Le site (Antoine) /
- Le rythme de publication est erratique en 2023, convenons-en, mais la rentrée vit paraître une salve de papiers passablement spectaculaire au regard des standards de 130livres.com. Récapitulons-en les sujets : La méfiance du gibier, roman de la rentrée consacré au quotidien d’un agent d’accueil et de sécurité affecté sous la pyramide du Louvre, Il faut croire au printemps, sorti en mai dernier et narrant l’étrange errance de l’auteur inconsolable d’un féminicide et son fils de dix ans, et Alias Ali, l’une des meilleures biographies du Greatest jamais publiées et sans doute la plus audacieuse d’un point de vue formel. Avouez qu’en l’occurrence Ducros s’est bien décarcassé.
- Nouveau Moby Dick de l’auteur principal du présent blog, le compte-rendu du Hellfest 2023 est entamé, c’est promis, mais devrait encore prendre quelque temps à écrire. Avec un peu de chance il sortira avant la prochaine édition du festival.

Il est temps de rallumer la littérature (Antoine) /
- On fut nombreux à venir suer chez Delamain, en face du Palais Royal, aux derniers jours de la canicule le 6 septembre dernier. L’événement était d’ampleur : comme le fit remarquer Marc Villemain, intervieweur d’un soir, éditeur du roman dont il était question et propriétaire d’une impressionnante collection de chemisettes, cela faisait huit ans qu’Éric Bonnargent ne nous avait pas gratifiés d’un nouveau livre. Apparemment le covid aura aidé l’auteur à remettre l’ouvrage sur le métier. Ledit ouvrage s’intitule Les désarrois du professeur Mittleman, et pencherait assez franchement vers l’autofiction selon Villemain ; c’est loin d’être un reproche dans la bouche de l’éditeur, fan revendiqué d’un Philip Roth qui « allait sur les chemins de l’autofiction », c’est à dire d’une « sublimation du récit de soi ». Bien que « prof de philo blanc et hétéro exerçant en banlieue » à l’instar de Mittleman, l’auteur, lui, ne raffole pas de l’idée. Voire, elle l’agace. Ce qui arrive au protagoniste ne lui arrive pas à lui. On pourrait plutôt comparer Mittleman et Bonnargent au tandem Bovary – Flaubert. Il s’agissait surtout de trouver un environnement où être à l’aise en tant qu’écrivain pour traiter l’idée de vieillissement, avec en arrière-plan une question lancinante : est-on condamné à devenir réac ? Mittleman est dur avec le monde entier, dont lui-même. Amours, publications, il estime avoir tout loupé sauf ce qui l’intéressait le moins, le professorat. Or s’il est insatisfait, Mittleman a tout de même réussi des choses… sans bien connaître le rayonnement académique d’Éric Bonnargent, le nombre de ses élèves présents dans la librairie laisse imaginer qu’il est parfois apprécié lui aussi en tant qu’enseignant. Villemain enchaîne sur deux éléments du bouquin largement soulignés par ses premiers lecteurs : la critique du mammouth éducatif français, secondaire selon lui, et la sensibilité de Mittleman, alors que l’éditeur le trouve plutôt « misanthrope » et « en plein désarroi métaphysique ». Là encore le tandem n’est pas complètement en harmonie : Bonnargent tenait avant tout à montrer en quoi consiste la vie de prof pendant les cours, un point de vue pas si fréquent en littérature, le mélange d’apports, de police et de réactivité qui fait le pédagogue accompli. Le style des enseignants a dû évoluer avec le temps – ce qui a changé est la proportion d’élèves en difficulté et leur rapport à l’autorité. Quant au moi profond de Mittleman, il lui trouve au contraire une vraie gentillesse sous sa misanthropie de façade. « Moi, je l’aime bien. » « C’est bien de l’autofiction ! » triomphe Villemain, avant de passer le micro à la salle. On apprend alors que l’auteur ne compte pas spécialement envoyer son opus au nouveau ministre (« Je crois qu’il s’en tape »), que les dialogues pour le moins originaux où ne figure que la voix du professeur répondaient à un besoin de cohérence et de lisibilité, que sa présente rentrée « est une rentrée » à défaut d’être « bonne » et que son prochain roman abordera la boxe, la religion et l’élevage industriel des poules. On espère l’attendre moins de huit ans. Dehors, il fait tellement chaud que je bois un Pulco plutôt qu’un blanc tiède. La rentrée est dure pour tout le monde.

