne demande à personne de le faire et je serai le premier à être assis devant ma télé le soir de son combat contre Baki. Mais je m’interroge quand même : avons-nous vraiment besoin de tout ça ? Cédric Doumbé n’en a t-il pas plus besoin que nous ? À l’heure d’Internet, sommes-nous vraiment tous devenus aussi facilement disposés à succomber à l’ivresse de l’aliénation collective ? Vous avez deux heures.