- Changement de quartier : mercredi dernier se pressèrent à l’Humeur Vagabonde, non loin de la mairie du XVIIIe arrondissement, tout un tas de quinquagénaires convaincus de s’habiller cool. Autant dire que j’étais dans mon élément. Il s’agissait de célébrer Laurent Rivelaygue, auteur d’Il faut toujours envisager la débâcle. Plutôt qu’une interview, l’échange gentiment destructuré entre l’auteur et le libraire prénommé Olivier a des allures de numéro de duettistes. On se connaît, c’est manifeste, et l’on s’interpelle au gré des commentaires : « Ah, tiens, c’est pas con. » Affable, Olivier vante un mélange de genres bien construit, du monologue subjectif au récit factuel et du drolatique au carrément flippant, articulé en deux parties bien distinctes. Rivelaygue embraye, à la fois expressif et un chouïa timide. Comme son héros jamais nommé, il a enquêté sur le criminel surnommé le Grêlé, vedette des cold cases à la française, et pendant l’écriture de son roman un autre suspect que le sien s’était avéré le bon… Le protagoniste, lui, a une excuse : il est viré de Logistique Infos et suit une impulsion absurde en écrivant un bouquin, pour échapper à un quotidien sur lequel il n’a guère de prise. « C’est le début d’une longue descente ». Il perd pied, et tous ses filtres. Olivier lit un premier extrait, pas mal marrant. « Je croyais que j’avais enlevé ce passage-là ». Le désir de roman, dans Il faut toujours envisager la débâcle, est à la fois une chimère et une bouée. Olivier lit un nouvel extrait : spoiler de taille – mais évoqué en quatrième de couverture –, Xavier Dupont de Ligonnès sort du troisième tiroir du bureau sur lequel le héros travaille à son texte. « Comment expliquer qu’on y croie ? » s’interroge le libraire. Le surréalisme fait partie intégrante des textes de Laurent Rivelaygue. Celui-ci rappelle qu’avant l’apparition, de la nourriture disparaît, le protagoniste est insomniaque, alcoolique, sa femme s’inquiète… il est « passé de l’autre côté » et qu’il croise ainsi XDDL paraîtrait presque normal. « Normal » est d’ailleurs un qualificatif qu’Olivier lui appliquerait : « c’est le monde qui ne le comprend pas ». Bien qu’il finisse par s’en débarrasser d’une manière rigolote (NB : je vous épargne ce divulgâchage-là), une relation se noue entre le plus célèbre fuyard de France et lui, l’assassin s’immisçant carrément dans son boulot et demeurant une sorte de Jiminy Criquet après sa disparition. Le narrateur avance peu à peu dans l’enquête, il patine gaiement – comme Rivelaygue LR a patiné avant lui. C’est d’ailleurs en creusant l’idée résolument originale d’un roman sur XDDL planqué dans un tiroir qu’il a découvert le Grêlé. Olivier souligne l’intérêt des personnages secondaires, notamment une conseillère Pôle Emploi nommée « Boulot », un thérapeute à chaussettes rouges et une « très symbolique » fissure au plafond qui s’allonge inéluctablement. Il évoque avec l’auteur une autre thématique du livre, la profusion de forums en ligne consacrés aux affaires non classées, remplis de dérangés qui croient qu’ils seront plus efficaces que la police. Tel son personnage, Rivelaygue a bien rencontré un passionné convaincu d’avoir retrouvé le Grêlé sur Facebook. Dans sa seconde partie, le roman exploite notre attrait pour le sordide, attisé par des médias permettant d’y rester connecté H24. Certains éditeurs n’ont d’ailleurs pas assumé de rire avec Dupont de Ligonnès et le Grêlé. Il reste toutefois de la douceur dans cette histoire-là, tant son protagoniste est gentiment paumé. On aurait presque envie de le lire.

Le cinéma est mort, la preuve : il bouge encore (Guillaume) /
- Ça vous avait manqué. L’été terminé, on arrête de transpirer nos effluves d’apéro dans la moiteur de la canicule estivale pour se remettre au turbin. Donc : parlons cinéma, parlons été U.S. Comme 130livres.com vous l’avait seriné sur une base quasi-hebdomadaire, un mistral de dégagisme a vidé ses poumons dans les salles obscures. L’été US s’est donc transformé en cimetière pour les franchises sédentarisées dans le couloir du milliard au box-office mondial depuis 15 ans. Fast and Furious, The Flash, Indiana Jones, Mission: Impossible… On ne compte plus les too big to fail qui risquent de faire transpirer à grosses gouttes les comptables des studios à l’heure du bilan annuel. Nous ne rajouterons rien à ce que nous avons déjà maintes fois développé et redéveloppé en ces pages depuis plusieurs mois. Car comme le destin des blockbusters US cet été nous l’ont rappelé, les blagues les plus courtes sont les meilleures, il faut savoir s’arrêter à temps. Tout juste nous accorderons un rictus d’autosatisfaction devant la nuée de médias qui ont découvert le pot-aux-roses à posteriori : non, ce pays n’est plus pour le vieil Hollywood des années 2010. C’est important de s’autobrosser dans le sens du poil. De temps en temps, et pas trop longtemps.
- Plus intéressante en revanche est la réaction des majors, qui semblent bien décidées à s’enfoncer plus que la tête dans le sable. Que ce soit chez Disney, Warner ou les autres, personne ne semble disposé à la remise en question d’un modèle en constat d’échec patenté, oui. Mais qui a l’avantage de favoriser les propriétaires de licences intellectuelles coûteuses, à savoir… Les studios eux-mêmes. Donc mode « Je vous ai compris » mais pas question de vous écouter activé.
- Explications. Au centre du conflit anthropologique entre l’art et l’industrie au cinéma, il y a ce que les gens veulent voir, ou non. Le film qui les incitera ou non à échanger un peu de leur pouvoir d’achat grignoté par l’inflation contre un ticket de cinéma. Ainsi, les studios veulent ce qui attire les spectateurs et pour ça ils ont besoin des artistes le trouver, le créer et in fine faire de l’argent. Dans l’hypothèse d’un cercle vertueux qui tourne rond, chacun accepte d’avoir besoin de l’autre pour alimenter la cale hollywoodienne. Évidemment, l’un et l’autre n’ont de cesse de s’échiner à faire pencher le rapport de forces en sa faveur. C’est le jeu, c’est comme ça, et ça fonctionne plus ou moins bien selon les époques et les sensibilités.
- Mais avec le tout-franchise, les studios achètent le résultat du bras de fer : ils possèdent désormais ce que les gens veulent voir, ou ce qu’ils ont déjà vu et veulent revoir. Comme s’ils avaient extorqué aux dieux le secret du feu, à coups de fusions-acquisitions et d’OPA agressives. Autrement dit, ils détiennent les licences populaires qui sont censées faire venir le public en salles, et n’ont plus besoin de se reposer sur un tiers pour leur apporter la solution. Dans cette configuration, l’artiste se fait requalifier son poste : il devient au mieux un « créatif », c’est-à-dire un employé embauché pour ses compétences plus que pour sa vision. Oui ça a toujours existé, mais l’enjeu n’a peut-être jamais été aussi crucial qu’aujourd’hui.

- On comprend la raison pour laquelle les boss des studios s’accrochent à ce modèle qui leur offre les (quasiment) pleins pouvoirs. Pas besoin de créer, ils ont acheté la création. Céder à l’évidence renvoyée par cet été US, c’est non seulement sacrifier leur ascendant au présent, mais surtout la grosse kichta du futur. Car nul doute que la notion de propriété intellectuelle pourrait prendre tout son sens avec le développement des IA. Et oui, on y revient, la grève des scénaristes et des acteurs s’invite dans le débat. Mais imaginez qu’il suffisse de taper « Star Wars » « Indiana Jones » dans la barre de conversation, remplacez le « créatif » par un ingénieur de prompt, et vous aurez du contenu à l’infini. Comme l’a exprimé la toujours très vocale Alexandria Ocasio-Cortez : « La seule façon de résoudre ce problème est de confronter les responsables à la réalité en leur rappelant que s’ils quittent leur emploi, la vie continue. Mais si nous quittons le poste, tout s’arrête ». La grève des acteurs et des scénaristes continue pour les mêmes raisons que les studios agissent comme si l’été 2023 ne les avaient pas désavoué : parce que c’est vrai.
- Un petit mot sur le grand gagnant attendu de la saison : le fameux Barbenheimer, même ravageur de temps de cerveau disponible sur les réseaux, et surtout carton qui a fait du bien aux salles obscures. Quoique l’on pense des films de Christopher Nolan et Greta Gerwig (pas que du bien, surtout pour la seconde), il faut bien admettre que la victoire de concepts originaux et de visions d’auteurs ayant le mérite de leur jusqu’au boutisme (à défaut de leur aboutissement) constitue un appel d’air salutaire pour le renouveau de la production. Même si concernant Barbie, on est pas sûr de vouloir changer la recette de la semoule. Non seulement le film est beaucoup moins réussi en tous points que ses influences revendiquées ou non (La grande aventure Lego, Zoolander, et même… La revanche d’une blonde), mais Greta Gerwig ne fait même pas semblant de ne pas brosser la vitrine de Mattel, la société presque aussi citée que son jouet dans le film qui lui est pourtant dédié. Gerwig adopte finalement la même perspective sur son personnage que la société qui l’emploie : en hauteur, simple instrument sans libre-arbitre d’un message women-empowerment approuvé jusque dans les petits paragraphes par la corporation concernée. Bienvenue dans l’ère du film d’entreprise : l’idée sans incarnation, la publicité sans produit, et le cinéma comme outil de happiness-management à destination des masses.

- Un dernier mot de cinéma pour vous parler du VRAI miracle de grand-écran inattendu de cet été. Une contre-proposition absolue qui n’hésite pas à aller contre les diktats de son époque et à reconfigurer les attentes de son spectateur en cours de route. Non je ne parle pas d’Anatomie d’une chute de Justine Triet (qui fera les affaires du service public pendant les après-midis pluvieuses dans quelques années) mais de EQUALIZER 3, avec Denzel Fucking Washington, de retour dans le rôle de la plus implacable machine à tuer jamais croisée sur un écran de cinéma. Oui, chaque mot est pesé : Robert McCall fait de l’ostéopathie avec les boulons du Terminator, disparait à la vue du Predator, et boit le sang de l’Alien à même la glotte. Une aura qui doit bien évidemment à la cinégénie plus surnaturelle que jamais de Denzel, capable de résumer 120 ans de 7ème Art en buvant son café. On avait pas vu ça depuis… Tàr de Todd Fielding avec Cate Blanchett, sorti en ce début d’année. 2023 est définitivement l’année des monstres de la Grande Toile, dans tous les sens du terme. Cinéaste plus que doué, Antoine Fuqua a également oublié d’être idiot, et laisse son acteur principal guider la cinématographique top-moumoute du long-métrage. De la photo aux décors en passant par le montage, Équalizer 3 est tout simplement le plus beau morceau de cinéma au cinéma qui nous a été donné de voir cet été. Et Fuqua d’achever de transformer le vigilante des premiers films en boogeyman, la mort INCARNÉE venue faucher les âmes noires, un courant d’air qui se cache sous le tapis pour aspirer les 21 grammes des bourreaux de ce monde en les regardant droit dans les yeux. Équalizer 3 ? Un film d’horreur pour les horribles. Et pour les justes un western qui prend le temps et l’espace de reconnecter son personnage principal avec le vivant et la lumière. Autrement dit, qu’est-ce que vous faites encore là ?!

Ce qui reste de la boxe anglaise (Antoine) /
- Depuis des semaines, les fans ont entouré le 29 septembre prochain dans leur calendrier, date du choc de champions incontestés entre Saul « Canelo » Alvarez et Jermell Charlo. À écouter Canelo, on le jurerait plus motivé qu’avant ses dernières sorties semi-convaincantes face à Gennady Golovkin et John Ryder, sans même évoquer le leçon reçue des mains de Dmitry Bivol. À écouter Austin Trout, adversaire commun aux deux combattants, ceux qui voient un favori logique en Alvarez oublient que Charlo l’avait dominé avec plus d’autorité ; de son propre aveu Trout avait été incapable d’avancer sur « Iron Man » comme il l’avait fait sur le Mexicain. On salive à d’autant plus juste titre sur cette belle affiche automnale que sa sous-carte est blindée comme rarement. Le co-main event opposera Yordenis Ugas à Mario Barrios pour le titre WBC par intérim des welters ; le Cubain a les faveurs des pronostics contre un Barrios à la puissance de feu limitée chez les moins de 147 livres, cependant l’intérêt de la confrontation est rehaussé par l’âge d’Ugas, désormais 37 ans sous la toise, et son inactivité de presque 18 mois depuis la rouste subie des mains d’Errol Spence Jr. Tout dépendra de la version de « 54 Milagros » qui se présentera sur le ring de la T-Mobile Arena. Attention aussi à un duel de super welters américains et gauchers au fort parfum de poudre à canon opposant l’invaincu Jesus Ramos au vétéran Erickson Lubin. Pour « The Hammer » Lubin, une troisième défaite en carrière après Jermell Charlo et Sebastian Fundora sonnerait sans doute le glas des derniers rêves de titre mondial. Ramos, lui, devra confirmer le potentiel entraperçu contre Brian Mendoza et Joseph Spencer. Mais le meilleur combat de la soirée pourrait bien opposer le jeune prospect de l’Arizona Elijah Garcia au Mexicain José Armando Resendiz. Garcia est un tueur à sang froid obnubilé par le KO auquel il reste des lacunes techniques ; Resendiz, de son côté, a montré en expédiant le spectre de Jarrett Hurd qu’il avait une sévère paire de baloches doublée d’un très gros moteur. Vous l’aurez compris : cette soirée du 29 septembre est la plus dense depuis longtemps.

- Le superfight du 29 septembre sera précédé d’une semaine par la revanche entre « Big bang » Zhang Zhilei et le « Juggernaut » Joe Joyce. Si l’Anglais ne manque pas d’un certain courage en demandant un rematch immédiat, il sait aussi que le temps joue contre lui et que la première défaite en carrière concédée en avril dernier obère ses chances de combattre pour un titre. Espérons pour lui qu’il aura appris à tourner cette fois sur la droite du Chinois, tant le bras arrière précis dudit gaucher basé à Bloomfield (New Jersey) avait fait des dégâts dès l’ouverture de leur première danse. Quant à Zhang, accorder cette revanche risquée à une époque pétocharde où les meilleurs lourds s’évitent autant qu’ils peuvent mérite le respect. Quel que soit le vainqueur, il aura largement mérité un championnat du monde.
- Le même soir à Orlando, un duel de générations et de styles méritera qu’on y jette un œil. L’invaincu Américain d’origine haïtienne Richardson Hitchins brigue une chance mondiale chez les super légers ; sa technique et sa vitesse lui ont permis de surclasser un John Bauza boxant presque à domicile en tant que Portoricain au Madison Square Garden. Face à lui, le vétéran José « Chon » Zepeda abattra sa dernière carte. Une carrière exemplaire que celle de Zepeda : vainqueur de l’hallucinant Fight of the year de 2020 contre Ivan Baranchyk, chasseur aux racines mexicaines de Boricuas à grande bouche en les personnes d’Ivan Pedraza et Josué Vargas – ce dernier fumé comme un saumon en moins d’un round –, il échoua à deux reprises contre les clients José Luis Ramirez et Regis Prograis pour un titre planétaire. Hitchins devrait lui tourner autour et l’assaisonner de son jab, mais gare au pêché d’orgueil face à un finisseur de l’expérience de Zepeda… qui aura tout mon soutien, sur ce coup-là.
- C’est signé pour le 16 novembre prochain : à défaut d’affronter son compatriote Frank Martin, auteur d’un joli refus d’obstacle, le prodige américain Shakur Stevenson tentera d’empocher le titre WBC des légers laissé vacant par Devin Haney (il affrontera Regis Prograis à 140 livres le 9 décembre) aux dépens du Dominicain Edwin De Los Santos, gaucher lui aussi. Ce dernier est encore loin d’avoir le CV de l’ancien champion unifié des super plumes, et n’est pas encore tout à fait dégrossi techniquement – sa main droite gardée très basse faillit lui coûter un fameux KO contre José Valenzuela. Reste que son punch et sa vitesse de bras en font l’un des rares boxeurs à moins de 135 livres susceptibles de mettre Stevenson en difficulté sur un coup. Il est tactiquement avisé de l’affronter en 2023 plutôt que nanti d’un ou deux ans de plus à bosser ses fondamentaux… Au programme de la même soirée à la T-Mobile Arena, le champion WBO des moins de 130 livres Emmanuel Navarrete, auréolé d’un succès éclatant contre Oscar Valdez il y a à peine un mois, affrontera le médaillé d’or brésilien de Rio Robson Conceicao. Une excellente nouvelle, et ce à double titre. D’abord, il convient de saluer en 2023 un champion disposé à rester aussi actif que Navarrete, dont le style atypique et efficace, tout en volume de coups et recherche d’angles déroutants, mérite d’être contemplé sur les rings les plus prestigieux. Et puis une telle affiche laisse augurer une prochaine confrontation entre un Stevenson champion des poids légers et un Navarrete briguant lui aussi un titre dans une troisième catégorie de poids. Enfin un combat où l’ultra talentueux Stevenson serait amené à s’employer plutôt que gérer en cruise control, voilà de quoi faire rêver moite chez les fans du noble art.
Le MMA va bien, merci pour lui (Guillaume) /
- Parlons MMA, revenons sur… l’UFC Paris. Sur le papier, nos pugilistes tricolores ont encore une fois brillé de mille feux à domicile. Cyril Gane se refait la pastille en épluchant la défense du Moldave Serguei Spivak jusqu’à l’arrêt de l’arbitre, Manon Fiorot se rapproche un peu plus du title shot avec une victoire par décision unanime sur la légende Rose Namajunas, Benoit Saint-Denis est en train de voler à Justin Gaethje ses galons de « most violent man alive » dans l’octogone, et Morgan Charrière a réussi ses débuts à l’UFC en écrasant son adversaire italien sous sa botte et ses middle de bucheron. Oui. Mais… C’est le moment de faire la fine bouche, et le critique planqué au chaud derrière son clavier.
- D’abord, Cyril Gane qui s’offre une victoire brillante mais paradoxalement sans éclat contre un adversaire qui n’avait pas les moyens de contrer son style. Quelques excellentes défenses de lutte ont permis d’entrapercevoir des avancées dans le domaine, mais ce n’est malheureusement pas assez pour nous apprendre ce que nous ne savons pas déjà. À savoir que Gane est un combattant exceptionnel, doté d’aptitudes athlétiques et techniques hors du commun pour la catégorie, et équipé d’une intelligence de combat bien supérieure à la moyenne. Bref, le bonhomme est à sa place, il n’y a aucun doute là-dessus. Mais selon toute vraisemblance, il lui faudra une ou deux prestations supplémentaires pour lever le lièvre qui s’est installé dans tous les esprits depuis sa défaite contre Jon Jones. A savoir, peut-il battre des adversaires qui ne sont pas « faits » sur-mesure pour son style ? La question est pas vite répondue, et pourrait faire la différence entre un excellent gate-keeper et un champion de la catégorie. Bref… On verra. Peut-être contre Tom Aspinall ?
- Quant à Manon Fiorot, annoncée comme ultra-favorite contre une Rose Namajunas plus frêle en gabarit mais pas en technique, force est de constater que sa victoire sème là aussi quelques doutes. Non pas qu’elle ait volé quoique ce soit à l’américaine, mais on se doit d’imaginer ce qu’aurait été l’issue du combat avec 5 rounds au lieu des trois disputés ce soir-là. Pas sûr du tout que la française aurait eu sa main levée, tant l’élève de Trevor Whittman avait réussi à prendre le rythme de son adversaire, à perturber son radar avec ses déplacements, et même à faire basculer la pression dans l’autre sens grâce à son coup d’œil avisé en contre. Certes, contre une ancienne championne aussi expérimentée, Manon Fiorot n’a certainement pas démérité. Mais elle n’a pas non plus pu faire ce qu’elle voulait, et même un peu moins que ça. Et quand on sait que Namajunas a révélé avoir combattu avec une main invalide à partir du 1er round… L’une fait toujours partie de l’élite assurément, et l’autre peut-être pas encore tout à fait.
- Enfin Benoit Saint-Denis a mérité une fois de plus son surnom de « God of War » en martyrisant son brésilien d’adversaire. Le terme n’est pas trop fort : Thiago Moisés a subi ce qu’il convient d’appeler une véritable punition, debout et au sol, confirmant la polyvalence de Benoit au châtiment corporel. Mais (il y a mais)… Il s’expose, et pas qu’un peu. Le menton quasiment à la fenêtre sur certaines séquences, Saint-Denis brule les calories de la violence avec une intensité trop soutenue pour sa défense. Certes, sans doute son agressivité étouffe et intimide ses adversaires, et sa résistance hors-normes lui permet d’aller au charbon sans mettre son casque. Mais là encore, difficile d’imaginer ce qui se produira si le français se produisait demain contre un Charles Oliveira, ou n’importe quel striker de précision de la catégorie. Le style de Saint-Denis pourrait bien devenir sa principale faiblesse à mesure qu’il grimpe les marches du pouvoir. C’est tout le mal qu’on ne lui souhaite pas.
